Elisabeth Roudinesco
Le monde des livres 30 mai 2019
Une enquête problématique sur les enfants différents
Andrew Salomon, Les enfants exceptionnels. La famille à l’épreuve de la différence (Far From the Tree : Parents, Children and The Search of Identity, traduit de l’anglais (USA) par Anne Véronique Barancourt et Christine Vivier, Fayard, 1180 p. 39 e.
Journaliste, écrivain, psychologue, Andrew Salomon a passé dix-huit ans de sa vie à recueillir des témoignages auprès de quatre cents familles américaines à la recherche de leur identité « verticale » (innée) et « horizontale » (acquise), et dont il dit, dans le titre original de ce best-seller, qu’elles sont « loin de l’arbre ».
Aussi bien dresse-t-il une liste à la manière de Georges Pérec, au sein de laquelle il réunit des histoires de vie et de souffrances. Il définit plusieurs catégories d’humains qu’il regarde cohabiter comme le ferait un soigneur animalier sorti tout droit d’une ménagerie de verre : sourds, nains, trisomiques, autistes, schizophrènes, prodiges, transgenres, noirs, latinos, etc. A quoi s’ajoutent des polyhandicapés : hydrocéphales, infirmes moteurs cérébraux, aveugles, etc.
Salomon décrit avec minutie l’existence quotidienne de ces enfants et de leurs parents. L’ennui c’est qu’en lisant ce livre – qui a donné lieu à un film documentaire – on se demande pourquoi l’auteur met sur le même plan une orientation sexuelle (queer, transsexualisme), des pathologies génétiques (trisomie 21, achondroplasie, etc.), des situations sociales (enfants perturbés), des couleurs de peau, des maladies mentales et enfin des handicaps majeurs. Salomon répond en affirmant que toute « différence » n’est rien d’autre qu’une identité socialement construite et subjectivement vécue comme une discrimination.
Certes, le travail d’enquête est passionnant mais, au fil des pages, on éprouve une sorte de malaise quand l’auteur explique à quel point les parents de ces enfants sont heureux de les élever pour mieux se défaire des préjugés de la société. Et puis on découvre bientôt la signification de son combat. A propos de la trisomie, il condamne le recours à l’avortement et fustige les 93% de femmes qui le choisissent, suite à une amniocentèse, affirmant que le fœtus est déjà un être humain. Il préconise l’opération de réassignation chirurgicale chez les enfants transgenres non pubères afin de les doter d’une identité heureuse. Enfin, s’agissant des sourds, il déplore l’utilisation précoce des implants cochléaires qui risque de faire disparaître un jour la langue des signes.
Espèces identitaires
Qu’on ne s’y trompe pas ! L’auteur n’est pas un obscurantiste religieux mais un progressiste qui explique, par son autobiographie, les raisons de son engagement militant en faveur d’une nouvelle humanité échappant à l’unicité du genre humain pour se diviser en multiples espèces identitaires. Dyslexique, issu d’un père juif et d’une mère habitée par la haine de soi juive, maltraité dans son enfance, homosexuel honteux puis heureux, il a réussi à accéder à la paternité grâce aux merveilles de la gestation pour autrui. Convaincu au moment de l’accouchement que son enfant serait handicapé, il a fini par accepter qu’il soit « normal » : « Parfois j’ai pensé que les parents héroïques de ce livre étaient fous en s’asservissant à leur enfant étrange une vie entière (…) J’ai été surpris de découvrir (…) que j’étais prêt à les rejoindre sur leur passerelle. » (p. 892).
Bienvenu dans le monde merveilleux du bonheur identitaire ! Tel pourrait être le credo de cette étrange aventure généalogique.
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