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lundi 6 juin 2016

Accouchement à domicile : controverses à demeure

 04/06/2016




Les quotidiens régionaux raffolent de ce type d’anecdote. Le 14 avril dernier, la Nouvelle République souhaitait la bienvenue à Octave, né quelques jours plus tôt au domicile de la sage-femme libérale suivant sa mère. Cette dernière avait en effet ressenti les premières contractions en faisant des courses à Tours et avait choisi de se rendre chez la sage-femme plutôt que de rejoindre l’hôpital. Cette arrivée avait donné l’occasion au quotidien d’évoquer le parcours de la sage femme en question, qui depuis des années « accompagne les futures mamans dans leur désir de donner naissance à leur enfant dans l’ambiance feutrée et sécurisante de leur domicile » décrivait la Nouvelle République. Cette présentation n’a pas été du goût de la présidente de l’ordre départemental des sages-femmes d’Indre-et-Loire qui fin mai a souhaité s’exprimer dans les colonnes du même quotidien afin de rappeler les risques associés à l’accouchement à domicile. Evoquant spécifiquement le cas de la praticienne citée par la Nouvelle République, Valérie Denais indique clairement : « Nous ne cautionnons pas et elle est au courant de notre position ». La représentante de l’Ordre alerte encore : « Même dans le cas des grossesses normales, on n’est jamais à l’abri d’avoir à pratiquer une césarienne en urgence pour éviter un risque d’asphyxie du nourrisson ou d’une hémorragie de la délivrance, totalement imprévisible ». Cependant, Valérie Denais se déclarait attentive au désir exprimé par un nombre croissant de femmes de pouvoir vivre plus "naturellement" leur accouchement et remarquait que pour répondre à ces attentes les sages-femmes libérales avaient un rôle certain à jouer. « Elles ont beaucoup élargi la palette de propositions pour la préparation à la naissance. Elles sont de plus en plus nombreuses à proposer de l’haptonomie (communication avec le bébé in utero), l’acupuncture, l’hypnose, la sophrologie, le yoga » note-t-elle.

« Le mythe de l’ambulancier néerlandais »

Les représentants ordinaux sont rarement en odeur de sainteté chez les professionnels de santé. Les sages-femmes ne font pas exception. Cette intervention de Valérie Denais a été assez sévèrement épinglée par la sage-femme auteur du blog 10lunes. Cette dernière réfute l’argumentation développée par la présidente départementale à propos de l’accouchement à domicile. « La question n’est pas de cautionner ou pas, mais de s’appuyer sur une argumentation scientifiquement valide » remarque la blogueuse qui ajoute encore : « On ne fait pas de la médecine avec des si, des hypothèses et des cas particuliers, on évalue. Et l’évaluation permet me semble-t-il de "cautionner" » affirme l'auteur du blog. Cette dernière ridiculise par ailleurs la façon dont l’exemple néerlandais a été convoqué par la représentante ordinale. Cette dernière signalait qu’aux Pays-Bas : «l’accouchement à domicile est possible mais il est très encadré et soutenu par un dispositif incluant des équipes d’intervention rapide en cas de problèmes ». Pour l’auteur de 10lunes, il s’agit d’un mythe brandi par ceux qui s’opposent à l’essor de l’accouchement à domicile en France et elle n’hésite pas à transformer quelque peu les propos de Valérie Denais en notant : « Les ambulanciers hollandais n’ont bien évidemment rien d’autre à faire que de patienter des heures devant le domicile d’une femme en travail en prévision d’un très éventuel transfert vers une maternité ».

Un rôle complexe qu’il ne faut pas restreindre

Considérant l’ensemble des propos de la représentante ordinale avec la même sévérité, la blogueuse se montre enfin très déçue de ses considérations concernant le rôle des professionnelles libérales. « Je me désespère de voir ma consoeur réduire ma place dans cette "ouverture à des mises au monde plus naturelles" à une "large palette de préparation". Parce que la place des sages-femmes libérales – comme de toute autre sage-femme – c’est assurer des consultations, accompagner les grossesses en s’attachant à prévenir avant d’avoir à guérir, écouter, dialoguer, anticiper, participer à l’émergence d’un projet libéré de tout formatage (…) aider les femmes et les couples à s’appuyer sur leurs compétences propres » détaille-t-elle.

Les effets pervers de l’ultra médicalisation

Cette défense de l’accouchement à domicile et ce conflit entre praticiens en la matière sont habituels sur la blogosphère. Outre les sites qui racontent dans leur grande majorité le parfait déroulement d’une naissance à demeure, avec souvent une comparaison très dépréciative avec un accouchement précédent en maternité, des appels à signer des pétitions pour améliorer les très difficiles conditions d’assurance des sages-femmes pratiquant des accouchements à domicile sont régulièrement lancés. On trouve également des argumentations plus étayées que le simple récit personnel ou militant. Ainsi, sur le blog Marie accouche là, de très longs développements sont destinés à déconstruire le discours en faveur de l’accouchement à l’hôpital. L’auteur, la juriste Marie-Hélène Lahaye disserte par exemple autour du « mythe de l’accouchement qui dérape en quelques secondes ». Elle y évoque notamment comment une part des complications obstétricales sont liées à certains gestes médicaux « visant à faire naître le bébé selon des protocoles qui énumèrent les positions autorisées, les durées maximales des différentes phases ainsi que le rythme des contrôles effectués par sages-femmes et instruments ». Elle remarque encore que l’absence de suivi des femmes par une sage-femme dédiée, attentive aux attentes et aux spécificités de leur patiente tout au long de la grossesse, peut favoriser les complications ; manquement qui ne se retrouverait pas dans le cas d’un accouchement à domicile préparé par un accompagnement sans faille. Enfin, elle insiste sur le fait que l’anticipation des sages-femmes dans le cadre d’une naissance à la maison permet de prévenir le risque qu’une complication devienne immaîtrisable. «Pour permettre une sécurité optimale de l’accouchement à domicile, une sage-femme me confiait s’être donnée cette règle de conduite : "dès que je me pose la question du transfert, je transfère" », cite Marie-Hélène Lahaye qui observe qu’en milieu hospitalier, cette anticipation, moins indispensable, pourrait faire défaut.
Alors que l’accouchement à domicile reste très marginal en France (moins de un pourcent des naissances, incluant des cas où la naissance a lieu de manière non programmée au domicile de la parturiente ou de la sage-femme), les controverses et discussions sont elles nombreuses et constamment réactualisées, comme le révèle ce nouveau billet de 10lunes. Pas sûr cependant que naisse de ce bouillonnement constant une réflexion apaisée.
Pour découvrir le blog de 10lunes, vous pouvez cliquer ici :http://10lunes.com/2016/05/consternation/
Et celui de Marie-Hélène Lahaye : http://marieaccouchela.blog.lemonde.fr/
Aurélie Haroche

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