Après trois états des lieux successifs sur l'épidémie ces deux dernières semaines, Laurent Lagrost, Directeur de recherche à̀ l’INSERM et Didier Payen ancien chef du service d'anesthésie-réanimation de l’Hôpital Lariboisière à Paris lancent un appel pour un dépistage de la population à grande échelle. Ils estiment que les précédents coréens et italiens y encouragent. Et que cette solution est techniquement réalisable. Couplé au confinement, le dépistage serait, à leurs yeux, la bonne réponse face à l'urgence de la situation.
Crédit photo : VOISIN/PHANIE
Face à l’urgence de la situation et avec la volonté de contribuer à la lutte contre le SARS-CoV-2, nous lançons ici un appel à tous les acteurs de la santé publique de notre pays. Nous devons réfléchir et travailler, sans attendre, à la mise en place dans les laboratoires de biologie médicale d’une solution de dépistage de nature à pallier à l’absence de kits commerciaux en nombre suffisant pour dépister largement le virus de la Covid-19 au sein de la population de notre pays.
Évidemment, cette action devra se conduire sans infraction aux règles de confinement qui doit rester l’absolue priorité mais qui pourrait dès lors avoir un rationnel diagnostique rigoureux. Les enfants, pourraient être confiés à leurs grands-parents, si les deux s’avèrent négatifs, les autres situations étant au contraire des moteurs crédibles au confinement. Solennellement, nous appelons Monsieur le Président de la République à faire évaluer cette proposition et à accompagner cette démarche du dépistage du SARS-CoV-2 sur une large échelle. Cette stratégie est fortement encouragée par l’OMS. Les campagnes italiennes de dépistage, menées notamment dans la région de Venise avec le soutien de l’OMS, commencent à produire des résultats spectaculaires !
Pas une, mais deux options
Nous avons beaucoup entendu ces dernières semaines qu’il n’existerait dans notre pays qu’une unique option envisageable, une seule planche de salut pour combattre le virus SARS-CoV-2 : le confinement. Il est en effet primordial et incontournable comme annoncé le 16 mars 2020 par le Président de la République. Dans la continuité de son allocution et des mesures exceptionnelles mises en place pour le confinement, nous pensons que le dépistage du SARS-CoV-2 sur une large échelle reste de nature à compléter efficacement le dispositif, même s’il interviendrait tardivement.
À ce stade, le dépistage aurait un intérêt pour évaluer les risques de propagation au sein du foyer familial confiné comme de la population active exposée. Il pourrait intervenir dans un premier temps au sein de périmètres définis pour constituer un échantillonnage représentatif. Il s’agit du dépistage de l’ARN du virus par RT-PCR (real-time polymerase chain reaction) à large échelle, en utilisant des amorces spécifiques au SARS-CoV-2. Comme des kits commerciaux de prélèvement en nombre suffisant ne semblent pas disponibles immédiatement, une solution de substitution à l’écouvillonnage mérite d’être explorée.
La problématique des « réactifs » en quantités suffisantes devrait être examinée en partenariat avec les fournisseurs fabricants de kit diagnostiques du secteur privé, à travers par exemple un think tank qui regrouperait les propositions, les expertises et les forces de tous les acteurs du domaine.
Face à l’urgence de la situation, nous pensons que cette stratégie de lutte visant à combiner deux approches (le confinement ET le dépistage), jugées contradictoires par certains à ce stade avancé de l’épidémie, constituerait un apport substantiel, voire considérable. C’est ce que laissaient entrevoir les données et les expériences en Chine, à Singapour et en Corée du Sud et qui semble se confirmer en Italie. Certes, la méthode coréenne s’est accompagnée d’outils de traçage qui seraient probablement considérés comme beaucoup trop intrusifs par nos concitoyens. Quoique… La parole présidentielle n’a-t-elle pas indiqué que nous sommes en état d’urgence et de guerre et les mesures de confinement n’ont-elles pas été mises en place ?
Au moins, une méthode d’enquête de type « échantillonnage comme pour les sondages » pourrait être associée au testing. Elle serait basée sur un questionnaire et sur la volonté de chacun d’adhérer et de participer à l’immense défi et au difficile combat que mène la planète. Nous avons consacré plusieurs paragraphes sur ce point du dépistage dans nos trois articles précédemment publiés dans « Le Quotidien du Médecin »(«La Covid-19 est un réel danger»; «Coronavirus SARS-Cov-2 : la stratgie évolue. Pourquoi ?»; «Guerre contre le cornavirus, le baptême du feu»)
L’heure n’est plus à disserter sur sa faisabilité, son utilité ou son efficacité supposée à tel ou tel stade de l’épidémie. Nous estimons qu’une mise en place dans les meilleurs délais du dépistage du SARS-CoV-2, et même s’il n’a pas reçu les approbations réglementaires qui étaient en vigueur dans le monde d’avant la Covid-19, a une chance raisonnable d’être contributive.
La disponibilité d’une méthode de dépistage propre, simple et non-contingentée apporterait une réponse concrète à la pénurie de test que l’on peut raisonnablement envisager et prédire à certaines étapes de la crise sanitaire. En parallèle à l’action des équipes de soin, pour qui l’accès au dépistage peut s’avérer essentiel, les biologistes médicaux viendraient ainsi en renfort. De fait, les citoyens et citoyennes apporteraient leur contribution.
Donc, un grand élan national et participatif au travers duquel chacune et chacun, côte à côte et dans l’union, aurait la pleine sensation de participer à la lutte et à l’efficacité du dispositif de riposte. L’heure viendra, a posteriori, d’évaluer si cette démarche participative aura, ou pas, significativement augmenté nos chances de sortie de la crise de la Covid-19 et aura réduit la lourdeur d’un bilan humain qui s’annonce élevé. Il nous semble que ce défi, sans précédent, mérite d’être relevé.
Un protocole de test
Nous avons parfaitement conscience du caractère peu conventionnel de notre démarche et de notre appel. Mais l’urgence de la situation exceptionnelle nous oblige. Sans aucune intention de faire offense aux biologistes médicaux et aux biologistes moléculaires experts, mais dans l’unique souci d’être actifs et d’aller vite, nous souhaitons rappeler que plusieurs protocoles de dépistage du SARS-CoV-2 par RT-PCR en laboratoire ont été validés par les autorités compétentes au niveau mondial et sont disponibles.
Au-delà des kits commerciaux agréés (ref 1), des protocoles ouverts ont été validés par les autorités sanitaires de différents pays (ref 2-3). Dans l’urgence qui est la nôtre, ils devraient pouvoir être adaptés par des laboratoires réalisant des tests de biologie moléculaire classiques. Il appartiendrait à chaque acteur de la biologie médicale de les adapter et de les améliorer en fonction de ses connaissances, de son expertise et de son environnement.
Les réactifs utilisés et nécessaires sont usuels au laboratoire. Ainsi, au-delà des laboratoires de virologie, les tests pourraient être pratiqués facilement et largement dans de nombreux laboratoires effectuant des analyses de biologie moléculaire dans notre pays (laboratoires de microbiologie, de génétique moléculaire ou d’hématologie par exemple), dès lors qu’ils disposent de machines de RT-PCR en temps réel. Ceci permettrait d’augmenter considérablement la capacité de dépistage.
Évidemment, tout doit être pratiqué dans le respect des bonnes pratiques et des règles de protection des personnes en vigueur, notamment pour le traitement des échantillons potentiellement contaminants. Si la mise en place de ce dépistage à large échelle au sein de la population, ainsi que du recueil des données qui devra lui être associé, n’entrent pas dans nos champs d’intervention et de compétence habituels, nous savons toutefois que les expertises existent et que les capacités d’analyse nécessaires sont largement répandues dans notre pays.
Nos chercheurs et nos biologistes sont parmi les meilleurs au monde et ont l’habitude, avec une grande maîtrise de l’approche simple que constitue la RT-PCR. Ils savent réagir et s’adapter et c’est bien parce que cette démarche semble audacieuse, sur les plans logistiques et administratifs notamment, que le succès à la mettre en place en un temps record fera la fierté de notre pays et de sa population. À circonstances exceptionnelles, réactions exceptionnelles. Alors, mobilisons-nous pour débusquer, enfin, cet ennemi invisible et insaisissable !
Laurent Lagrost a dirigé le centre de recherche UMR1231 de l’Inserm et de l’Université de Bourgogne à Dijon et a coordonné le Laboratoire d’Excellence LipSTIC. Didier Payen est Professeur Emerite à l'Université Paris 7 et Professeur d’Anesthésie-Réanimation.
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