A Stockholm, le 26 avril. Photo TT News Agency. Reuters
Contrairement à la France qui préfère brandir la menace du gendarme, les pays du Nord accompagnent le déconfinement en entretenant avec leur population une relation basée sur la confiance plutôt que la méfiance.
Tribune. Depuis l’arrivée du coronavirus le modèle suédois est revenu à la mode, les médias s’interrogent sans cesse sur les raisons qui permettent à ce pays d’avoir fait un choix unique dans le monde des pays riches. Le pari était, et reste, risqué mais la seule explication que l’on trouve s’appelle confiance du peuple, or en période de déconfinement cet aspect prend sans doute encore plus d’importance. Comparer des chiffres, des tests, des masques, et se fier à des causes immédiates n’est pas suffisant pour interpréter un phénomène social et le choix de cette explication, au moins partielle, mérite d’être commenté. On doit se demander, en effet, d’où vient ce sentiment de confiance, et comment on peut l’entretenir.
Peut-il naître sur la simple appréciation du bon sens de la mesure ou de l’estime pour un homme, en l’occurrence Anders Tegnell, responsable du département d’épidémiologie du Service de santé publique (Folkhälsomyndigheten)? Ni le Premier ministre Löfven, ni la ministre de la Santé, dont bien peu de Suédois connaissent le nom Lena Hallengren, ne sont montés au créneau. La confiance s’est établie sur une autre base et ce socle repose sur des piliers de la culture suédoise dont la profondeur est insoupçonnée. Par un curieux hasard, un rapport qui portait précisément sur ce sujet fut remis au gouvernement suédois en l’an 2018, un an avant le Corona. Le titre énonçait, en effet, le programme qui fut appliqué «Styra och leda med tillit», c’est-à-dire «Gouverner et diriger/conduire par la confiance». Il s’agit un document de plus de quatre cents pages dit SOU, dont le contenu du sigle signifie rapport public d’Etat (1).
Confiance et fiabilité
Ce SOU est demandé pour assurer la faisabilité d’une loi ou un acte administratif, ou encore pour éclairer l’administration et les citoyens sur un problème éventuel à venir. On y trouve des éléments passionnants sur lesquels je vais revenir, et la conclusion apporte des considérations qui semblent correspondre exactement à celles menant à la politique choisie pour le corona. Il est dit textuellement par la rapporteure que «la méfiance que l’on peut montrer en exagérant le contrôle et la surveillance par les autorités et les entreprises mine la confiance envers celles-ci, car elle repose sur la représentation largement partagée que nous vivons dans une société marquée par la réciprocité dans la confiance et la fiabilité». Et de rappeler que les mécanismes de gestion du social reposent depuis longtemps sur cette base, par exemple lorsque l’impôt a été introduit en 1766, les paysans ont exigé que tous les comptes du budget de la paroisse soient rendus publics et les dépenses examinées par tous. Il est donc clair pour l’un des auteurs que «les anciennes assemblées populaires ("Ting") du Moyen Age nordique sont les premières institutions démocratiques du monde moderne qui ne soient pas fondées sur des privilèges de classe mais sur les libertés paysannes».
D’autres aspects plus actuels sont examinés, par exemple une étude d’opinion rapporte qu’à la question «qu’est-ce qui est important pour se sentir suédois» la réponse qui vient en premier n’est autre que «respecter les règles du pays», en second seulement «parler suédois» et en quatrième position «être né en Suède».
Ce document va plus loin dans l’analyse et inscrit la situation actuelle dans la longue durée. En réalité, en allant au-delà de ce rapport il faut comprendre qu’il n’y a pas dans cette confiance un aspect mouton de Panurge comme on a souvent tendance à le croire en Europe latine. J’ai cité les paysans et l’impôt, mais hérités des Vikings ou du Moyen Age nombre d’autres droits sont présents dans l’imaginaire moderne du rapport au pouvoir. Par exemple l’allemansrätt pré-chrétien, le droit pour toute personne en cas de nécessité de s’abriter, ou même se nourrir, sur un terrain privé. Ou bien les premières lois édictées pas des communautés villageoises, écrites au XIIIe siècle après l’introduction du christianisme le furent dans la langue locale, non en latin, et il était bien précisé qu’elles valaient pour tout le monde, les pauvres comme les riches et le roi.
Une manière de penser le monde
C’est sur ce prérequis que la religion de Martin Luther s’est installée facilement, car le libre examen des textes qu’elle introduit repose sur la responsabilité propre de chacun devant sa conscience. On ne dira jamais assez l’importance qu’a ce fonds religieux dans toute la Scandinavie mais qui doit être pris pour ce qu’il est, non pas une croyance importée mais un ciment qui a réuni des éléments d’une manière de penser le monde, épars et bien plus anciens. Il s’agit donc bien d’une culture dont la sécularisation de la religion ne fut qu’une étape récente. Et pour revenir à l’actualité il devient compréhensible que les sondages donnent aujourd’hui 84% de l’opinion publique d’accord avec les mesures prises, puisque à l’arrivée du virus la confiance envers le gouvernement approchait déjà les 50%, alors que les mêmes sondages donnaient dans les autres pays, France en particulier mais aussi les pays anglo-saxons, à peine 30 à 35% !
D’autres aspects socio-historiques entrent aussi en jeu, entre autres une autre confiance, celle très répandue dans les ressources de la nature pour assurer la santé du corps et faire face à des problèmes considérés comme relevant du métabolisme, les antibiotiques ont presque disparu dans la médecine courante. Non ils ne sont pas en guerre.
Vue dans ce cadre, la manière dont notre gouvernement agit est pour le moins singulière. Il manie l’appel à la responsabilité en nous demandant de suivre les règles et en même temps menace de surveiller notre comportement par des contrôles policiers. Certes notre socle culturel est assez différent, mais ne pourrait-on essayer de sortir de ce cercle vicieux où la caresse s’accompagne d’une menace de fessée (Olivier Véran, 3 mai) ? Dans la plupart des autres pays, surtout du nord mais pas seulement, le déconfinement accompagne une grande clarté sur ce qu’il «vaut mieux» faire et ne pas faire, l’incitation plutôt que la menace du gendarme.
(1) Statens Offentliga Utredningar, Styra och leda med tillit - Forsking och praktik, Louise Bringselius red., SOU 2018 :38, 454 pp.
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