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dimanche 26 mai 2019

Quand s'autoriser l'émotion améliore la décision médicale

Sabrina Moreau
| 25.05.2019



  • Emois

    Quand s'autoriser l'émotion améliore la décision médicale

Alex_Po / Adobe stock
Dans « L’éthique médicale »*, le philosophe Pierre le Coz invite les médecins à ne pas lutter contre leurs émotions lorsqu'ils doivent prendre une décision.

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2009. Gary Reinbach, 22 ans, alcoolodépendant, est atteint d'une grave cirrhose. Les médecins londoniens sont confrontés à un dilemme éthique : réserver un greffon de foie à ce jeune homme qui ne doit pas avoir bu depuis six mois, ou l'attribuer à un autre patient. Faute de pouvoir garantir son sevrage, ils estiment qu'il n’y est pas éligible. Gary finit par mourir : l’équipe médicale a opté pour la décision « la moins pire ». « Le sens de l’hospitalité inclinait à lui accorder sa chance et à le greffer en urgence. En même temps, le greffon aurait pu servir à d’autres patients, dont les chances de survies étaient plus élevées », expose Pierre le Coz, professeur de philosophie à la faculté de médecine de Marseille. L'épisode avait largement ému la Grande-Bretagne. Il illustre l'impossibilité, dans certaines situations, de répondre à deux exigences contradictoires, ici la compassion et l'intérêt collectif.

La collégialité salutaire
Certaines situations médicales imposent des sacrifices. Lorsqu'un malade va bientôt mourir après de grandes souffrances, faut-il le lui annoncer ? Se pose alors un choix cornélien entre l’empathie et la vérité. Opter pour la compassion et la bonté passe par le mensonge (par omission). Être sincère entraînera une grande détresse. « Dire à quelqu’un qu’il va mourir, c’est le tuer deux fois », affirmait Michel Onfray dans nos colonnes. Le problème se pose d'autant plus que la loi Kouchner du 4 mars 2002 accorde à tous les patients le « droit à l'information sur son état de santé comme au respect de sa volonté de ne pas être informé ».
Soumis à l'obligation de « décider » sans y parvenir à cause d'un cas de conscience, le médecin peut ressentir une angoisse. On a coutume d’opposer à tort l’émotion à la raison, expose le spécialiste de l’éthique. Bien appréhendée, cette anxiété débouche sur une attitude appropriée, en conduisant par exemple le praticien à s’ouvrir aux autres avant de décider.
« On délibère avec d’autres quand les enjeux dépassent les strictes dimensions techniques et scientifiques », souligne le philosophe qui salue la collégialité renforcée dans la loi du 2 février 2016 ouvrant de nouveaux droits aux patients. Il ne faut pas croire « que la science permet de dissiper les doutes. En de nombreux cas, elle conduit bien plutôt à dissiper les certitudes auxquelles on se cramponne fébrilement ».
Le médecin doit donc regarder ses ressentis comme des alliés. « Toute émotion n’est pas éthique, mais il n’y a pas d’éthique sans émotions », affirme l'ancien vice-président du CCNE. Elles révèlent au praticien ses valeurs profondes, ce qui l’aide à améliorer sa pratique.
Pour une mauvaise nouvelle, un praticien qui ressent de l'empathie l'annoncera avec tact. De même, ressentir de l’estime pour un patient courageux face à la maladie peut aussi avoir une influence salutaire. Qui le disposera à s’effacer pour laisser le malade s’exprimer librement. « Lorsqu’un médecin se sent poussé à faire participer un patient à une décision qui engage son avenir, ce n’est pas uniquement parce qu’un texte de loi lui réclame d’être loyal. C’est aussi et plus fondamentalement parce qu’il éprouve du respect pour lui », explique le philosophe.
*L'éthique médicale, approches philosophiques", de Pierre le Coz, Presses de L'université de Provence, 157 p.

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