Le village de l’Hospitalet-près-l’Andorre et ses 90 habitants, dans l’Ariège, s’apprêtent à ouvrir « la Maison des Cîmes », lieu de reconstruction pour familles monoparentales.
Au comptoir de l’hôtel de Puymorens, peu importe l’heure où l’on prend son café, toutes les conversations finissent par se ressembler. Combien de temps pour la plomberie, l’électricité, le placo ? Les ouvriers vont-ils rattraper le retard pris sur le chantier ? « Cela fait si longtemps qu’on attend une bonne nouvelle, il y a forcément de l’impatience », dit Serge Manescou, le tenancier de cet établissement des Pyrénées perché à 1 450 mètres d’altitude, au pied des sommets encore recouverts de neige où serpentent les chemins de randonnée.
Voilà cinq ans que l’Hospitalet-près-l’Andorre (Ariège) et ses 90 habitants vivent dans l’expectative. Au cœur du village, dans une large bâtisse de trois étages qui donne sur la place Pyrène, un lieu unique en France est en gestation : la Maison des Cîmes. D’ici quelques mois, six mères en difficulté, ces « familles monoparentales » devenues la priorité d’Emmanuel Macron à la suite du mouvement social des « gilets jaunes », viendront s’y installer avec leurs neuf enfants pour « prendre le temps de se reconstruire en douceur », dit le maire. Et repeupler du même coup ce village à flanc de montagne, qui a vu partir plus de la moitié de ses habitants en trente ans.
Désertification rurale
Ce projet sans précédent est né dans l’esprit d’une poignée d’habitants, un soir d’hiver. Tous étaient résolument attachés à « l’Hospi », ce confetti d’habitations « qui ne ressemble pas aux cartes postales du JT de TF1, mais où il se passe des choses fortes, et où les liens humains ont de la valeur », explique le maire Arnaud Diaz, dont les grands-parents espagnols, fuyant la guerre civile, ont trouvé là une terre d’accueil. Leur idée ? « Faire en sorte qu’on arrête de parler de notre village comme d’un truc qui se casse la gueule », résume Marianne Duchêne, l’une des deux institutrices de la commune.
C’est que l’Hospitalet-près-l’Andorre a vécu de plein fouet la désertification rurale et la perte de ses services publics. Ce qui faisait la richesse de ce territoire de montagne, qui vit majoritairement du passage entre l’Andorre et la France via la RN 22, a progressivement périclité. Il y a eu d’abord le départ des douanes et des cinq familles qui y travaillaient. Puis celui d’EDF, dont le barrage sis sur la commune a été entièrement automatisé. Ce fut ensuite au tour des gendarmes de la caserne de déménager, tout comme, au fil des ans, les cinq familles de la SNCF. Fin mai, le guichet de la petite gare d’altitude va même fermer et le dernier emploi doit être redéployé. En janvier, moins de 20 euros de billets y avaient été vendus.
Le village abrite une pépite : la petite école, avec sa classe unique de dix élèves
Mais pas question pour autant de se résigner. « On a vu l’Hospi bien vivre, on sait que c’est possible », rappelle Arnaud Diaz, élu en 2008 à la mairie (sans étiquette). Surtout, le village abrite en son sein une pépite : la petite école, avec sa classe unique de dix élèves. « C’est notre cœur battant. Avec des bouts de ficelle, nos institutrices recollent les morceaux de familles en miettes, créent de la vie et du lien social », se félicite M. Diaz, 43 ans. A chaque nouveau départ d’élèves pourtant, l’inspection académique agite un peu plus la menace d’une fermeture.« On s’est dit qu’il fallait construire quelque chose autour de cet atout. »
Au fil des mois, une intuition vient aux habitants mobilisés : faire en sorte que le faible vienne en aide au fort. Dans le département de l’Ariège, 32 % des femmes vivant seules avec leurs enfants sont sous le seuil de pauvreté. Si des établissements d’urgence temporaires existent, très peu de structures leur permettent de retrouver un équilibre sur le moyen terme, tant au point de vue social qu’économique. « C’est une étape qu’on a essayé d’imaginer avec toute notre naïveté et notre énergie », retrace le maire.
Un projet « pas dans les cases »
Tous azimuts, les habitants toquent aux portes, bousculent les protocoles : éducation nationale, conseil départemental, direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations, caisse d’allocations familiales, préfecture, etc. « On a mis les mains dans le cambouis », résume Arnaud Diaz. Il n’hésite pas à interpeller jusqu’au plus haut sommet de l’Etat pour ce projet « qui ne rentre pas dans les cases », mais suscite l’adhésion. La commune va jusqu’à recruter un « community manager » pour promouvoir le projet sur les réseaux sociaux.
Mais pour un pas en avant, ce sont souvent deux pas en arrière. Les changements d’interlocuteurs, notamment au niveau des ministères, compliquent la tâche. Les promesses de la veille sont soudain oubliées. De 290 000 euros annoncés initialement par l’Etat, l’enveloppe tombe soudain à 150 000 euros avec le nouveau gouvernement, début 2018. L’édile en perd le sommeil. Début novembre, il vient à Paris pour assister au Congrès des maires de France et réussit à rencontrer Emmanuel Macron :
« Je lui ai dit que son discours appelant à entreprendre et à faire vivre nos territoires résonnait fort dans mes montagnes, que ça faisait un bel écho. Mais qu’au quotidien, on vit l’inverse : on nous prend sans cesse de haut parce qu’on est petit. »
« L’humain n’est pas un vain mot »
Quelques semaines plus tard, 100 000 euros supplémentaires sont alloués à la rénovation de l’ancienne pension de famille, inoccupée depuis trente ans. La formule retenue est une expérimentation sur trois années pour cette « maison d’accueil et de développement » unique, dont le budget total atteint les 654 000 euros. Seuls 60 000 euros sont encore à trouver pour le fonctionnement de ces six logements, mis à disposition pour un euro symbolique à l’association France horizon insertion Occitanie, spécialisée dans l’accompagnement social.
« C’est l’un des projets dont je suis le plus fier, parce que c’est une vraie innovation sociale », dit son directeur, Gaëtan Cognard, qui a rejoint le projet voilà quatre ans. « Dans le social, on est beaucoup dans l’urgence et la recherche d’efficacité. Cette fois, on va pouvoir prendre le temps, faire de ces femmes en difficulté la force d’un territoire et inverser l’aspect misérabiliste », explique ce géographe de formation, soucieux de « redonner du souffle au rural ».
Toutes [les femmes accueillies] pourront exercer des emplois à temps partiel, disponibles sur la commune et aux alentours
« Il faudra choisir des femmes qui adhèrent à ce projet un peu atypique », précise Gaëtan Cognard. L’association recrutera bientôt un éducateur spécialisé et un coordinateur territorial pour animer le lieu, et aider les pensionnaires à retisser les liens avec le monde extérieur. Toutes pourront exercer des emplois à temps partiel, disponibles sur la commune et aux alentours. Les enfants seront scolarisés dans l’école de l’Hospi, ainsi que dans celle de la commune voisine de Mérens, pour pérenniser les deux structures. Gaëtan Cognard espère reproduire ce modèle sur d’autres territoires « où l’humain n’est pas un vain mot ».
Reste à savoir comment se passera l’insertion de ces familles dans ce coin de nature difficile, où les hivers semblent parfois sans fin – en 2003, le village a été coupé du monde durant onze jours par la neige. Parmi les habitants, quelques réticences sont aussi nées : la vie de leur village ne va-t-elle pas pâtir de ces nouveaux arrivants aux parcours accidentés ? « Il ne faut pas se faire d’illusions, ça va être un gros coup dans la fourmilière », sourit Marianne Duchêne qui prédit déjà des vitres cassées, des mois à s’apprivoiser et des « mayonnaises qui ne prendront pas toujours ». « Mais c’est la vie d’un village », complète celle qui définit la Maison des Cîmes comme « un territoire qui s’autorise à rêver à plus long terme ».
Au moment où les premiers coups de masse ont résonné, début novembre, naissait d’ailleurs en France la crise des « gilets jaunes ». « Ce mouvement a montré que tout n’est pas rose à la campagne, qu’il y a des gens qui en bavent », souligne Arnaud Diaz. En 2017, lors de la dernière élection présidentielle, Marine Le Pen était arrivée en tête au premier tour dans le petit village. « Ça a été un choc au début, puis j’ai compris que ça nous arrive à tous d’avoir envie de tout jeter quand on est pris par le désespoir », juge le maire. « Mais c’est trop facile de critiquer en bloc sans rien proposer », dit celui qui s’est « politisé par le concret, la vision de l’utilité du service public ».
« On vit dans un pays où on a pu monter un projet comme la Maison des Cîmes. On en a bavé, mais on l’a fait. Il faut garder un peu d’optimisme, sinon il ne se passe rien. »
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