Entre utopie et envie de nouvelles solidarités sociales, les partisans d’une théorie de l’effondement imaginent un avenir fait de résilience et d’autonomie.
Emmanuel Cappellin s’est surpris à vivre la crise du Covid-19 dans « une forme de normalité ». « Pas dans le sens “on vous l’avait bien dit”, mais juste parce que ça fait partie des soubresauts qu’il va y avoir de plus en plus, symptômes d’un système à bout de souffle », estime le documentariste drômois, qui navigue depuis plusieurs années dans les théories de la collapsologie.
Popularisée en France par Pablo Servigne, la collapsologie explore la vulnérabilité de nos sociétés face à divers risques systémiques – crise financière, épuisement des ressources, changement climatique, etc. –, qui les menaceraient d’un effondrement dans un avenir proche. Pour ses partisans, la crise du coronavirus a fortement fait écho aux scénarios lus et entendus dans la sphère « collapso ». Ils y ont reconnu la même vision, celle d’un monde fragile, car interconnecté, et les mêmes ingrédients : pénuries, crise pétrolière ou économique, affaiblissement des services publics…
Si les plus convaincus y ont vu la confirmation d’un monde qui s’abîme, d’autres, moins familiers, ont plongé dans les théories de la collapsologie à la faveur de cette crise. L’un des principaux groupes Facebook sur ce thème, La collapso heureuse, a gagné quatre mille nouveaux membres depuis le début du confinement, atteignant plus de 27 000 abonnés.
Comme Félix (qui a requis l’anonymat), étudiant en école de commerce à Toulouse, qui s’est inscrit début avril. Sensibilisé à l’écologie, mais « sans grande conviction » jusqu’alors, le jeune homme de 22 ans a profité du temps confiné pour se renseigner sur Internet. « Le fait de découvrir ces vidéos et ces lectures en plein coronavirus, ça fait très peur, je n’avais plus confiance en l’avenir… », relate l’étudiant, qui a ressenti le besoin de « prendre du recul » pour se préserver de l’anxiété.
Pour certains collapsologues, la crise due au coronavirus a été vécue de manière plus apaisée
La collapsologie décrit communément cet état de choc initial comme la première étape d’une « courbe du deuil » – un processus qui aboutirait, après des phases de déni, de colère ou de peur, à une forme d’acceptation sereine de la fin de notre monde. De fait, pour certains collapsologues, la crise engendrée par le coronavirus a été vécue de manière plus apaisée. Grégoire Quartier, musicien et cofondateur de La collapso heureuse, a apprécié le calme et le temps retrouvé pendant le confinement, qu’il a employés à jardiner et à préparer un festival itinérant dans son canton de Suisse romande.
« La collapso apprend à naviguer à vue. On sait qu’il y a des risques systémiques, mais on ne sait pas où ça va craquer : une sécheresse, une crise financière, un virus… Donc ce qui compte, c’est surtout notre capacité d’improvisation, de créativité et savoir gérer nos émotions pour ne pas paniquer. »
Si les plus convaincus y ont vu la confirmation d’un monde qui s’abîme, d’autres, moins familiers, ont plongé dans les théories de la collapsologie à la faveur de cette crise. L’un des principaux groupes Facebook sur ce thème, La collapso heureuse, a gagné quatre mille nouveaux membres depuis le début du confinement, atteignant plus de 27 000 abonnés.
Comme Félix (qui a requis l’anonymat), étudiant en école de commerce à Toulouse, qui s’est inscrit début avril. Sensibilisé à l’écologie, mais « sans grande conviction » jusqu’alors, le jeune homme de 22 ans a profité du temps confiné pour se renseigner sur Internet. « Le fait de découvrir ces vidéos et ces lectures en plein coronavirus, ça fait très peur, je n’avais plus confiance en l’avenir… », relate l’étudiant, qui a ressenti le besoin de « prendre du recul » pour se préserver de l’anxiété.
Pour certains collapsologues, la crise due au coronavirus a été vécue de manière plus apaisée
La collapsologie décrit communément cet état de choc initial comme la première étape d’une « courbe du deuil » – un processus qui aboutirait, après des phases de déni, de colère ou de peur, à une forme d’acceptation sereine de la fin de notre monde. De fait, pour certains collapsologues, la crise engendrée par le coronavirus a été vécue de manière plus apaisée. Grégoire Quartier, musicien et cofondateur de La collapso heureuse, a apprécié le calme et le temps retrouvé pendant le confinement, qu’il a employés à jardiner et à préparer un festival itinérant dans son canton de Suisse romande.
« La collapso apprend à naviguer à vue. On sait qu’il y a des risques systémiques, mais on ne sait pas où ça va craquer : une sécheresse, une crise financière, un virus… Donc ce qui compte, c’est surtout notre capacité d’improvisation, de créativité et savoir gérer nos émotions pour ne pas paniquer. »
Lire la tribune : « La collapsologie fait débat, c’est une bonne nouvelle »
Selon le psychologue Pierre-Eric Sutter, les collapsologues seraient, en effet, mieux préparés à faire face aux angoisses suscitées par le Covid-19. L’Observatoire des vécus du collapse, qu’il codirige, cherche à savoir comment collapsologues et non-collapsologues gèrent cette crise. La découverte de la théorie de l’effondrement leur aurait, selon lui, servi de « répétition générale » : « Nos premières observations montrent que les collapsologues sont moins stressés, qu’ils subissent moins la situation et qu’ils mobilisent plus positivement leurs ressources pour s’adapter. »
« Aujourd’hui, c’est le calme avant la tempête »
Néanmoins, est-on jamais prêt à l’irruption du pire ? Le documentariste Emmanuel Cappellin avait pensé à tout pour que son projet d’habitat collectif, à Saillans (Drôme), soit résilient : cuves de récupération d’eau, jardins partagés, diversification des sources d’énergie, etc. Las, le projet n’a pas eu le temps d’aboutir avant la crise sanitaire. « On a un an de retard, déplore-t-il. Aujourd’hui, c’est le calme avant la tempête, donc je travaille deux fois plus dessus pour le finaliser au plus vite ! »
Grégory Derville, enseignant en sciences politiques et collapsologue depuis une dizaine d’années, a, lui aussi, été pris de court. Il avait décidé de changer de vie, de quitter son appartement du centre-ville de Beauvais (Oise), pour s’installer dans sa résidence secondaire, non loin de Limoges (Haute-Vienne). « Je me suis retrouvé piégé chez moi en raison du confinement. Cela a été dur, j’étais très inquiet que la situation dérape socialement, qu’il n’y ait plus de maintien de l’ordre ou d’approvisionnement alimentaire des villes », confie-t-il.
« L’autonomie ne signifie pas savoir tout faire soi-même », Grégory Derville, enseignant
Plus que jamais, il a désormais la « conviction » de faire le bon choix en migrant vers la campagne. Sur son terrain de 10 hectares géré en permaculture, Grégory Derville compte planter des arbres et construire des logements pour une douzaine de personnes. Sans oublier de s’investir dans le tissu local. « L’autonomie ne signifie pas savoir tout faire soi-même, mais partager les ressources et les compétences à l’échelle d’un petit territoire, afin de satisfaire l’essentiel des besoins fondamentaux », note le maître de conférences, qui estime qu’il y a « urgence à développer massivement la résilience des territoires locaux ».
En collapsologie, résilience et autonomie apparaissent comme l’horizon à suivre, d’autant plus depuis l’émergence du coronavirus. Dans sa ferme du Calvados, Antoine Desjonquères cultive, avec deux amis, assez de légumes pour leur consommation et la vente au marché. Ils produisent aussi des fruits, des céréales, du tournesol, et leur propre énergie à partir de bois et de panneaux photovoltaïques. « La crise du Covid a accéléré nos réflexions pour être autosuffisants, afin de vivre de manière durable et ne pas participer à la société de consommation », explique l’agriculteur de 25 ans. Depuis le début du confinement, les trois amis ont acheté un moulin et un pressoir pour fabriquer leur farine et leur huile.
« Développer la résilience urbaine »
Dans la Drôme, Hélène Fléchet, mère célibataire de trois enfants, ancienne assistante sociale, n’a « pas les moyens de s’acheter une maison avec jardin ou de monter un éco-hameau ». « J’ai donc profité du confinement pour me former à l’herboristerie : j’apprends à reconnaître les plantes sauvages qui soignent et celles qui nourrissent, relate-t-elle. C’est rassurant car même si, un jour, les magasins sont vides, on peut compléter quelques stocks de farine ou de féculents avec des plantes sauvages, qui sont très riches. » Cloîtrée dans son appartement de centre-ville, Hélène Fléchet projette de s’acheter un camping-car, « pour avoir accès aux ressources de la nature au cas où un nouveau confinement, plus strict, aurait lieu ».
Tous les collapsologues ne rêvent pas de fuir la ville
Si la ville apparaît, pour nombre de collapsologues, comme inadaptée – trop peuplée et impossible à approvisionner en cas de chocs –, tous ne rêvent pas pour autant de la fuir. Ingrid (qui souhaite rester anonyme), iconographe, vit à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Elle préfère y rester et « travailler à développer la résilience urbaine », réfléchissant à des solutions pour « ne pas se retrouver à court de légumes, ou développer des solidarités de quartier ». Cette membre du mouvement de désobéissance civile Extinction Rebellion veut surtout consacrer son énergie à militer encore davantage « pour empêcher qu’après la crise sanitaire, on retourne dans des systèmes encore plus productivistes et destructeurs de l’environnement ».
Sur le terrain de la mobilisation, la collapsologie louvoie : si elle a perdu tout espoir de salut pour un monde qui se précipite vers son effondrement, elle tente pourtant de lutter, encore, pour amoindrir le choc. Dans cette perspective, la crise actuelle apparaît comme une fenêtre d’opportunité à ne pas rater. « C’est maintenant que ça se joue, lance Grégoire Quartier. Ceux qui veulent la transition, il faut qu’ils se montrent et qu’ils s’organisent localement, sans plus attendre d’en haut. »
« Il n’y aura pas de retour à la situation d’avant, ce qui est une bonne nouvelle en soi, juge Barbara Chastanier, autrice de théâtre, installée dans une ferme en permaculture dans l’Ain. Cette crise a conforté la nécessité d’une réinvention de cette civilisation. » Une réinvention concentrée dans les éco-lieux alternatifs ou les communautés locales résilientes, chères à la collapsologie ? « En même temps, il ne faut surtout pas lâcher sur des formes de solidarités sociales plus larges, qui dépassent le seul voisinage et l’entre-soi, estime l’artiste. Car, finalement, on a beau construire sa petite utopie, c’est vain si, collectivement, on fonce droit dans le mur. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire