Après une première alerte au début de la crise, suivi d'un état des lieux de l'épidémie la semaine dernière, Laurent Lagrost, Directeur de recherche à̀ l’INSERM et Didier Payen ancien chef du service d'anesthésie-réanimation de l’Hôpital Lariboisière à Paris poursuivent leur analyse de la situation sanitaire actuelle. Occasion de souligner que « certains patients infectés par le SARS-CoV-2 et présentant des formes sévères de la maladie sont étonnamment jeunes. » Et d'avancer une piste : « la compréhension de l’inflammation au cours du sepsis pourrait constituer une des clés de la prise en charge des patients souffrant de Covid-19. »
Crédit photo : SPL/PHANIE
Notre appel du 6 mars 2020 à l’éveil des consciences (« La Covid-19 est un réel Danger » - Le Quotidien du Médecin), suivi d'une nouvelle mise au point la semaine dernière (« Coronavirus SARS-CoV-2 : la stratégie évolue, pourquoi ? ») résonne aujourd’hui dans des circonstances que nous redoutions. Le sang-froid reste de mise, même si l’émotion est immense. Comme pour nos voisins de la Chine et d’autres pays de l’Asie un mois plus tôt, puis nos frères italiens huit jours avant nous, les lois de la statistique, de l’épidémiologie, de la propagation virale et de la réponse inflammatoire de l’hôte viennent ainsi s’appliquer au peuple français. Impitoyablement.
Face à la puissance effrayante de l’attaque virale émergent au grand jour les forces vives de la nation et de la médecine, celles qui sont en première ligne et devront faire face pour détrôner le microbe couronné. Alors que la France et ses citoyens sont plongés dans une immense perplexité, les victimes du SARS-CoV-2 sont prises en charge en nombre croissant dans les unités de soin. Le 14 mars 2020 au soir, la communication des caractéristiques des premiers patients révèle de façon préoccupante que 50 % de ceux qui sont en réanimation ont moins de 60 ans. L’analyse des données du Centre Chinois de Contrôle et de Prévention des Maladies, publiées dans les grandes revues internationales, le laissait malheureusement présager. Cependant, une inquiétude supplémentaire : certains patients infectés par le SARS-CoV-2 et présentant des formes sévères de la maladie sont étonnamment jeunes et ne présentent pas les facteurs de comorbidité tels qu’attendus et annoncés. Dans ce contexte difficile, les praticiens hospitaliers viennent de produire et communiquer une première fulgurance, en lien avec la réponse inflammatoire de l’hôte dont nous avions précédemment indiqué qu’elle pourrait se révéler être au cœur des attentions et de la lutte contre la Covid-19.
À ne pas confondre : infection et inflammation
Nous entrons dans un nouveau monde, celui de la Covid-19 et celui de l’urgence et de la performance thérapeutique immédiate pour une prise en charge attentive et efficace des patients qui affluent et dont les caractéristiques cliniques étonnent. Le SARS-CoV-2 semble frapper à l’aveugle et les formes sévères à critiques de la Covid-19 peuvent concerner des patients jeunes ou âgés, avec ou sans comorbidités. Le flair médical français a d’ores et déjà conduit à une première explication. Les patients jeunes admis en soins intensifs ont pris des Anti-Inflammatoires Non-Stéroïdiens (AINS) du type aspirine ou Ibuprofène. Une observation qui vient illustrer et rappeler au corps médical que l’inflammation et son contrôle subtil constituent des éléments importants dans la lutte de l’organisme contre l’infection virale en général et, peut-être, dans l’infection par le SARS-CoV-2 en particulier. Si le syndrome de réponse inflammatoire sévère est fréquemment associé au redouté sepsis, il faut garder à l’esprit que l’inflammation précoce reste une des composantes essentielles de la lutte contre le virus. L’éteindre avec des AINS semble donc constituer un facteur de risque majeur chez les jeunes patients souffrant de Covid-19. L’information a immédiatement été libérée et communiquée en direct, sans filtre et hors des sentiers tortueux habituels de la publication scientifique et médicale. La compréhension de l’inflammation au cours du sepsis pourrait donc constituer une des clés de la prise en charge des patients souffrant de Covid-19.
L’Italie montre l’exemple
L’Italie a huit jours d’avance sur nous. Elle permet donc d’anticiper et de modéliser la progression et les évènements dans notre Hexagone. Elle affine les prévisions initiales à partir des données de la région de Hubei en Chine et du bateau « Diamond Princess » au Japon. C’est vrai pour les courbes de propagation du virus et c’est, malheureusement, en train de le devenir pour les difficultés d’accueil à l’hôpital. C’est, en fait, assez logique. L’Italie et la France comptabilisent à peu près le même nombre d’habitants et ont des capacités d’accueil et des niveaux techniques comparables, même si les organisations administratives et territoriales diffèrent entre les deux pays. Si la moyenne d’âge en Italie est un peu plus élevée qu’en France, il reste fondamental de suivre l’évolution de la situation en Italie. Nous le faisons en solidarité et en fraternité et la trajectoire italienne apporte des enseignements précieux. Avec altruisme, le gouvernement italien a spontanément invité notre nation à s’instruire de ses expériences cruelles.
S’il est encore beaucoup trop tôt pour dresser un bilan et comparer les résultats de la gestion de la crise sanitaire entre l’Italie et la France, il apparaît d’emblée que le dépistage a été plus massif en Italie et que les procédures de confinement ont reçu l’adhésion étroite et immédiate de la part du peuple italien qui a été admirable. Si les mesures de distanciation sociale sont scrupuleusement respectées, les Italiens ont inventé de nouveaux moyens pour communier et ainsi affronter ensemble la crise. Spontanément, la population s’est fixée des rendez-vous à heure fixe pour chanter à leurs fenêtres et pour partager des apéritifs par webcam interposée. L’heure de l’Aperol ! Ces comportements festifs et responsables font écho aux messages qui invitent à vivre le confinement dans la sérénité. Cet exemple est à suivre et notre pays se choisira probablement prochainement des astuces « à la française » pour traverser avec citoyenneté et efficacité l’épisode de la Covid-19. En tout cas, c’est ce qui est espéré, même si la décision et l’adhésion au confinement ont été exprimées avec un peu de retard. Puissions-nous un jour ne pas le regretter… Pour l’heure, nous ouvrons le bal en adressant cette pensée à nos amis italiens, pour nous forcer à rire un peu et en hommage à leur humanité communicative et joyeuse, malgré la situation et les décomptes dramatiques : « In Italia il leone è ferito ma non è morto. Il gallo non è morto neanche in Francia, ma ora sta cantando con entrambe le zampe nel fango » (En Italie, le lion est blessé mais pas mort. Le coq n'est pas mort non plus en France, mais il chante maintenant les deux pattes dans la boue, NDLR)
S’unir pour tenir
Les Françaises et les Français ont mal. Ils ont aussi eu du mal à se conformer aux recommandations maintes fois répétées. Il ne fallait pas les inquiéter ? Eh bien ça a fonctionné… Mais l’état d’urgence et la gravité de la situation appellent dorénavant sérieux et obéissance. Nous sommes en guerre. Aux dernières nouvelles, en provenance d’un laboratoire de virologie du NIH (Hamilton, USA), le SARS-CoV-2 est confirmé assez résistant et, de plus, pourrait comme le SARS-CoV-1 voyager au gré des courants d’air au sein de microgouttelettes. Ainsi, il pourrait être finalement viable dans les aérosols jusqu’à trois heures et sur les surfaces du type plastique ou métal jusqu’à quelques jours. Une raison supplémentaire pour que les Françaises et les Français observent scrupuleusement les recommandations et restent sagement confinés à la maison.
Mais le danger inédit de la situation repoussera les limites, resserrera les liens et stimulera les initiatives citoyennes. Ainsi, l’incorrigible gaulois devra muter en archange responsable et généreux au service du bien commun. Comment pourrait-il en être autrement d’ailleurs ? Le peuple français doit suivre l’exemple, celui de nos soignants qui tiennent bon et demeurent en ordre de marche malgré les immenses difficultés. À cet instant, des malades souffrent. Certains guérissent et d’autres meurent. Les équipes des sachants et des soignants, celles et ceux qui éclairent et s’affairent autour des malades, aussi. Ils se battent et font front avec les moyens du bord. Ils sont les acteurs d’un combat héroïque, mais à armes inégales. Dès les premiers jours d’afflux dans les hôpitaux, images surréalistes de vrais soignants menacés d’être démasqués autour de respirateurs qui seront probablement demain en nombre insuffisant. Ils forcent notre respect et volent ainsi la vedette aux érudits qui habitaient les plateaux TV, en savaient trop en la matière et entubaient à défaut d’intuber.
Dérapages fâcheux
Le temps de la polémique et du bilan des failles et des errances n’est pas encore venu. Ouvrir ce débat maintenant serait d’ailleurs indécent, contre-productif et démobilisateur, comme l’ont été les débats stériles à l’aube de la crise entre ceux « qui y croyaient » et ceux « qui n’y croyaient pas ». Tout viendra en son heure. Mais ne pas polémiquer n’interdit pas de consigner les dérapages, si d’aventure, et du fait du traumatisme des évènements tragiques à venir, la mémoire venait à flancher. Donc, pêle-mêle : on ne voyait pas le SARS-CoV-2 arriver, encore moins résister sur support inerte au-delà de quelques heures, on le jugeait moins dangereux que les virus de la grippe saisonnière, on prétendait pouvoir l’attraper avec un masque chirurgical comme un filet à papillon, on déclarait que la Covid-19 ne toucherait que les ainés avec des comorbidités, on estompait la mauvaise nouvelle des 20 % de formes sévères ou critiques au profit des formes asymptomatiques qui ne relevaient pourtant pas d’une prise en charge médicalisée, on considérait la Covid-19 moins grave que la crise sociale et on rejetait par principe l’intérêt du dépistage sur une large échelle, quand bien même il semblait donner de bons résultats dans d’autres pays. On prédisait enfin, sans certitude, que le SARS-CoV-2 ne faiblirait pas sous le soleil de l’été. Il est donc raisonnable d’en douter et ceci redonne espoir. La seule bonne nouvelle dans une immensité de tristesse.
Laurent Lagrost a dirigé le centre de recherche UMR1231 de l’Inserm et de l’Université de Bourgogne à Dijon et a coordonné le Laboratoire d’Excellence LipSTIC. Didier Payen est Professeur Emerite à l'Université Paris 7 et Professeur d’Anesthésie-Réanimation.
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