PAR
COLINE GARRÉ
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PUBLIÉ LE 07/05/2020
Le Dr Alain Mercuel, chef du pôle « Psychiatrie-Précarité » de Paris, coordonne les cinq équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP) parisiennes qui ont pour mission d'aller vers les personnes en très grande précarité souffrant de troubles psychiatriques.
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LE QUOTIDIEN : Comment avez-vous adapté votre organisation pour répondre aux problématiques soulevées par la crise sanitaire chez les précaires ?
DR MERCUEL : Nous sommes moins nombreux, mais nous continuons d'aller sur le terrain. La moitié de nos soignants a été redéployée dans les services où du personnel était malade, ou dans les unités Covid + en psychiatrie. Cette tendance à confondre équipes mobiles et « mobilisables », comme si nous étions une variable d'ajustement, est d'ailleurs préjudiciable.
Mais nous parvenons tout de même à assurer dans tout Paris une présence médicale quotidienne, des visites dans les centres d'hébergement et dans les centres Covid+ pour SDF. Nous maintenons les entretiens téléphoniques et proposons à l'hôpital Sainte-Anne une consultation pour des patients en détresse ou dans l'impossibilité de téléphoner.
Le paysage de la précarité a-t-il changé sous l'effet du Covid-19 et du confinement ?
Si les centres d'hébergement n'ont pas fermé, il y a néanmoins moins d'accueil dans les structures de jour. Certains patients se retrouvent donc en errance avec leurs délires. Les habitués des sous-sols, parkings, ou parcs, réapparaissent, perdus, ne serait-ce que pour se nourrir, car les maraudes et les aidants non institutionnels (voisins, commerçants, porteurs de paniers) sont moins nombreux.
Il semblerait - c'est à confirmer - qu'il y ait relativement moins de contaminations au Covid dans cette population qu'en population générale. Ces personnes sont déjà dans la distanciation sociale : elles ne se font pas la bise, ne se serrent pas la main, les SDF diogènes sont protégés par leurs amoncellements…
En revanche, dès qu'ils sont atteints, ces patients développent des formes graves de Covid-19 car ils souffrent souvent d'autres pathologies.
Il faut aussi distinguer les foyers suroccupés, par exemple de jeunes travailleurs, où il pourrait y avoir une plus grande contamination.
L'état de santé mentale des précaires risque-t-il de s'aggraver ?
On voit apparaître, en lien avec le confinement, de l'anxiété, des réactions dépressives, parfois délirantes, aggravées sur un mode paranoïaque. Le confinement réactive les anciens traumas, notamment chez les migrants qui ont connu des enfermements maltraitants. Il peut être aussi délétère chez les personnes confinées à plusieurs dans de petits espaces.
La situation aggrave l'état de santé des plus précaires qui ont du mal à faire renouveler leurs traitements ; certains n'ont pas de droits ouverts, d'autres se voient refuser par les pharmacies, en raison d'une ordonnance périmée.
Ceux qui présentent des conduites addictives associées souffrent peut-être le plus, car ils peinent à se procurer des toxiques. Même licites, comme l'alcool.
Nous sommes confrontés aussi à des personnes qui refusent la distanciation sociale, en raison de leur pathologie - ce qui n'a rien à voir avec ceux qui refusent sciemment les mesures barrières, et qui relèvent davantage d'un rappel à la loi.
Nous cherchons à convaincre, plutôt que contraindre mais lorsque la personne est en état de démence, nous n'avons guère d'alternatives. Ces hospitalisations sous contrainte, une à deux fois par semaine pour chacun des trois médecins que nous sommes, sont plus fréquentes depuis le confinement, et ne laissent pas de nous interpeller.
Comment voyez-vous l'avenir ?
Difficile de dire si les précaires seront plus ou moins à risque lors du déconfinement : s'ils sont peu dans le contact physique, ils sont tout de même dans les rues où les gens passent.
À distance, il nous faudra tirer des enseignements. Notamment des phénomènes auxquels on ne s'attendait pas. Par exemple, les SDF contaminés par le Covid, qui se retrouvent dans les unités Covid + pour SDF, acceptent plus facilement une démarche de soin globale, voire de sortie de rue, que d'ordinaire, quand on leur parle d'abord d'action sociale ou de recherche d'hébergement.
Propos recueillis par Coline Garré
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