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Une vingtaine d’adolescents, placés par l’aide sociale à l’enfance, loin de leurs parents dépassés, vivent le confinement dans une structure qui redouble d’inventivité pour assurer leur suivi.
Chaque après-midi, Hélène assure l’aide aux devoirs pendant le confinement, sans masque pour pouvoir « expliquer des phrases compliquées ». CYRIL CHIGOT / DIVERGENCE POUR LE MONDE
Ils sont dix-neuf adolescents, âgés de 13 à 18 ans, des garçons seulement. Depuis le 17 mars, ils vivent confinés au Foyer Amitié, une maison à caractère social située à Chambon-sur-Cisse (Loir-et-Cher), petit village de 700 âmes traversé par la Cisse. Ces jeunes résident ici sur décision de justice, pour les protéger de parents dépassés ou maltraitants.
Parmi eux, certains avaient l’habitude de rendre visite à leur père, leur mère, une ancienne famille d’accueil, voire les trois à la suite, chaque week-end. Depuis mi-mars, c’est terminé. « Et ce n’est pas plus mal, commente sobrement David Beck, le directeur. Parfois, ces retrouvailles se faisaient la boule au ventre. Le confinement a apporté une certaine sérénité au groupe, comme lors d’un long mois d’août. »
Les débuts ont été épiques. « Nous n’avions ni gel ni masque, alors le 19 mars, j’ai envoyé un courrier recommandé au préfet pour appeler à l’aide », explique M. Beck. Depuis, les dix éducateurs, les deux veilleurs de nuit, la cuisinière et l’agent de nettoyage travaillent protégés. De leur côté, les adolescents limitent leurs relations et mangent en demi-groupes. Les éducateurs, aux heures de travail annualisées et qui d’ordinaire consacrent leurs matinées à les déposer dans leur école et lieux d’apprentissages, ont diminué leurs temps de présence. Le directeur et son chef de service sont en télétravail un jour sur deux.
Partie de FIFA dans la salle de jeux pour l’un des 19 résidents du Foyer Amitié de Chambon-sur-Cisse (Loir-et-Cher), le 27 avril. CYRIL CHIGOT / DIVERGENCE POUR LE MONDE
Suivi scolaire périlleux
Les fugueurs, généralement éphémères, sont plus rares. « On leur a beaucoup expliqué qu’une fugue pouvait mettre tout le monde en danger, souligne le directeur. On leur a dit aussi que c’était une guerre, qu’il fallait grandir d’un coup et penser collectif. » Le dernier, qui s’était offert une après-midi chez sa mère, en est quitte pour une mise en quarantaine – quatorze jours en réalité – au foyer, dans une chambre en retrait.
Avec un Internet chancelant, à peine deux ordinateurs fonctionnels et une poignée de tablettes prêtées par le département, le suivi scolaire est bien périlleux. D’autant plus qu’en 2019, le foyer a perdu son poste d’enseignant, supprimé par le ministère de l’éducation par souci d’économie alors qu’il était consacré aux enfants déscolarisés ou en échec.
Lamine, un des dix éducateurs du Foyer Amitié, imprime les devoirs d’un résident, à Chambon-sur-Cisse (Loir-et-Cher), le 27 avril. CYRIL CHIGOT / DIVERGENCE POUR LE MONDE
C’est donc Hélène, éducatrice d’un autre dispositif, qui assure l’essentiel de l’aide aux devoirs en cette période, en y consacrant tous ses après-midi. « Expliquer des phrases compliquées, des prononciations, je n’y arrive qu’à visage découvert », dit-elle pour justifier son refus du masque. En temps normal, elle sillonne le Loir-et-Cher et entre chez des familles en difficulté. Elle veille ainsi sur des enfants « placés » à leur domicile mais disposant d’un lit en foyer en cas d’urgence. « En ce moment, je les accompagne au téléphone, pas le choix. » L’un d’entre eux vient justement de rejoindre le foyer en urgence. « Il a fallu aller le récupérer, le confinement avec son père devenait électrique », dit-elle sobrement.
Suivi médical affaibli
Comme ailleurs en France, la pénurie locale de places en institut médico-éducatif (IME) et institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP), la disparition de leurs internats, se traduit par une surreprésentation de jeunes malades au foyer.
La connexion internet n’étant pas bonne, ce résident s'est installé dans la lingerie pour capter le wifi et pouvoir assister à sa classe virtuelle. CYRIL CHIGOT / DIVERGENCE POUR LE MONDE
« C’est simple, la moitié des personnes accueillies ici relèvent des secteurs sanitaire ou médico-social, certains jeunes souffrant de troubles psychiatriques, d’autres de déficience intellectuelle, d’autres encore de troubles du comportement. Nous ne disposons pas du plateau technique adapté à ce type de prise en charge », déplore M. Beck, le directeur.
Il évoque ainsi cet enfant anxieux, probablement autiste, qui noircit ses cahiers d’innombrables prénoms et dont la chambre est tapissée d’instructions pour lui rappeler de prendre sa douche et de se brosser les dents. Ou cet adolescent, suivi par les renseignements territoriaux, un temps obsédé par les vidéos macabres et exclu de son lycée après des menaces de mort.
En cette période de confinement, leur suivi médical est, là encore, affaibli. « Il a fallu suspendre les consultations à l’hôpital de jour et d’autres établissements. Nous avons aussi une psychologue à temps partiel mais elle est un peu âgée alors elle s’est mise en congé. Heureusement, le lien avec tous ces acteurs du handicap est maintenu, grâce au téléphone », assure M. Beck.
Habitudes bousculées
Un toboggan fait d’une longue bâche et d’un tuyau d’arrosage, un montage de meuble Ikea… Même si la lassitude s’est installée au fil des semaines, les idées pour éviter l’oisiveté n’ont jamais manqué. On a repeint un mur en blanc pour projeter des films comme au cinéma.
Magali, la maîtresse de maison, discute avec l’un des mineurs accueillis au foyer, le 27 avril. CYRIL CHIGOT / DIVERGENCE POUR LE MONDE
Et les adultes ont bousculé toutes leurs habitudes. Idriss, le blanchisseur devenu expert en désinfection, est devenu un partenaire de jeu sur la console. Aude, la secrétaire, assure des séances de yoga aux enfants agités. A demi-mot, et malgré la vigilance du personnel, certains ados ont succombé aux paris sportifs sur Internet. « Mais je commence à me refaire, avec des petits gains encourageants », se justifie Dorian (tous les prénoms des adolescents ont été modifiés), en seconde générale, qui espère devenir commentateur de foot.
« Moi, c’est le tabac à rouler, soupire Victor, 16 ans et affalé sur un fauteuil. Avant je fumais le matin dès 6 h 30 pour démarrer la journée. Puis le soir en rentrant. Depuis que mon apprentissage est suspendu, je me roule des clopes toute la journée. Pour moi et les autres. Ça nous détend. J’en suis déjà à 150 euros. »
Lamine, un éducateur, s’est improvisé coiffeur. Hassan, éducateur lui aussi, se charge des petites courses avec l’argent de poche de chacun, entre 17 euros et 45 euros par mois, selon l’âge. Cette semaine, les chocolats Kinder figurent en tête de liste.
Virginie, la cuisinière, multiplie les recettes : « Elle nous fait des tenders de poulet meilleurs qu’au KFC et de la mousse à la framboise », chuchote Kévin, 14 ans et nostalgique de ses quartiers libres en centres commerciaux. Fred, 54 ans dont dix-sept à apprendre aux gamins le maniement du fer à souder et dont les animaux de ferraille décorent un terrain de foot mitoyen, a même exhumé trois vieux vélomoteurs pour tenter de les ressusciter.
Hubert, l'agent d'entretien, apprend à un jeune résident à tailler la haie du Foyer Amitié, le 27 avril. CYRIL CHIGOT / DIVERGENCE POUR LE MONDE
Jules, bientôt 16 ans, déscolarisé, a accroché. Il se rêve mécano. Comme lui, ses parents ont grandi en foyer. « A Tours, je viens de découvrir un CAP de mécanique motocycle qui m’intéresse beaucoup, dit-il. Je vais tenter. Et si ça foire, je rejoindrai l’armée. Il y a un régiment à La Réunion et j’ai de la famille là-bas, du côté de ma mère. »
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