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jeudi 19 mars 2020

La dépression infantile est en hausse

Moins taboue, mieux comprise, mais encore trop souvent sous-diagnostiquée, la dépression chez les moins de 20 ans est un phénomène en progression.
Par  Publié le 17 mars 2020
C’était il y a un an et demi. Lucie (le prénom a été changé) ne se sent alors pas bien du tout. Agée de 10 ans, elle a des idées noires, des préoccupations morbides, dit souvent « je veux mourir », jusqu’à faire une tentative de suicide en voulant sauter par la fenêtre, raconte sa maman. Elle revient avec sa fille pour un rendez-vous au service de pédopsychiatrie du CHU de Nantes, accompagnée de son fils aîné et de son mari. Lucie y était suivie depuis peu pour un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Un trouble du neurodéveloppement fréquent (5 % des enfants) associant des difficultés attentionnelles, de l’hyperactivité motrice, de l’impulsivité et une difficulté à réguler ses émotions, explique Fanny Gollier-Briant, pédopsychiatre, qui la reçoit ce jour-là.
« Tout prenait des proportions énormes », se souvient sa maman. Ses parents s’inquiètent, son frère aîné de 13 ans a du mal à communiquer avec elle. Lucie ne voit pas de solution à son malheur, a une très mauvaise estime d’elle-même, est d’une grande nervosité. « On ne pouvait parler de rien sans que ça ne finisse en pleurs ou en colère. Nous étions très démunis face à ce grand désarroi. » C’est à l’issue d’un passage aux urgences au CHU de Nantes, en juin 2018, pour des crises de colère incontrôlables – Lucie tapait sur les murs – que le diagnostic est posé par Olivier Bonnot, chef du service de pédopsychiatrie : Lucie souffre d’une dépression infantile.

« Nous sommes tombés des nues, on n’imaginait pas que la dépression puisse exister chez l’enfant », se souvient sa maman. Ses parents ont même un temps douté de ce diagnostic, avant de faire confiance au médecin. A posteriori, pense sa mère, c’est le deuil de sa grand-mère, à la suite d’un cancer, en juin 2018, qui l’a plongée dans une grande tristesse, et qui a sans doute été l’élément déclencheur. Aujourd’hui, après une psychothérapie, Lucie va mieux, a retrouvé sa joie de vivre. Sa famille aussi.

Des chiffres « assez inquiétants »

A l’instar de Lucie, de plus en plus d’enfants et d’adolescents souffrent de dépression, même si la majorité va bien. Aux Etats-Unis, la dépression chez l’adolescent (de 12 à 17 ans) est passée de 8,7 % en 2005 à 13,2 % en 2017, selon des chiffres présentés lors du dernier congrès de l’Académie américaine de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, en juin 2019. En Europe, « un adolescent sur cinq est touché par au moins un problème psychologique chaque année », d’après les chiffres de Mental Health Europe. Les tendances sont identiques en France. Environ 8 % des adolescents entre 12 et 18 ans y souffriraient d’une dépression. Et un tiers d’entre eux feraient une tentative de suicide, selon les derniers chiffres de la Haute Autorité de santé (HAS).
Dans l’enquête « Portraits d’adolescents », coordonnée par l’unité Inserm 1178 « Santé mentale et santé publique » et le pôle universitaire de la Fondation Vallée (Gentilly, Val-de-Marne), en 2015, « 12,1 % des jeunes présentaient une dépression avérée, les filles (16,8 %) plus que les garçons (7 %) ». « Des chiffres assez inquiétants », constate Catherine Jousselme, pédopsychiatre et chef du pôle enseignement-recherche de la Fondation Vallée, institution de soins en pédopsychiatrie située à Gentilly (Val-de-Marne), qui a coordonné l’enquête.
« Globalement, les filles sont deux fois plus concernées que les garçons »
Selon les données – non encore publiées − de l’enquête nationale en collège et en lycée chez les adolescents sur la santé et les substances (Enclass), pilotée par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, qui a interrogé 20 000 adolescents en 2018, 9,1 % des élèves de quatrième et de troisième et 13,2 % des lycéens présentent des signes de dépressivité sévère. « Globalement, les filles sont deux fois plus concernées que les garçons », explique la docteure Emmanuelle Godeau, enseignante-chercheuse à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) coordinatrice de l’étude Enclass.
« Elles déclarent plus de stress à l’école et pourraient être plus sensibles à la conjoncture globale », constate Emmanuelle Godeau. De plus, « les filles ont plus tendance à intérioriser leur mal-être et semblent plus influencées par les normes sexuées qu’imposent notamment les réseaux sociaux, tandis que les garçons vont davantage extérioriser leur souffrance en se réfugiant dans des bagarres, des prises de risque, les consommations de substances psychoactives ». Mais, conclut la chercheuse, « les filles s’autorisent sans doute plus à l’exprimer verbalement, tandis que les garçons sont culturellement conditionnés à ne pas en parler ».
Si c’est plus rare, la dépression touche aussi les enfants (2 à 3 % selon l’Inserm). Elle est alors souvent corrélée avec des facteurs comme un environnement familial compliqué (maltraitances, carences…) ou des événements traumatiques ou violents.
La période d’incertitude qui s’ouvre dans la lutte contre le Covid-19 va générer chez une partie d’entre eux un surcroît d’anxiété. Le confinement, pendant une période à durée indéterminée, aura sans doute un rententissement sur le bien-être psychique des enfants et adolescents, comme de leurs parents, avec des effets difficiles à anticiper...

Cerveau en chantier

Moment charnière entre l’enfance et l’âge adulte, l’adolescence est située par l’Organisation mondiale de la santé entre 10 et 19 ans. Elle débute avec la puberté, mais sa fin est mouvante. C’est aussi une phase où le cerveau est en plein chantier. « L’adolescence est une période de transition, de construction de l’identité et d’acquisition de l’autonomie », rappellent Marie Rose Moro, chef de service de la Maison de Solenn (hôpital Cochin, AP-HP, Paris) et Jean-Louis Brison, inspecteur d’académie honoraire, dans leur livre Pour le bien-être et la santé des jeunes (Odile Jacob, 2019). Cela peut être un âge d’extrêmes, de créativité comme de rupture avec les codes établis, décrite par Arthur Rimbaud, « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans », ou encore par Charles Baudelaire : « Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage, traversé çà et là par de brillants soleils. »
La dépression de l’adolescent a été officiellement reconnue en 1971 au quatrième congrès de l’Union européenne des pédopsychiatres de Stockholm. Mais « on disait il y a une trentaine d’années que ça n’existait pas, que le suicide d’enfants n’existait pas, on parlait plus de dépressivité (déprime) chez les ados, explique Jean-Pierre Couteron, psychologue clinicien.
La dépression de l’adolescent peut s’exprimer par des passages à l’acte (agressifs ou antisociaux), une perte d’intérêt, des plaintes somatiques (douleurs, fatigue, perte d’appétit…), une grande irritabilité, une mauvaise estime de soi, autant de signes qui peuvent masquer le trouble. Distincts des troubles d’humeur qui peuvent accompagner l’adolescence, ces symptômes peuvent passer inaperçus. « Mal connue, la dépression est souvent sous-diagnostiquée. Ses risques majeurs sont la récidive, la chronicisation et le suicide », précise le professeur Bonnot.

Signaux d’alerte

« Les signes sont souvent différents de ceux de l’adulte. Une humeur triste ou un ralentissement des activités, constatés chez l’adulte, peuvent être absents chez l’enfant ou l’adolescent », précise Marie Rose Moro.
« Lorsque ces idées péjoratives de soi-même, de l’existence, de l’avenir, s’accompagnent de critères objectifs mesurables, en particulier le repli relationnel, le trouble du sommeil (le réveil matinal précoce spontané plus que le problème d’endormissement), des troubles alimentaires, etc., cela doit impérativement alerter, insiste Xavier Pommereau, psychiatre, coordonnateur de l’hôpital de jour pour les 16-25 ans à la clinique Béthanie de Talence (Gironde). Cela devient inquiétant lorsque ces troubles persistent au-delà de trois semaines ou un mois. » « La rupture avec le fonctionnement antérieur doit alerter », complète Fanny Gollier-Briant. Ainsi de cette jeune fille de 16 ans qui a arrêté d’aller au lycée, ne sort plus de chez elle, ne voit plus ses amies…
Comme chez l’adulte, il existe beaucoup de comorbidités. « 40 à 90 % des enfants et adolescents souffrant de dépression présentent une comorbidité psychiatrique et près de 50 % d’entre eux, au moins deux comorbidités », indiquent Diane Purper-Ouakil et Pierre Raysse (service de médecine psychologique, Montpellier), dans un article pour la Fondation Deniker.
C’est un cercle vicieux. « La souffrance induite par d’autres troubles – troubles des conduites alimentaires, troubles du neurodéveloppement, comme le TDAH… – déprime le sujet et rend vulnérable à la dépression », explique Bruno Falissard. De même, les enfants ou adolescents qui souffrent de maladies chroniques ont bien plus de risques de développer des troubles dépressifs ou anxieux.

« Echelle du bonheur »

Autre aspect, les conduites addictives favorisent la dépression. De nombreuses études montrent aussi que le fait d’avoir fumé du cannabis jeune augmente le risque de dépression adulte ou accroît les idées suicidaires. « C’est à double sens : une dépression fait souffrir et entraîne des consommations de substances », explique Antoine Pelissolo, chef du service de psychiatrie de l’hôpital Henri-Mondor. « Aujourd’hui, il faut être vigilant face à des comportements d’usage (alcool, cannabis…), veiller à ce qu’ils ne viennent pas occulter des dimensions potentiellement dépressives », ajoute Jean-Pierre Couteron.
Qu’est ce qui doit alerter ? « C’est un faisceau d’arguments qui nous oriente, rien n’est spécifique », explique Fanny Gollier-Briant. A chaque consultation, elle présente, sur le même mode que l’échelle de la douleur, une « échelle du bonheur », de 1 à 10, à l’enfant ou à l’adolescent, et lui demande où il se situe : « J’interroge systématiquement : Es-tu triste ? As-tu envie de te faire du mal ? As-tu des idées noires ? Des idées suicidaires ? Cet outil, évidemment informel, est formidablement utile pour permettre d’aborder les difficultés. »
Quelles que soient les méthodes employées, la pédopsychiatrie reste une spécialité extrêmement clinique. L’entretien demeure capital : « On y perçoit que l’adolescent a perdu l’élan vital, pense que la vie ne vaut plus la peine d’être vécue par elle-même », indique le pédopsychiatre Bruno Falissard.

« A quoi bon ? »

Aujourd’hui, la dépression est sans doute mieux reconnue qu’elle ne l’était il y a quinze ou vingt ans. Parents, éducateurs, soignants… y sont plus sensibilisés. Mais, comme souvent en psychiatrie, « les causes sont dites plurifactorielles, il existe des prédispositions génétiques, des désordres biologiques et endocriniens mais aussi des événements de vie qui se combinent et provoquent la dépression », résume Olivier Bonnot. Il faut d’abord interroger le parcours du patient et rechercher des traumatismes, des abus sexuels, des agressions, des violences intrafamiliales.
Plus généralement, « dans cette période de transition où les enfants deviennent adultes, beaucoup de choses peuvent être difficiles, comme la séparation d’avec le monde de l’enfance, l’autonomisation, la confrontation avec le monde des adultes pas forcément très désirable », détaille Marie Rose Moro. L’adolescent doit aussi absorber psychiquement une transformation corporelle, une perception modifiée de l’image du corps.
La société est aussi plus anxiogène, plus dure, avec plus de précarité, de chômage, de virus, de séparations. La persistance d’un conflit entre les parents peut être toxique. C’est aussi une période où les jeunes expérimentent, cherchent. L’éco-anxiété touche aussi les jeunes. Ils l’évoquent souvent en consultation : « La planète est foutue »« Il n’y aura plus de poissons dans dix ans »« A quoi bon ? », rapporte Xavier Pommereau.
« Des parents stressés font probablement des enfants plus stressés car la qualité des interactions familiales et la façon dont ils présentent le monde peuvent être vécues comme plus anxiogènes », ajoute le professeur Pierre Fourneret, pédopsychiatre et chef de service adjoint à l’hôpital Femme-Mère-Enfant au CHU de Lyon.

Cyberharcèlement

Pour Sandra Fritsch, médecin chef de l’hôpital pour enfants du Colorado (Etats-Unis), « l’enfance est aujourd’hui bien plus complexe qu’il y a trente ou quarante ans. Le monde est jugé bien plus effrayant, avec la diffusion en temps réel de nouvelles négatives. La multiconnexion des parents comme des enfants les prive d’activités comme les jeux imaginaires et réduit l’activité physique, qui a des effets bénéfiques sur l’anxiété et la dépression ». Une récente étude a aussi montré que la connexion à la nature rend les enfants plus heureux. De même, s’engager dans des causes est un facteur protecteur.
D’autres éléments peuvent expliquer la hausse des dépressions de l’enfant et de l’adolescent : « Il existe de fortes pressions sur les jeunes au niveau scolaire, émanant des parents, des enseignants… qui peuvent être de gros facteurs de stress, de conflit, avec des angoisses sur leur avenir, explique Catherine Jousselme. On a formaté une société à l’aune de la consommation, de la croissance, de la vitesse avec une accélération du temps, du tout, tout de suite, qui est en train de nous tuer, notre cerveau n’est pas fait pour fonctionner en multi-tâches en permanence, tous les signaux au rouge. »
Le harcèlement, et notamment le cyberharcèlement qui s’est considérablement développé, est également un lourd facteur de risque suicidaire et de dépression. Un jeune sur trois dit avoir été victime de harcèlement en ligne, selon un sondage publié fin 2019 par l’Unicef. « Il y a une augmentation de l’attaque personnelle, amplifiée par les réseaux sociaux, le niveau d’injure augmente sensiblement », constate Xavier Pommereau. Même constat pour Catherine Jousselme: « C’est très compliqué dans la population collège, où de nombreux garçons qui ont un look féminin ou bien des jeunes obèses subissent des moqueries… »

L’inflammable question des écrans

Les travaux montrant aussi le lien entre le temps d’écran et les risques accrus de dépression, d’anxiété, de suicide, se multiplient. « Les écrans augmentent le risque de troubles dépressifs et les enfants et adolescents dépressifs consomment plus d’écrans. Il existe de nombreuses études corrélatives dont les outils statistiques permettent, en suivant les même individus pendant des années, d’identifier ces cascades causales », souligne le neuroscientifique Michel Desmurget, auteur de La Fabrique du crétin digital (Seuil, 2019).
Une étude publiée dans la revue Jama Pediatrics en juillet 2019, dirigée par Patricia Conrod, professeure de psychiatrie (CHU Sainte-Justine de Montréal), a mesuré le temps d’exposition aux écrans et les signes de dépression chaque année, sur une période de cinq ans, auprès de 3 836 adolescents. Ceux qui passent le plus de temps sur les écrans, notamment les réseaux sociaux, sont les plus susceptibles de ressentir les symptômes liés à la dépression. Très inflammable, la question des écrans suscite de vifs débats. C’est celle de l’œuf et de la poule. « C’est une question de causalité inversée, on ne sait pas si les écrans ont une incidence sur les symptômes dépressifs ou si un état dépressif entraîne l’adolescent vers l’écran », tempère Bruno Falissard.
« Les pratiques numériques ont pris une place prépondérante dans la vie de la plupart des adolescents. Elles ont parfois pour effet de réduire la durée de leur sommeil, de diminuer leur activité physique et de les surexposer aux médias, ce qui les prédispose fortement aux symptômes dépressifs et anxieux ainsi qu’aux idées suicidaires », indique le troisième rapport de l’Observatoire national du suicide de février 2018.
De nombreux travaux ont également pointé le lien entre manque de sommeil et risque de dépression et d’idées suicidaires chez les adolescents. Or la dette de sommeil ne cesse de s’alourdir, selon les enquêtes menées par l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV) depuis 2004. Principal facteur en cause selon cette étude : là encore, l’usage intensif des écrans.
Par ailleurs, « les jeunes qui ont une attirance sexuelle homosexuelle sont plus à risque de dépression et de passages à l’acte, ou d’avoir des conduites à risques addictifs », indique Catherine Jousselme, qui a conduit une étude qui doit prochainement paraître dans la revue L’Encéphale. De même, les filles qui ont eu des grossesses adolescentes sont plus à risque de tentative de suicide… « Ces sous-groupes sont dans une souffrance psychique plus grande », ajoute la pédopsychiatre, qui déplore le harcèlement subi par les jeunes homosexuels.

Au cas par cas

Comme pour toute pathologie, chaque cas est différent. La prise en charge est prioritairement en première intention une psychothérapie (thérapies cognitives et comportementales, thérapies interpersonnelles…). « La prescription d’antidépresseurs se justifie seulement en cas d’échec de la psychothérapie, après quatre à huit semaines de thérapie, ou si des signes de gravité empêchent tout travail relationnel », indiquent les recommandations de la HAS. C’est là aussi du cas par cas, suivant l’âge de l’enfant, la durée d’évolution des symptômes.
Pour des dépressions modérées à sévères, des médicaments psychotropes sont recommandés en plus de la psychothérapie. Une hospitalisation peut être nécessaire en cas de dépression profonde et surtout d’idées suicidaires. A ce jour, la fluoxétine (Prozac) est le seul médicament à avoir une autorisation de mise sur le marché avec une indication pour les adolescents. Plusieurs études ont montré depuis longtemps le risque d’effets secondaires de ces médicaments, notamment le risque suicidaire.
Problème, la situation de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent est très difficile. Les délais pour obtenir un rendez-vous s’allongent dans les CMP (centres médico-psychologiques), maisons des adolescents, services hospitaliers, libéraux… Désemparés, les parents sont en quête de solutions. Alors que la psychothérapie est essentielle, elle n’est que rarement remboursée.
Conséquences : « Tous les lieux de soin étant saturés, les jeunes qui présentent des signes de mal-être ou qui auraient besoin de soins précoces (psychothérapies, consultations psychologiques…) n’étant pas prioritaires par rapport à ceux souffrant de pathologies avérées, ne bénéficient pas des soins qui éviteraient à leur santé de se dégrader », décrivent Marie Rose Moro et Jean-Louis Brison dans leur rapport « Mission bien-être et santé des jeunes ». Ils estiment ainsi à 1,5 million le nombre de jeunes qui auraient besoin d’avoir un projet de suivi ou de soins approprié.
Alors même « qu’il est fondamental, en termes de prévention, de détecter les adolescents subdéprimés, souvent non diagnostiqués, afin de leur proposer rapidement des soutiens adaptés », lit-on dans l’enquête « Portraits d’adolescents ». Ces questions sont d’autant plus importantes que la période de l’adolescence est essentielle pour la détermination des orientations de santé à l’âge adulte.
L’absence de prise en charge peut également résulter d’un refus des intéressés : ce n’est pas si facile de dire, de parler, de trouver un interlocuteur… Il faut parfois du temps, et du courage. La question du lien, de la relation avec un thérapeute bienveillant, en qui l’enfant ou l’adolescent a confiance, qui le prend au sérieux, est essentielle.
De même, les activités artistiques et culturelles (théâtre, dessin, écriture…) se révèlent bénéfiques pour sortir de la dépression. Et surtout, note Marie Rose Moro, « les jeunes demandent qu’on leur tienne un autre discours que la désespérance ». Un avis partagé par le pédopsychiatre Philippe Jeammet, qui insiste sur la nécessité de recouvrer une confiance en l’avenir. Pas toujours évident, en ces temps troublés. Mais la façon dont l’adulte perçoit l’environnement a un fort impact sur l’enfant et l’adolescent.
Un cerveau « en chantier » plus vulnérable
Outre les changements corporels et psychiques qui affectent l’adolescent, « son cerveau est en plein chantier, comme l’ont bien montré les récents travaux de l’équipe de Monique Ernst, du National Institutes of Health aux Etats-Unis », explique Pierre Fourneret, pédopsychiatre et chef de service adjoint à l’hôpital Femme Mère Enfant au CHU de Lyon. Déclenchée par les facteurs génétiques et hormonaux liés à la puberté, et influencée par l’environnement, « c’est la deuxième grande période de maturation du cerveau, jusqu’à environ 25 ans, après celle du développement périnatal », souligne le pédopsychiatre Jean-Luc Martinot, directeur de recherche (université Paris-Saclay, Ecole normale supérieure Paris-Saclay, CNRS, Inserm).
« La dynamique fonctionnelle de régulation des émotions est transitoirement “déséquilibrée” dans cette période. Tout événement de vie délétère qui se surajoute peut donc précipiter des jeunes potentiellement “vulnérables” ou fragilisés par leur environnement vers des troubles dépressifs », explique Pierre Fourneret.
Des travaux, menés à partir d’une cohorte de 2 000 jeunes de 14 à 16 ans et publiés dans l’American Journal of Psychiatry en 2015 ont montré qu’une sous-activation du circuit de la récompense pouvait précéder un état subdépressif (avec seulement quelques symptômes isolés de dépression), ou un diagnostic de dépression majeure à l’âge de 16 ans. « Il y aurait aussi des précurseurs des états dépressifs dans la structure du cerveau d’adolescents subdéprimés », indique Jean-Luc Martinot. Par exemple, une diminution du volume de la matière grise du cortex frontal ventromédian, cingulaire antérieur, et de noyaux gris centraux.

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