Malgré les réticences de certains Etats membres, l’organisation réunie en session annuelle s’est prononcée pour une meilleure information sur les prix, déterminants pour l’accès à de nombreux traitements.
La bataille est longtemps restée indécise, mais, après plusieurs jours de tractations, la soixante-douzième assemblée annuelle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ouverte le 20 mai, s’est achevée, mardi 28 mai à Genève, par l’adoption d’une résolution sur le sujet le plus épineux de son ordre du jour : l’amélioration de la transparence des marchés de médicaments, de vaccins et d’autres produits sanitaires.
Même si elles regrettent que le texte ait été en partie édulcoré, les ONG voient dans ce vote une victoire qui marque un tournant. Bien qu’il n’ait pas de valeur juridique contraignante, le document invite les Etats-membres de l’OMS à renforcer le partage public des informations sur les prix réels payés par les gouvernements et les autres acheteurs de produits de santé, et à améliorer la transparence sur les déterminants de ces prix afin de faciliter l’accès aux traitements. « Il appartient maintenant aux Etats de s’en saisir et de la mettre en œuvre. Quant aux ONG, elles devront se montrer vigilantes pour s’assurer que cet engagement soit respecté », commente Marie Missioux, de l’association de lutte contre le sida Aides.
La question de l’accès aux médicaments et produits de santé, notamment les plus innovants, apparaissait il y a vingt ans comme un problème de pays pauvre. Le coût des traitements contre le VIH les rendait inabordables pour les régions les plus touchées. L’épreuve de force qui s’engageait alors entre les pays du Sud, appuyés par la société civile au Nord, et l’industrie pharmaceutique, soutenue par les gouvernements les plus riches, a abouti à des mécanismes qui ont permis de mettre sous traitement des millions de personnes vivant avec le VIH. Outre la mise sur pied d’une source multilatérale de financement avec le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, le recours aux médicaments génériques et la pratique de prix différenciés selon les ressources du pays ont fait la différence.
Les industriels justifient la hausse continue du prix des médicaments par le coût croissant de la recherche et du développement nécessaire à la mise au point de nouvelles molécules. De plusieurs centaines de millions de dollars, les estimations avancées par les entreprises pharmaceutiques ont franchi le cap du milliard et avoisinent les 2 milliards de dollars, en raison de l’augmentation du coût des essais cliniques, de leur durée accrue et d’un taux d’échec plus élevé.
1,9 million d’euros la dose unique
L’arrivée, à partir de 2015, de nouveaux traitements de l’hépatite C du laboratoire Gilead, aux avantages multiples, a marqué une nouvelle étape. Vendus aux Etats-Unis au prix de 84 000 dollars par malade, ou à plusieurs dizaines de milliers d’euros dans différents pays d’Europe, ils ont confronté à leur tour les pays les plus riches aux difficultés de l’accès aux traitements les plus performants pour les patients qui en ont besoin. Et le sujet est loin d’être résolu. Il y a quelques jours, Novartis a obtenu l’autorisation de mise sur le marché du Zolgensma, thérapie génique au prix de 2,125 millions de dollars (1,9 million d’euros) la dose unique !
C’est dans ce contexte qu’une résolution sur la transparence des marchés des médicaments a été mise à l’ordre du jour de l’assemblée annuelle de l’OMS par une vingtaine de pays, parmi lesquels l’Italie, l’Espagne ou le Portugal pour l’Europe et l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Egypte, l’Inde ou encore la Malaisie pour les pays du Sud.
Comme c’est l’usage à l’OMS, le texte fait l’objet de discussions à huis clos, en commission, et c’est le document final sur lequel les Etats membres se sont accordés qui est présenté. L’opposition de l’industrie pharmaceutique à des données qu’elle considère comme relevant du secret commercial a trouvé des avocats zélés parmi certains Etats membres de l’organisation. Ce qui aurait pu rester à l’abri des portes des salles de commission a été révélé au grand jour, avec la diffusion par le secrétariat de l’OMS de versions intermédiaires de la résolution, dans lesquelles figurait pour chaque amendement le nom des pays qui l’appuyaient.
« L’Allemagne et le Royaume-Uni au premier rang, ainsi que la Suède, le Danemark ou l’Australie ont tout fait pour s’opposer à la résolution. Nous avons même pensé qu’ils pourraient en obtenir le report à 2020, relate Pauline Londeix (de l’association Act Up-Bâle). Les Etats-Unis et la France ont finalement soutenu le texte issu d’un compromis après nous avoir donné des inquiétudes sur leurs intentions. »
Le représentant permanent de la France auprès des Nations unies à Genève, François Rivasseau, a rappelé après l’adoption que « la transparence des prix est un sujet que la France porte de longue date » et a promis un « ferme engagement pour [l’]améliorer ». Il a cependant exprimé des réserves sur les « conditions non optimales » des discussions. Quant au représentant des Etats-Unis, il a adopté un ton inattendu en évoquant le « soutien enthousiaste » des Etats-Unis à la transparence et à la publication des prix.
« Négocier équitablement pour la santé de la population »
Pour James Love, de l’ONG Knowledge Ecology International, l’un des meilleurs experts sur la propriété intellectuelle, le « texte retenu ne comporte plus comme la version initiale une référence explicite à la transparence sur les coûts de recherche et développement et sur les dépenses de marketing. C’est une autre victoire qu’il nous faudra remporter. »
Néanmoins, il souligne le pas en avant accompli : « En établissant une norme sur la transparence des prix émanant d’une agence des Nations unies, cette résolution va changer beaucoup de choses. » Pauline Londeix abonde dans le même sens en remarquant que « l’OMS a maintenant un mandat pour aider les Etats membres qui le souhaitent à mettre en place des mesures permettant davantage de transparence ».
De son côté, la responsable de la politique de la campagne d’accès aux traitements de l’ONG Médecins sans frontières, Gaëlle Krikorian, insiste sur le fait que la résolution constitue un « premier pas bienvenu pour corriger le déséquilibre du pouvoir existant actuellement au cours des négociations entre acheteurs et vendeurs de médicaments, en donnant aux gouvernements l’information dont ils ont besoin pour négocier équitablement et de manière responsable pour la santé de leur population ». Elle estime toutefois que la transparence sur les prix ne suffit pas et qu’elle doit s’étendre aux coûts de production, aux marges et aux investissements.
Les Etats opposés à la résolution ont choisi de ne pas empêcher son adoption par consensus en votant contre, mais l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Hongrie, notamment, ont annoncé qu’ils s’en dissociaient. Ces trois pays n’ont donc pas l’intention de la mettre en œuvre.
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