Six mois après les attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo etl’Hyper Cacher, les fusillades de Montrouge et de Dammartin-en-Goële, qui ont causé la mort de dix-sept personnes, 38 % des « civils » (proches, riverains, commerçants…) exposés aux événements présentaient au moins un trouble de santé mentale : 20 % répondaient aux critères d’un état de stress post-traumatique (ESPT), 10 % souffraient de dépression caractérisée, et 30 % de troubles anxieux.
Prise en charge très bénéfique
Tels sont quelques-uns des premiers résultats de l’enquête lancée par Santé publique France et l’agence régionale de santé Ile-de-France, rendus publics lundi 6 juin sur le site de ces agences. Au total, 232 intervenants (forces de l’ordre, pompiers, secouristes, associations…), et 190 civils touchés de plus ou moins près par ces quatre événements ont participé à cette étude originale, appelée « Impacts » (Investigation des manifestations traumatiques postattentats et de la prise en charge thérapeutique et de soutien).
Les 422 volontaires ont été classés en trois catégories, selon leur degré d’exposition. D’abord, les individus « directement menacés » (qui ont assisté aux tueries, aux prises d’otages, entendu la voix ou vu des terroristes, ont eu une arme pointée sur eux, etc.). C’était le cas de 58 personnes (30 %) dans la population civile et de 14 (6 %) des intervenants. Ensuite, ceux qui ont été « indirectement menacés » (qui ont vu du sang, des corps, ont fui…). Enfin, les « impliqués » (témoins plus à distance, personnes endeuillées…). L’enquête a été menée avec des entretiens par une vingtaine de psychologues formés au psycho trauma.
« Chez les civils, les conséquences psychopathologiques se révèlent d’autant plus fréquentes que le gradient d’exposition était élevé, souligne l’épidémiologiste Stéphanie Vandentorren, responsable de la cellule régionale Ile-de-France de Santé publique France, qui a piloté l’étude. Ainsi, un ESPT est présent chez 31 % des personnes qui ont été directement menacées, beaucoup moins chez celles indirectement menacées (12 %) ou impliquées (11 %). » Une proportion élevée de troubles somatiques (fatigue, troubles ostéoarticulaires…) a aussi été constatée. 44 % ont dû consulter. Plus d’un sur cinq (22 %) a indiqué avoir augmenté sa consommation d’alcool, de tabac ou de cannabis. « Ça permet de ne pas penser », disent des participants. Près d’un tiers (soit 60 personnes) s’est retrouvé à un moment dans l’impossibilité de travailler pour raisons de santé. Au bout de six mois, 11 (6 %) n’avaient pas repris leur activité professionnelle.
Autre enseignement, la prise en charge psychologique précoce et active, notamment par les cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP), semble porter ses fruits. Ceux qui en ont bénéficié, soit la moitié des civils exposés, ont deux fois moins de troubles six mois après que ceux qui n’y ont pas eu recours : 35 % versus 65 %. « Seulement 7 % des personnes ont consulté de leur propre initiative, et d’autant moins qu’elles étaient directement menacées »,insiste Stéphanie Vandentorren. « Neuf mois après les événements, des personnes en souffrance n’avaient bénéficié d’aucun soutien. Elles ne s’étaient pas fait connaître », renchérit le psychiatre Thierry Baubet, responsable de la CUMP de Seine-Saint-Denis (hôpital Avicenne, AP-HP), coordinateur scientifique de l’étude. Il faut selon lui « aller chercher les gens ».
Actions et formations
Du côté des intervenants, les répercussions psychologiques ont été beaucoup moins fréquentes. A six mois, l’ESPT concerne 7 personnes (soit 3 % des 232 intervenants), les troubles anxieux 32 (14 %). Comme pour les civils, un sur deux a été pris en charge sur le plan psychologique, le plus souvent au sein de son institution. « Le temps de mobilisation et la durée d’intervention étaient considérables, en particulier pour les forces de l’ordre et les acteurs de la prise en charge psy, et un tiers des intervenants étaient présents sur plusieurs des quatre sites », souligne le docteur Vandentorren.
Ces premiers résultats descriptifs seront consolidés et publiés. Ils ont été présentés aux autorités sanitaires et aux acteurs concernés, afin d’élaborer des recommandations. Il est ainsi préconisé de rendre plus systématique et plus large la prise en charge précoce et active.« L’enquête montre l’importance des cellules d’urgence, mais aussi la nécessité d’avoir des lieux où s’adresser à plus long terme car des demandes nous parviennent encore », explique Thierry Baubet. Quant aux professionnels et volontaires, ils sont incités à assurer des formations sur les conséquences psychiques de tels événements. Les attentats du 13 novembre ne font que renforcer cette nécessité.
La deuxième phase de l’enquête associe Santé publique France et l’Inserm. Le suivi de cette cohorte est d’autant plus important que certains des participants ont aussi été exposés aux attentats du 13 novembre 2015. L’agence de santé publique lance de nouveaux travaux relatifs à cette dernière vague d’attentats, pour étudier ses conséquences chez les milliers de personnes impliquées, et dans la population générale.
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