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lundi 27 mai 2019

Régis Aubry, André Comte-Sponville. Euthanasie, une question de vie ou de mort

Mis en ligne le 23/01/2014

La légalisation de l’euthanasie divise. Si Régis Aubry et André Comte-Sponville défendent le droit de mourir dans la dignité, ces deux membres du Comité consultatif national d’éthique – récemment saisi de cette question par François Hollande – ont des positions diamétralement opposées. Pour le médecin, l’interdiction de donner la mort à un tiers doit être maintenue, pour le philosophe, la liberté de décider de sa propre mort doit l’emporter.

ANDRÉ COMTE-SPONVILLE

Né en 1952, philosophe, maître de conférences à la Sorbonne jusqu’en 1998, il anotamment  publié Le Sexe ni la mort. Trois essais sur l’amour et la sexualité (Albin Michel, 2012). Il a contribué à élargir l’audience de la philosophie avec des livres comme Le Petit Traité des grandes vertus (PUF, 1995) ou le Dictionnaire philosophique (PUF, 2013). Fin lecteur d’Épicure et de Montaigne, il inscrit sa réflexion dans le courant du matérialisme philosophique, qu’il cherche à réconcilier avec la quête d’une vie spirituelle (mais sans Dieu). Il siège au Comité consultatif national d'éthiqu et il a fait paraître récemment C’est chose tendre que la vie (avec François L’Yvonnet, Albin Michel, 2015), un recueil d’entretiens qui retrace sa biographie intellectuelle.

RÉGIS AUBRY

Ce médecin et chef du département regroupant les soins palliatifs, le centre d’évaluation et de traitement de la douleur du centre hospitalier universitaire de Besançon est aussi diplômé de Sciences-Po et titulaire d’une maîtrise de philosophie. Il est membre du Comité consultatif national d’éthique, préside l’Observatoire national de la fin de vie et a participé à l’élaboration de la loi Leonetti en 2005.

Publié dans

Philosophie magazine #76 février 2014
76
Février 2014


C’était l’un des soixante engagements de campagne du candidat François Hollande : ouvrir pour « toute personne majeure en phase avancée d’une maladie incurable » un droit à « bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». Autrement dit : légaliser l’euthanasie. Saisi par le président de la République au début de l’année 2013, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a récemment rendu son avis – consultable en ligne sur ccne-ethique.fr. Sans surprise, sa réponse est sur l’essentiel négative : le CCNE préconise le maintien de l’interdiction de « provoquer délibérément la mort » en laissant seulement la possibilité d’endormir ou de laisser mourir le patient. Mais, signe d’une inédite intensité des discussions, l’avis officiel – corédigé par le médecin Régis Aubry – est cette fois-ci suivi de deux contre-avis appelant à une claire dépénalisation et signés par huit des quarante membres du Comité, dont le philosophe André Comte-Sponville. Les deux hommes ont accepté de rejouer pour nous ce débat crucial, urgent, et qui cependant ne supporte que le sens de la nuance.
André Comte-Sponville : Le débat sur l’euthanasie est très différent des questions bioéthiques qui nous ont été posées ces dernières années. Avec les tests génétiques prénataux, la recherche sur les embryons, les mères porteuses, le CCNE était confronté à des questions neuves, techniquement compliquées, sur lesquelles la plupart d’entre nous n’avions aucun avis préconçu. Nous nous informions longuement avant de délibérer et parvenions en général à un consensus. Mais s’agissant du débat sur la fin de vie, ce n’est pas un problème nouveau, il est techniquement relativement simple, et nous savions dès le début que nous ne parviendrions pas à nous mettre d’accord. Ceci explique que le CCNE ait décidé de publier deux avis divergents. Or, dès lors qu’il n’y a pas de consensus éthique entre personnes honnêtes, informées et de bonne foi, c’est au politique de trancher. Le bon modèle, c’est la loi Veil sur l’avortement. Cette loi n’a pas résolu le problème éthique : l’avortement est-il moralement acceptable et dans quelles conditions ? Elle n’a pas dit le bien et le mal, mais le légal et l’illégal : l’avortement est autorisé dans les douze premières semaines de grossesse. Si le CCNE avait existé alors et avait dû se prononcer, je crains que, pour les mêmes raisons que sur la fin de vie – la forte représentation des courants religieux et du monde médical –, il eût répondu par la négative.
Régis Aubry : Je suis d’accord. In fine, en démocratie, c’est au Parlement de trancher sur ces questions. Il reste que la mission du CCNE n’est pas seulement de donner son avis mais d’éclairer la complexité des questions posées. Montrer que l’essentiel est dans la nuance et la subtilité. Éviter cette tendance un peu populiste à vouloir des réponses simples à des problèmes complexes. Bref, sortir le débat public des affrontements entre « pour » et « contre ».
A. C.-S. : Ce n’est pas tant un conflit de valeurs qui nous oppose, qu’un conflit entre deux hiérarchies de valeurs. Tout le monde considère que la vie est une valeur, comme tout le monde considère que la liberté est une valeur. Mais certains mettent le respect de la vie encore plus haut que la liberté, et donc sont amenés à s’opposer à l’interruption volontaire de grossesse hier ou à l’euthanasie aujourd’hui. Et d’autres, au contraire, mettent le respect de la liberté au sommet. Ce qui est mon cas : je suis un libéral, de gauche certes, mais libéral. De quel droit l’État prétend-il m’interdire de décider de ma propre vie ?

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