Alors que le bras de fer social s'éternise contre le projet de loi Travail, la remise du rapport de Philippe Laurent sur le temps de travail dans la fonction publique s'annonçait hautement risqué. In fine, le texte n'est pas un casus belli contre les fonctionnaires. C'est leur management qui est en cause, source d'inégalités et de quelques dérives.
Un bel imbroglio que cette remise du rapport de Philippe Laurent sur le temps de travail dans la fonction publique. Initialement, le président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, par ailleurs maire centriste de Sceaux (Hauts-de-Seine), était censé le rendre ce jeudi 26 mai au matin au Premier ministre Manuel Valls. Volte-face gouvernemental deux jours avant : le rendez-vous est reporté. D'aucuns estiment que le climat social ambiant n'était pas pour rien dans cette décision, histoire de ne pas provoquer des syndicats pour certains déjà bien chauffés à blanc ces derniers temps. Rétropédalage vingt-quatre heures plus tard puisqu'en fin de journée, ce mercredi, l'exécutif annonce que le rapport sera bien remis à la date prévue, non plus à Matignon mais "uniquement" à la ministre de la Fonction publique, Annick Girardin. Sa teneur avait, il est vrai, déjà fuité dans certains médias non sans quelques contre-vérités. Quant à Philippe Laurent lui-même, qui intervenait ce 25 mai à la Paris Healthcare Week sur les trente ans de la fonction publique hospitalière (FPH), il ne s'est pas caché pour confier publiquement combien il regrettait "profondément" le choix alors pris par le Premier ministre de reporter la remise. À l'heure où il intervenait, il n'était effectivement pas encore prévu qu'Annick Girardin remplace au pied levé Manuel Valls. "On était assez confiant de l'accueil" que recevraient les trente-quatre préconisations, déclarait alors l'élu local, parlant d'un travail "rigoureux" et "argumenté" pour une "enquête" nourrie par trois cents entretiens ou rencontres*.
"L'analyse purement comptable est à bannir"
À l'issue de la cérémonie officielle de remise du rapport ce 26 mai, Philippe Laurent a tenu à réaffirmer face à la presse, comme la veille devant les hospitaliers, que son intention n'était "pas de mettre le feu aux poudres". "Il n'y a rien d'explosif, a abondé Annick Girardin. Loin de moi (et je pense aussi parler pour le Premier ministre) l'idée de vouloir cacher les problèmes sous le tapis." Et d'assurer jouer sur ce dossier "la transparence la plus totale" face à un travail "inédit" et "qui fera date". "Il y a des anomalies, des dysfonctionnements et il faut les remettre à plat. Je ne me cacherai pas derrière mon petit doigt, il n'y a pas de questions taboues", a averti la ministre. Mais d'ajouter aussitôt n'avoir aucune volonté de remettre en cause la durée actuelle du temps de travail : "Les 35 heures sont la règle !" Face à l'état des lieux et aux préconisations de Philippe Laurent, elle promet donc d'engager "rapidement" une discussion avec les syndicats et d'écrire aux employeurs publics pour qu'ils se saisissent du sujet et corrigent les "dérives" parfois observées ici ou là. Comme l'a également martelé l'auteur du rapport dans une critique à peine voilée des récents discours tenus par les différents candidats à la primaire de la droite et du centre en vue de la présidentielle de 2017, les débats sur le temps de travail des fonctionnaires sont "trop souvent polémiques et bâclés". À l'inverse, il serait nettement plus bénéfique d'"objectiver un sujet complexe" dans "un esprit de transparence". Sur l'hôpital par exemple, toute "analyse purement comptable est à bannir" dans un versant où "il faut avoir la lucidité de poser la question des effectifs".
1 546 heures en moyenne par an dans la FPH
Pour y parvenir, encore faut-il disposer de données objectives, systématiques, consolidées et actualisées, ce qui n'est guère le cas actuellement. Elles sont au contraire "dispersées ou lacunaires". Par ailleurs, la mise en place des 35 heures dans la fonction publique, qui plus est à l'hôpital, a trop souvent consisté par précipitation à plaquer ce nouveau rythme de travail sur les organisations préexistantes. À l'inverse du secteur privé, cela n'a "pas entraîné les modifications d'organisation induites. Ainsi, l'existence de jours de fractionnement qui constituent des jours de congés supplémentaires ne se justifie plus du fait des jours de réduction du temps de travail (RTT)." De même, la réforme du début des années 2000 n'a pas suscité de remise à plat du corpus des autorisations spéciales d'absence qui existait précédemment : "Celui-ci a continué de s'enrichir, après 2001, de nouvelles possibilités portées par des logiques sectorielles, sociales, religieuses, climatiques, etc. sans que les conséquences sur l'employeur soient mesurées." S'ajoute une hétérogénéité des situations selon les territoires, services et établissements. Tout cela explique la différence parfois notable entre les temps de travail légal (1 607 heures annuelles) et réel (1 546 heures dans la FPH, soit 3,8% de moins que la durée réglementaire). Mais cette différence tient principalement à la nature même des missions confiées au secteur public (travail de nuit pour 17,5% des fonctionnaires contre 14,9% dans le privé, le dimanche pour 36% contre 25%). "Nous sommes très loin de l'image du fonctionnaire-feignant !", commente Annick Girardin. Pour autant, "quelques libertés" existant dans certains endroits, il importe de corriger le tir. D'où ces trente-quatre préconisations (à télécharger ci-dessous).
Normaliser les autorisations spéciales d'absence
Celles-ci se classent en quatre axes avec l'idée tout particulièrement de fixer les 1 607 heures comme moyenne effective de travail "quand aucune sujétion ne justifie un régime inférieur". Dans le détail des mesures, Philippe Laurent incite par exemple à : aligner le plafond d'heures supplémentaires et le temps de repos quotidien minimum dans la FPH sur les autres versants et supprimer le jour de fractionnement supplémentaire ; limiter les jours de fractionnement aux seuls hospitaliers travaillant 7 heures par jour, 35 heures par semaine et sans RTT ; développer l'annualisation du temps de travail ; adopter sous deux ans un régime uniforme en cas de création, regroupement ou fusion de services ; stopper la surrémunération du travail à temps partiel à 80 ou 90% ; borner au trimestre la consommation des heures supplémentaires effectuées ; évaluer tous les trois ans les 12 heures ; élaborer une norme commune pour les autorisations spéciales d'absence ; tester tous les dispositifs d'astreintes (nécessité, contreparties) et chercher à les mutualiser ; harmoniser les régimes dérogatoires pour sujétions et en réexaminer la liste tous les cinq ans ; restreindre les possibilités de choix de cycles de travail à quatre maximum, dont un à 35 heures par semaine et 7 heures par jour ; adopter dans chaque établissement une charte du temps actualisée tous les trois ans ; instituer un régime de forfait-jour obligatoire si les nécessités de service l'exigent ; rappeler les règles encadrant les heures supplémentaires (temps partiels, cadres au forfait) et empêcher leur génération par les agents eux-mêmes ; envisager une inspection du travail indépendante propre à la fonction publique...
* Pour mener à bien sa mission, Philippe Laurent était épaulé par deux inspecteurs généraux de l'administration (IGA), une inspectrice générale des finances (IGF) et deux inspecteurs généraux des affaires sociales (Igas), dont Jean-Paul Segade qui a par le passé dirigé l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM). L'Institut national de la statistique et des études économies (Insee) était également de la partie.
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