Par Fabien Leboucq 18 mars 2020
Que va-t-il advenir des personnes sans-abris durant l'épidémie ? Photo Yann Castanier. Hans Lucas
Depuis le début de l'épidémie de coronavirus, les acteurs du secteur peinent à concilier besoins des publics et impératifs sanitaires. Ils ont de nouveau échangé mardi soir avec le gouvernement.
Question posée par Agathe le 16/03/2020
Bonjour,
«Je me demandais, que va-t-il se passer pour les sans-abri ? Vont-ils être confinés dans des centres ? Ils ne peuvent pas rester dehors…» Votre question arrive alors que le gouvernement a pris des mesures de confinement pour l’ensemble de la population, et qu’elles se ressentent dans la rue : «Les gens n’osent plus aller vers les autres, s’inquiète un homme sans domicile fixe auprès du Huffpost. Déjà que nous, on souffre d’être isolés, là on n’existe plus.»
Le gouvernement a fait plusieurs annonces au cours des derniers jours dans ce domaine, mais les associations qui viennent en aide aux dizaines de milliers de personnes sans domicile fixe du pays font part, lors de rencontres régulières avec le gouvernement, de difficultés persistantes : manque de places, manque de bras, manque de matériel, difficultés à respecter et faire respecter les consignes limitant la propagation du coronavirus.
Prolongement de la trêve hivernale
Voilà plusieurs jours que les associations venant en aide aux personnes sans domicile tirent la sonnette d’alarme. «Nous demandons une mesure d’urgence qui est la prolongation du plan d’hébergement hivernal», s’inquiétait le 12 mars auprès de France Info Florent Gueguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité (Fnars), craignant que le retour massif de personnes dans la rue ne soit une «catastrophe sanitaire».
Le soir même, Emmanuel Macron annonçait dans sa prise de parole télévisée que le terme de la trêve hivernale était repoussé de deux mois. Pas d’expulsion, donc, avant le 31 mai. Le lendemain, à la suite d’une réunion avec les acteurs du secteur, le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités locales ajoutait par communiqué que «les 14 000 places d’hébergement d’urgence ouvertes pour la période hivernale sont maintenues deux mois supplémentaires afin d’éviter toute remise à la rue de personnes hébergées».
«Ça a été un énorme soulagement», soupire au sujet de cette annonce Florent Gueguen, contacté par CheckNews. Mais pour le directeur de la fédération des acteurs de la solidarité, c’est aussi la seule véritable avancée obtenue de la part des pouvoirs publics depuis le début de l’épisode du coronavirus.
Centre de «desserrement»
Autre annonce du ministère des Solidarité dans ce communiqué du 13 mars : «Dès que possible, la Direction générale de la cohésion sociale, en liaison avec les préfets, a demandé d’identifier a minima un site par région dit de "desserrement" qui permettra d’accueillir et d’isoler en chambre individuelle ou en zones confinées les personnes sans domicile diagnostiquées mais ne nécessitant pas une hospitalisation.»
Deux centres de ce type, destinés aux «malades non graves du Covid-19» ouvriraient à Paris «dans les prochains jours», pour un total de «150 places» annonce le ministère dans un nouveau communiqué envoyé ce matin. A terme, 80 centres de desserrement (dotés de près de 3 000 places) doivent voir le jour.
Florent Gueguen traduit : «Ils seront financés par l’Etat mais gérés par des associations. Le plus dur reste de trouver des personnels pour venir travailler aux côtés des publics malades.»
Manque de personnels
C’est là l’une des grandes inquiétudes des acteurs du secteur : manquer de bras. «Entre les personnes qui doivent garder leurs enfants, les annonces de confinement, et le fait que nos bénévoles et nos salariés âgés doivent être prudents et rester chez eux, on compose en fonction du nombre d’absents», raconte à CheckNews le directeur général d’Emmaüs Solidarités Bruno Morel.
Le responsable associatif évoque un maintien d’activité «sous forme allégée». Ainsi, des ateliers ou des séances d’aide dans les démarches administratives ne peuvent plus avoir lieu, faute de personnel. Et les douches en accès libre ont dû être supprimées «car on manque de gens pour les entretenir», déplore Bruno Morel. Emmaüs Solidarités pare donc au plus urgent : «Donner un toit, un repas, et la sécurité aux publics qu’on reçoit.»
«Je suis particulièrement inquiet par la disparition des accueils de jour, en plus de la réduction des maraudes et des distributions de nourriture», souffle Florent Gueguen. Si les structures d’hébergement sont pour l’heure moins concernées, le directeur de la Fnars estime quand même que «ce sont des prestations vitales qui sont menacées : pouvoir prendre une douche, laver ses affaires, ou même avoir accès à un point d’eau, avoir des infos sur les lieux de distribution de nourriture ou les mesures barrières, avoir un contact avec les associations et les institutions…»
«Déplacements pour les personnes vulnérables»
Interrogé hier par France Bleu Paris, le président national du réseau des banques alimentaires Jacques Baillet proposait la mise en place d’une dérogation aux mesures de confinement pour les bénévoles : «Actuellement des étudiants ou des gens sont chez eux alors qu’ils pourraient très bien venir nous donner un coup de main, par exemple deux heures tous les deux jours, sur la base du volontariat bien sûr et en respectant les règles de sécurité. Cela nous permettrait de combler les absences dans notre organigramme.»
L’attestation de déplacement dérogatoire mise en place par le ministère de l’Intérieur comporte bien, parmi la liste des sorties autorités, les «déplacements pour l’assistance aux personnes vulnérables». Le ministère de la Solidarité confirme que les salariés et bénévoles du secteur peuvent bénéficier de ces exemptions, que ce soit pour se rendre dans des centres ou participer à des maraudes.
«Pour l’instant on tient»
Pour le directeur de la fédération des acteurs de la solidarité Florent Gueguen, outre les personnels et les places, ce sont aussi les matériels qui font défaut. Et notamment les masques de protection, pour les malades comme pour les personnels – «difficile d’inciter les gens à aider quand on ne peut pas les protéger», remarque-t-il. Même commentaire chez Emmaüs Solidarités. Du côté du ministère des Solidarités, on rappelle que ce sont les personnels soignants et les malades qui sont prioritaires pour bénéficier de ces équipements (il devrait y avoir des distributions de ces équipements dans les centres de desserrement bientôt ouverts). Personnels de la solidarité et publics accueillis sont donc invités à respecter les gestes barrières.
Les associatifs reconnaissent que les échanges réguliers - environ une téléconférence tous les deux jours - avec le ministère des Solidarités et les administrations sont appréciés. Ce qui n’empêche pas nos interlocuteurs de constater une dégradation de la situation sur le terrain : «Pour l’instant on tient, mais on ne sait pas pour combien de temps.»
Edit : au lendemain de la parution de cet article, le ministre Julien Denormandie annonce sur France Inter que des chambres d’hôtel seront réquisitionnées pour accueillir des sans-abri - 170 doivent ouvrir avant la fin de la semaine à Paris, promet-il.
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