Dans la révolution technologique que nous vivons, « l'homme doit garder la main et il le peut », a rassuré le Pr Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), en préambule de la présentation de l'avis 130, ce 29 mai. Ce document, réponse à une saisine de Marisol Touraine de janvier 2017, pose les jalons pour penser à nouveaux frais l'éthique à l'heure des données massives (ou big data), loin des fantasmes, en renvoyant dos à dos technophilie et technophobie.
Les big data représentent une rupture scientifique par leur volume, l'instantanéité et la mondialisation de leur diffusion et leur éventuelle duplication à l'infini, assure l'un des rapporteurs, le juriste Pierre Delmas-Goyon. Les frontières traditionnelles (vie privée/publique, soin/commerce, intérêt personnel/général) se brouillent : toute donnée est potentiellement donnée de santé, y compris les plus anodines (par ex. : sa liste de courses) lorsqu'elles sont croisées avec d'autres.
Réaffirmer l'exigence de la protection de la personne
Dans ce nouveau contexte, la notion de consentement libre et éclairé, exigé a priori, est profondément remise en cause. Comment un patient peut-il consentir à l'exploitation de ses données lorsque la finalité est incertaine ou changeante ? Lorsqu'il n'a aucune prise sur les algorithmes ? Signe des temps, le RGPD (règlement général sur la protection des données) ne fait plus du consentement le seul critère de licéité du traitement des données (figurent aussi la recherche ou l'intérêt général).
Le CCNE appelle donc à une vaste réflexion sur cette notion (débordant les big data). De même, il serait pertinent de (re)définir les concepts de donnée (est-elle une chose détachée de la personne ou son prolongement imagé, à l'origine d'un profil numérique ?) et de vie privée, souligne le second rapporteur, la chercheuse Laure Coulombel.
En attendant, le comité prend acte de ce passage d'un contrôle a priori à une logique a posteriori, qui exige « une loyauté de comportement des responsables du traitement, une transparence de leurs procédures et déontologie ».
Établir la confiance
Puisque la transparence et le contrôle absolu sont impossibles, le CCNE insiste sur la confiance qui doit exister entre le titulaire des données et ceux qui vont les collecter, les traiter, et y avoir accès.
« Cette confiance doit être donnée à un tiers, une gouvernance identifiée, une autorité de contrôle, qui va garantir l'information, l'utilisation des données, ainsi que les engagements des acteurs », explique Laure Coulombel.
Autre condition sine qua non à un climat de confiance, l'information donnée aux citoyens doit être précise, loyale et intelligible. Le comité plaide pour une sensibilisation de tous à la technologie dès l'enfance, et une sensibilisation à l'éthique des agents du numérique. Dans cette perspective, le Pr Delfraissy a indiqué qu'un comité national d'éthique numérique se mettait en place. Le CCNE aide à en dessiner le comité pilote (qui pourrait être à pied d'œuvre d'ici la fin de l'année), notamment en lui insufflant la culture de l'indépendance et de la transdisciplinarité.
Doit également être affirmée une « garantie humaine », c’est-à-dire la présence de l'humain à toutes les étapes du processus de recueil et de traitement des données, pour vérifier la qualité et la pertinence de la sélection, l'adéquation des traitements algorithmiques, et la robustesse des résultats.
Le dialogue doit primer dans le soin
Le CCNE appelle à différencier les approches éthiques selon les contextes pour trouver au cas par cas le point d'équilibre permettant de jouir des bénéfices des avancées scientifiques sans sacrifier les principes éthiques.
Dans le soin, les nouvelles technologies fragilisent trois principes : le secret médical, la responsabilité de la décision, la relation personnelle médecin-patient. Mais elles permettent aussi d'identifier des signaux d'alerte chez un patient (via la surveillance thérapeutique en vie réelle), d'améliorer les diagnostics ou de décrire l'état sanitaire de populations. Le comité appelle donc à circonscrire ces technologies à l'aide à la décision, tandis que le temps dégagé doit servir la relation interpersonnelle. « La donnée ne saurait remplacer le dialogue », lit-on. Au niveau national, le CCNE se dit favorable au Health Data Hub en tant qu'il représente une plateforme nationale de données mutualisée, garante de l'autonomie stratégique de la France.
Dans les protocoles de recherche, le CCNE met en avant la confiance que le patient doit avoir dans la gouvernance des données. Ce qui peut passer par une garantie donnée par l'institution via un comité de gouvernance et par le développement d'autres modalités de consentement comme le consentement dynamique (échange continu entre comité de gouvernance et participant). Le comité se prononce enfin en faveur d'un accès des chercheurs à des données collectées sur internet ou les réseaux sociaux.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire