09/06/16
La Fédération nationale des orthophonistes (FNO) tient son congrès annuel ces 9, 10 et 11 juin à Lyon. Réélue à sa présidence, Anne Dehêtre revient pour Hospimedia sur l'actualité de la profession : le bilan du master, le quota initial, les négociations conventionnelles, l'incitation à l'installation, la pénurie d'hospitaliers… Revue de détails.
Hospimedia : "Vous venez d'être réélue ce jeudi à la présidence de la Fédération nationale des orthophonistes (FNO). Quelles sont vos priorités d'action pour ce nouveau mandat ?
Anne Dehêtre : Nous avons un axe prioritaire. La grande orientation votée ce jeudi au congrès pousse dans le sens d'une plus grande autonomie et responsabilité des orthophonistes. Notamment après la parution de l'article 126 de la loi de Santé et de sa définition de l'orthophonie, qui nous accorde un premier droit d'intervenir sans prescription médicale en cas d'urgence et nous laisse le soin de déterminer cette urgence. Ça va dans la suite logique dudécret du 2 mai 2002, qui a uniquement laissé au médecin la prescription du bilan orthophonique : les orthophonistes sont depuis libres de fixer eux-mêmes le nombre de séances nécessaire. Dans certains parcours de soins, où l'orthophonie est très identifiée, nous pourrions désormais aller sur un accès direct au bilan orthophonique. Par exemple pour les séquelles d'accidents vasculaires cérébraux (AVC), quand on observe des troubles aphasiques ou non, des troubles du langage et de la communication : les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) mentionnent clairement l'orthophonie comme faisant obligatoirement partie du parcours de soins avec une prise en charge précoce et très intensive pour ne pas dire quotidienne. Et cela à l'hôpital puis dès sa sortie pendant au moins les huit à douze premières semaines.
"À Poitiers, c'est une psychologue qui assure la direction pédagogique de l'école ; à Nancy, une doctorante en sciences du langage... C'est inacceptable !"
H. : Depuis la rentrée 2013-2014, la formation initiale dure désormais cinq ans avec un grade master. Quel bilan dressez-vous de cette réforme ?
A. D. : Sur le contenu de la formation initiale, toute la profession est ravie. En revanche, il reste un point noir au niveau du financement. Nous appartenons à l'université. Or ses budgets sont rétrécis : nous en subissons donc les conséquences au moment justement où nous devons déployer nos cinq années d'études. Et puis, nous profitons de notre congrès pour réitérer de manière extrêmement forte notre demande de réserver la direction des centres de formation à des orthophonistes et non à des professions qui n'ont rien à voir avec ce métier : à Poitiers, c'est une psychologue qui assure la direction pédagogique de l'école ; à Nancy, une doctorante en sciences du langage... C'est inacceptable ! Le grade master nous accorde une certaine autonomie et responsabilité de fait : ça doit donc se retrouver à la tête des centres.
H. : Poussez-vous toujours à ouvrir les vannes sur le quota d'étudiants admis en première année et éviter notamment qu'ils n'aillent se former en Belgique ?
A. D. : Deux centres de formation vont ouvrir dans des endroits sous-dotés, passant leur nombre de dix-huit à vingt : Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) pour l'année 2016-2017, puis normalement Brest (Finistère) pour 2017-2018. On augmentera donc mécaniquement le quota, aujourd'hui à 856 étudiants, pour passer le seuil des 900 d'ici deux ans. Mais ce n'est pas suffisant, d'autant que nous subirons une année blanche l'an prochain sans aucune sortie d'étudiants : ceux en quatrième année, en l'occurrence les premiers du nouveau master, ne seront diplômés qu'en juin 2018. Par ailleurs, le quota est aujourd'hui pensé en fonction des capacités d'accueil des centres : des locaux mais surtout des stages. Nous espérons donc parvenir plus globalement à augmenter ce quota car il y a toujours autant de candidats à la porte des écoles sans que nous soyons du tout sûrs que les besoins soient couverts. Et puis, nous avons toujours un souci avec les étudiants français qui se rendent en Belgique. Nous rencontrons nos collègues belges au congrès pour échanger là-dessus. C'est d'autant plus prégnant que l'écart de formation va se creuser avec l'obtention du master en France. Nous sommes complètement sur une différence substancielle et les mesures de compensation et d'équivalence vont devenir énormes. Il faut donc absolument alerter les étudiants. Ce sujet est également un sujet d'échanges avec nos collègues européens à l'échelon du Comité permanent de liaison des orthophonistes-logopèdes (Cplol).
"Nous venons de prolonger le 30 mai notre dispositif de mesures incitatives envers les jeunes diplômés : une aide financière forfaitaire à l'installation de 1 500 euros par an sur trois ans, ainsi que d'une participation de l'Assurance maladie aux cotisations sociales."
H. : Quand doivent débuter les négociations conventionnelles avec l'Assurance maladie ? Et quelles sont vos attentes ?
A. D. : Elles doivent s'ouvrir en fin d'année. Une augmentation tarifaire de la lettre clé est attendue par tous les orthophonistes. Elle est passée de 2,37 à 2,40 euros en 2007 puis à 2,50 euros en 2013. Mais les attentes concernent toutes les revalorisations tarifaires, par exemple les indemnités kilométriques. Les domiciles, c'est de plus en plus compliqué de s'y rendre. C'est pourtant crucial pour faciliter l'accès aux soins des personnes âgées. Nous attendons aussi un travail de fond sur les parcours de soins (AVC, maladies neurodégénératives, autisme et tous les grands plans de santé publique) et la prescription en orthophonie. Le bilan orthophonique est conventionnel et donc défini dans son compte rendu par notre convention : c'est notre outil de coordination avec les autres professionnels de santé, médecins traitants comme spécialistes.
H. : Ne craignez-vous pas de vous voir imposer des mesures coercitives pour l'installation en zones sous-dotées ?
A. D. : Au contraire, nous venons de prolonger le 30 mai notre dispositif de mesures incitatives envers les jeunes diplômés. Nous sommes les seuls paramédicaux à avoir instauré uniquement de telles incitations en zones très sous-dotées. Il s'agit d'une aide financière forfaitaire à l'installation de 1 500 euros par an sur trois ans, ainsi que d'une participation de l'Assurance maladie aux cotisations sociales. L'expérimentation s'achevait en mars mais les premiers résultats étant positifs, nous avons décidé avec l'Assurance maladie de prolonger le dispositif à l'identique durant deux ans. Nous n'avons pas besoin de mesures coercitives. Personne ne nous a prouvé qu'il existait des zones très surdotées. Les besoins de soins ne sont pas couverts. Nous avons d'ailleurs une densité bien inférieure aux autres paramédicaux : 35,6 orthophonistes pour 100 000 habitants contre 71 pour les kinésithérapeutes.
"Nous sommes très fermes : ce n'est ni les primes ni le statut du fonctionnaire qui vont changer quoi que ce soit à l'attractivité de l'hôpital. C'est uniquement, au tout départ, le salaire."
H. : Dernier point, les orthophonistes hospitaliers. Malgré la mobilisation de la profession, les discussions salariales avec la DGOS sont dans l'impasse depuis de longs mois. Comment en sortir ?
A. D. : Hors exercice mixte, le pur salariat ne représente que 1 800 équivalents temps plein sur 25 000 professionnels. Nous avons obtenu de passer en parallèle du protocole sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations (PPCR) des fonctionnaires et d'être traités à la fin, en 2019-2020, pour travailler d'ici-là sur une fiche métiers de la rééducation. Ce n'est donc pas propre à l'orthophonie mais ça ne nous dérange pas à condition d'être reconnus à notre juste niveau de qualification : nous sommes les seuls avec les kinésithérapeutes à être à bac +5. Une grille métier d'accord mais nous devons être au grade supérieur. Nous n'accepterons pas qu'il n'y ait qu'un seul grade avec tout le monde à bac +2. Les différences de formation, qualifications et compétences sont désormais substantielles. La DGOS a proposé en février d'examiner d'abord les primes, l'exercice mixte avec donc le changement de statut et les grilles salariales, mais celles-ci en dernier le 24 juin. Nous avons toujours demandé l'inversion du calendrier car la première des attractivités, c'est le salaire. Et qu'être payés 7,5 euros net de l'heure en début de carrière, c'est ça qui fait que l'hôpital se désemplit. Ça nous a été refusé. Le 3 juin, les deux premiers points ont été traités. Nous avons obtenu pour tous les métiers de la rééducation que normalement, avec pour deadline ce vendredi, nous soient communiquées les grilles salariales en amont d'une réunion avancée peut-être à la semaine prochaine. Nous attendons... Mais si rien ne bouge, nous allons amplifier les actions.
H. : Reste en plus après à étudier le contenu même des grilles. Où en est-on de la prime de 120 euros brut annoncée cet hiver pour stimuler l'attractivité de l'hôpital ?
A. D. : Nous l'avons dit, ce montant était ridicule. La DGOS est revenue là-dessus pour désormais proposer 9 000 euros brut sur trois ans. Mais ça ne concerne pas le stock, uniquement les nouveaux installés. Impossible donc de fidéliser les orthophonistes hospitaliers déjà en poste. Et puis, cela suppose d'être en poste dans une zone en tension sans qu'une telle définition existe. Nous sommes très fermes : ce n'est ni les primes – dont on ne pourra pas d'ailleurs bénéficier à la retraite – ni le statut du fonctionnaire qui vont changer quoi que ce soit à l'attractivité de l'hôpital. C'est uniquement, au tout départ, le salaire et une grille salariale conséquente."
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