Pour le psychiatre Bruno Boniface, face à l’épidémie, les soignants sont soumis à une forte pression psychologique.
Bruno Boniface est psychiatre au CHU de Bicêtre (Val-de-Marne). Pour Libération, il évoque les risques quant à l’exposition du personnel soignant au surcroît de travail, de stress, de pénuries et, surtout, de décès.
«C’est dans l’ADN du soignant d’intégrer cela : il soigne et, donc, n’a pas "le droit" d’être malade. De fait, la période que nous vivons l’oblige à composer avec deux peurs. Celle d’être contaminé, parce qu’il est en première ligne et confronté au décalage entre l’ampleur de l’urgence et le manque de matériel. Parce que, comme tous, il a son propre rapport à la maladie ou à la mort. Et puis, il y a cette peur de contaminer les autres. Un patient, des collègues, sa famille.
«Pour le moment, le personnel soignant tient psychologiquement sur ses réserves (il en a et c’est également dans son ADN) mais on ne sait pas jusqu’à quand. On voit passer des médecins de 30 ans qui en paraissent 50. Pas rasés, les yeux cernés. Le rythme est devenu inhabituel. Les heures de travail s’accumulent et l’exposition aux décès croît : il y en a plus que d’ordinaire et ce ne sont pas simplement des personnes très âgées qui meurent. Est-ce qu’il s’agit de médecine de guerre ? Quelle que soit l’analyse, nous arrivons au point où l’on se retrouve à opérer des choix éthiques. On ne prend plus en charge un patient en ne pensant qu’à celui-ci, mais en intégrant la dimension collective. En somme, qui doit-on traiter prioritairement ? De cette question peut naître un traumatisme.
«Il y a environ une semaine, on a réfléchi, collectivement, à la création d’une plateforme de soutien au personnel soignant. C’était une demande tacite dans les différents services. On en discutait ici et là entre nous et cela paraissait évident : le risque est important de péter les plombs. Un soignant a aussi besoin qu’on lui accorde du temps. Pour parler, pour pleurer, pour se soigner aussi : il aura peut-être besoin de traitements pour tenir le coup et continuer de pratiquer dans les meilleures conditions. D’où l’incompréhension face à des comportements imprudents que l’on constate dehors : in fine, ils se disent "il y a de fortes chances pour que cela retombe sur nous".»
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