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mardi 28 mai 2019

Régulation téléphonique en pédiatrie

Publié le 23/05/2019




M. SZNADJER
Hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt

La consultation par téléphone fait partie du quotidien des familles et des pédiatres. Depuis 2005, le Groupe de pédiatrie générale (GPG) de la Société française de pédiatrie a mis à la disposition des médecins un outil d’aide à l’orientation à partir des demandes de conseils téléphoniques. M. Sznadjer et B. Chevallier font le point sur les enseignements tirés par ce groupe quant aux implications éthiques et juridiques du conseil téléphonique.

Le développement des moyens de communication, les modifications des modes de vie, l’exigence d’une réponse rapide à un problème posé pour obtenir des informations et/ou des conseils de son médecin ont conduit, à côté des consultations classiques, à utiliser davantage le téléphone, la télétransmission et internet. La pédiatrie est particulièrement concernée par cette évolution. La consultation par téléphone fait partie du quotidien des familles comme des médecins. Elle est largement souhaitée par les familles qui y voient un moyen simple d’obtenir une réponse rapide à leurs interrogations, mais elle est redoutée par les médecins conscients des difficultés inhérentes à ce mode d’exercice, avec les conséquences judiciaires possibles d’une éventuelle erreur d’appréciation. Cette inquiétude justifiée des pédiatres libéraux mais également hospitaliers a conduit depuis une quinzaine d’années un certain nombre de pédiatres du Groupe de pédiatrie générale (GPG) de la Société française de pédiatrie à organiser une réflexion médicale, éthique et juridique sur ce thème et à mettre en place, dès 2005, un outil réactualisé tous les 6 ans d’aide à l’orientation à partir d’une demande de conseils téléphoniques.

Les consultations téléphoniques : une réalité

De nombreuses études portant sur la pédiatrie libérale et/ou hospitalière s’accordent sur un même constat : le nombre de consultations téléphoniques augmente régulièrement depuis les années 1970. En France, les services d’urgences pédiatriques hospitalières reçoivent entre 25 et 50 appels par jour et les pédiatres libéraux reçoivent entre 15 et 25 appels par jour, selon une étude récente portant sur l’Ile-deFrance(1). Les appels concernent essentiellement des enfants jeunes (< 24 mois). Les pathologies aiguës sont le plus souvent en cause : 12 symptômes représentent plus de 85 % des motifs d’appel : fièvre, diarrhée, vomissements, toux, gêne respiratoire, mauvaise prise de biberons, pleurs, trouble du comportement, traumatisme, éruption cutanée, otalgie, constipation. Le suivi d’une pathologie chronique ou la surveillance de l’évolution d’une pathologie aiguë ne représentent que 10 % des appels des familles(2,3). Un créneau horaire est réservé par certains pédiatres, qui refusent d’interrompre leur consultation au cabinet, alors que d’autres répondent à tout mo - ment. Le matin et la fin d’aprèsmidi sont les temps d’appels les plus fréquents. Une orientation hospitalière ne concerne que moins de 5 % des appels dans les études anglo-saxonnes(2,3) et dans 50 % des cas, voire 75 % des cas dans l’étude francilienne(1) , la situation ne nécessite pas de consultation immédiate.

Les contraintes

L’appréciation d’une situation repose sur les informations fournies par la famille et les réponses aux questions posées par le médecin. Deux études à partir d’observations factices : une fièvre et une diarrhée du nourrisson illustrent bien les difficultés rencontrées. Ainsi, dans respectivement 18 % (fièvre)(4) et 38 % (diarrhée) (5) des cas, l’orientation proposée à l’issue de l’entretien téléphonique n’était pas jugée pertinente en regard d’un référentiel nord-américain (6). Une analyse plus précise des réponses montre que les erreurs d’appréciation sont liées à une omission de questions importantes (60 %), une mauvaise interprétation des questions posées (23 %) ou un défaut d’appréciation objective des familles (10 %). La comparaison entre les questions posées par le médecin lors de l’entretien téléphonique ou lorsque la situation clinique est proposée « à froid » montre que le problème n’est pas une méconnaissance de la part des médecins des facteurs de gravité. Il semble plutôt lié aux circonstances particulières de la consultation téléphonique : brièveté de la durée de l’entretien (2’45 en moyenne), anxiété familiale, manque de disponibilité intellectuelle du médecin devant gérer simultanément un enfant au cabinet.
Résultats de l’évaluation de l’outil d’aide à l’orientation, après demande de conseils téléphoniques aux urgences pédiatriques, du GPG de la SFP.

Les considérations éthiques et médico-légales : vers des recommandations

Peut-on refuser de donner des conseils par téléphone ? À cette question, chaque praticien tend à apporter une réponse qui lui est propre. Le problème se pose différemment s’il s’agit d’une famille connue, d’un enfant suivi régulièrement par la médecin ou d’un enfant présentant une pathologie chronique. La connaissance de l’enfant et de sa famille et de la capacité de celle-ci d’évaluer la situation de son enfant rend cet exercice acceptable. Il est plus difficile de prôner la même attitude lorsque la famille n’est pas connue du praticien. Il est peut-être préférable, dans ces situations, de proposer de voir l’enfant systématiquement.
Cette situation est fréquente en pédiatrie ambulatoire lors des gardes et aux urgences hospitalières où plus de 90 % des appels concernent des enfants inconnus du service des urgences pédiatriques. Les services d’urgence hospitalière se sont organisés pour faire face à cette demande. D’autres services répercutent tous les appels vers le Centre 15, arguant du manque de disponibilité des médecins présents aux urgences pédiatriques. L’Académie américaine de pédiatrie a récemment proposé dans cette situation des recommandations (cf. article page 8) qui visent à réduire le risque d’erreurs dans un pays dans lequel la judiciarisation de la médecine est forte (7). Les recommandations consistent à pro - poser dans tous les cas de voir l’enfant si la famille le souhaite ou s’il existe un doute dans l’esprit du médecin. Un autre point fort est le danger souligné de confier à la secrétaire (ou l’infirmière) le soin de répondre à la place du médecin. Les médecins ont une responsabilité civile ordinaire. C’est une responsabilité contractuelle traditionnelle établie depuis 1936 par l’arrêt Mercier. Le médecin établit un contrat « moral » avec son patient, le contrat médical. Le médecin a une obligation de moyens « soins attentifs, cons ciencieux et conformes aux données actuelles de la science ». L’exercice de la consultation téléphonique n’échappe pas à ce principe et constitue plutôt un facteur aggravant du risque(8) .

Outils d’aide à l’orientation

Ne pas répondre au téléphone est illusoire, et ne répondre qu’aux familles connues expose à des conséquences médico-judiciaires. L’exercice de la médecine au téléphone impose d’être particulièrement vigilant en l’absence d’informations que l’on pourrait tirer de l’observation et du contact physique avec l’enfant malade. L’appréciation repose sur le dialogue entre le parent et le médecin, et les réponses aux questions posées par le praticien. L’importance du questionnement a conduit certaines équipes à la mise au point de protocoles écrits (Centre Antipoison, Centre 15). Une expérience est menée depuis 10 ans au Colorado répercutant sur un centre d’appels toute demande de conseils arrivant chez un médecin (2) . Pour chaque motif d’appel téléphonique, une grille de questions est proposée permettant une orientation adéquate. Une évaluation sur plus de 2 millions d’appels a montré la pertinence de l’outil. Comme dans tous les domaines de leur champ d’action, les médecins doivent pouvoir adosser leurs attitudes et leurs réponses au téléphone à des recommandations validées susceptibles d’améliorer leurs pratiques professionnelles et de réduire les risques pénaux encourus. L’absence de procédure standardisée et de formation spécifique à l’entretien téléphonique est associée à un risque accru d’erreurs d’orientation (9,10). Ainsi, à la lumière des expériences de la littérature, le Groupe de pédiatrie générale de la Société française de pédiatrie a mis en place un outil d’aide à l’orientation après demande de conseils téléphoniques. Cet outil permet à l’aide de questions, dont l’ordre et l’énoncé sont clairement définis pour les motifs d’appel les plus courants (23 symptômes ont ainsi été identifiés), de choisir l’orientation la plus pertinente. Une troisième édition est disponible sur application (Androïd et Apple Store), destinée aux internes et aux urgentistes hospitaliers. Une quatrième version en cours de finalisation se décline en trois ouvrages différents selon l’exercice des médecins : libéral, hospitalier ou centre de régulation. Le nombre de questions est réduit par rapport aux éditions précédentes. Cette refonte bénéficie des conclusions de l’évaluation de 2015 faite auprès de 50 pédiatres libéraux et de 25 pédiatres hospitaliers utilisant ce guide régulièrement.

Implications pour l’avenir

Les soins par téléphone jouent aujourd’hui un rôle significatif dans la pratique pédiatrique. Les médecins peuvent gérer le risque médico-légal lié aux appels téléphoniques par le biais de procédures de réponses prudentes, d’une délégation d’appels au profit d’un personnel médicalisé qualifié, de l’usage de référentiels de soins standardisés et adaptés au téléphone, ainsi que d’une prise de renseignements standard conséquente. Ce mode d’exercice n’est pas la panacée et, dans tous les cas, une consultation classique au cabinet ou à l’hôpital doit être privilégiée. Parce que l’on ne peut pas refuser de répondre, parce que l’on ne pourra jamais voir en consultation tous les enfants, le téléphone continuera, dans les années à venir, de faire partie du paysage médical, en attendant les demandes de consultation par internet, étayées de photos télétransmises. L’Académie américaine de pédiatrie l’a bien compris et les recommandations proposées en 2008 ont été revues en 2016, mais peu modifiées : elles visent à prendre en compte la réalité de cet exercice en l’encadrant par des règles de fonctionnement plus précis, avec un objectif médico-légal plus évident. Le caractère inévitable et désormais institutionnalisé du conseil téléphonique, et les exigences de disponibilité et de confidentialité chères aux familles, font que ce type de recommandations devrait inspirer, dans l’esprit sinon dans la lettre, notre pratique pédiatrique. L’organisation de la réponse téléphonique telle qu’elle est mise en place au Québec (Canada) et au Colorado (Etats-Unis), reposant sur des personnels infirmiers longuement formés à ce mode d’exercice peut-elle être imaginée dans notre pays ? Oui, certaines villes le mettent en place et ont pu montrer un impact sur les arrivées aux urgences, voire l’amélioration des connaissances en termes d’éducation plus globale à la santé des familles. Si la faisabilité de cette organisation est maintenant bien démontrée, le poids de nos habitudes culturelles et les difficultés financières doivent être d’abord surmontés. Est-il facile d’accepter que des paramédicaux (infirmières, puéricultrices) demain aient en charge ce mode d’exercice de la pédiatrie et peut-être après-demain des personnels sans aucune formation médicale ou paramédicale de base (employés d’entreprises à but commercial) ?
Certains auteurs nord-américains le reconnaissent à partir d’études montrant une orientation pertinente quel que soit le répondant s’il existe des protocoles standardisés (11). Le développement des Centres 15 et la définition de missions complémentaires, l’octroi de moyens humains et matériels supplémentaires, la participation active des pédiatres libéraux sont actuellement préconisés dans les nouveaux décrets portant sur la permanence de soins. Une organisation de ce type pourrait réguler en amont l’afflux des passages aux urgences pédiatriques de nos hôpitaux, comme cela a été montrée à Denver. Cet impact n’a pas été évalué au Québec.

Conclusion

La parution à l’été 2018 de textes indiquant le mode de rémunération de cet exercice, au même tarif qu’une consultation standard en face-àface, les recommandations de la HAS appliquées à la télémédecine, proposent un cadre technique et réglementaire autour de cet exercice de la médecine à distance et la possibilité d’un envoi d’ordonnance par fax ou mail dans des conditions bien précises. L’objectif d’un accès aux soins le même pour tous dans les régions médicalement en souffrance devient un des points forts de la stratégie nationale de santé et la télémédecine en est un outil privilégié. Ces quelques points concernant la pédiatrie par téléphone doivent permettre une réduction du risque de procédures judiciaires à l’encontre du pédiatre, tout en garantissant une qualité de soins minimale au profit du patient, mais ne peuvent en aucun cas se substituer complètement à la multitude d’interactions permises par un examen « en face-à-face ».

Références

1. Assathiany R et al. Activité téléphonique en pédiatrie ambulatoire. Arch Pediatr 2003 ; 10(8) : 689-93.
2. Poole SR et al. After-hours telephone coverage: the application of an area-wide telephone triage and advice system for pediatric practices. Pediatrics 1993 ; 92 : 670-9.
3. Kempe A et al. Appropriateness of referral for after-hours evaluation using an automated pediatric telephone triage system. Ambulatory Pediatric Association, New Orleans 1998, May ( abstract).
4. Carbajal R et al. Conseils téléphoniques donnés par un service d’urgences pédiatriques : à partir d’un cas stimulé. Arch Pediatr 1996 ; 3 : 964-8.
5. Gorget V. La réponse téléphonique en pédiatrie, Thèse Médecine, Paris 2001.
6. Schmitt BD. Pediatric Telephone Protocols. Decision Press, 2000 Denver, Colorado, USA.
7. Hertz AR. Take steps to reduce risk associated with phone triage. AAP news 2002, dec 1-5.
8. American Academy of Paediatrics. Pediatric call centers and the practice of telephone triage and advice : critical success factors. AAP news, 1998 nov, 1-6.
9. Wachter DA et al. Pediatric telephone triage protocols standartized decision making or a false sense of security. Ann Emerg Med 1999 ; 33 : 388-94.
10. Hildebrandt DE et al. After hours telephone triage affects patient safety. J Fam Pract 2003 ; 52(3) : 222-7.
11. Lee TJ et al. Does telephone triage delay significant medical treatment? Advice nurse service vs on-call pediatricians. Arch Pediatr Adolesc Med 2003 ; 157(7) : 635-41.


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