blogspot counter

Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

samedi 6 février 2016

Courtil en lignes Numéro 19

février 2016

Développement de la psychanalyse en institution

La psychanalyse a franchi le seuil de l’institution, flanquée du terme “appliquée” qui indexait celui de “thérapeutique”. La psychanalyse dite “appliquée à la thérapeutique” venait ainsi se différencier de la psychanalyse “pure”, celle-ci visant à un au-delà du soin qui concerne la vérité et les choix propres du sujet.

Il est vrai que la pratique en institution ne suit pas toujours les caractéristiques que tout un chacun attribue au colloque singulier avec le psychanalyste : il est en effet rare de n’être que deux et les conditions du transfert ne sont pas données d'emblée mais nécessitent stratégie et anticipation. A ces distinctions liées au dispositif, d’autres sont venues s’ajouter : en institution, la pratique viserait l’allègement du symptôme alors que la psychanalyse pure chercherait à toucher l’assise fantasmatique à l’origine de ce qui fait souffrir le sujet, c'est-à-dire son rapport au réel. 
Bref, la rupture était consommée. Et des concepts pour marquer cette distinction se sont affirmés - la “pratique à plusieurs” - ou des pratiques différentes, à l'endroit du paiement par exemple, ont été observées.


Néanmoins, à l’instar du Nom du père, l’essentialisation de la psychanalyse dans sa forme pure se trouve remise en question au fil de l’élucidation du dernier enseignement de Lacan. “Dans la psychanalyse hors-sens, écrit Jacques-Alain Miller, la différence de psychanalyse pure et psychanalyse appliquée à la thérapeutique est une différence inessentielle.” La distinction entre le symptôme et le fantasme sur laquelle se fonde la précédente opposition tend à se résorber avec la promotion du terme de sinthome.


“ON TRANSFORME LES ENFANTS TURBULENTS EN ENFANTS HANDICAPÉS”




vendredi 5 février 2016

Trois fois rien

Paris, le samedi 6 février 2016 




Non ce n’était pas une «expérience sociologique en prime time ». Aucun animateur au sourire ultra brillant n’a débarqué dans sa chambre pour lui annoncer qu’elle était la vedette (la victime ?) d’une émission télévisée d’un genre nouveau. Non, ce n’était pas une mauvaise blague. Pourtant, à chaque fois qu’elle repense à cet instant, c’est ce sentiment de supercherie qui lui revient. Même si depuis, la souffrance qui l’a envahit (ou qu’elle a essayé de tenir à distance) lui apparaît sous un jour « différent ».

Recherches internet en salle de naissance

"Différent", c’est ce que l’on dit des enfants comme Louise. Non, d’ailleurs pour Louise c’est immédiatement un autre mot qui vient aux lèvres, presque sans fausse pudeur : trisomique. Et c’est pratiquement le premier mot qui est venu à l’esprit de Caroline Boudet quand elle a donné naissance à son deuxième enfant. C’était un nouveau-né à la tignasse brune, qui comme tous les nouveau-nés a cherché le sein de sa mère. Mais Caroline s’inquiétait. « Pardon de le dire… mais on dirait qu’elle est trisomique ? » lance-t-elle.
La sage-femme et l’infirmière sourient. Elles ont l’habitude des inquiétudes des femmes qui viennent d’accoucher. Louise est une petite fille magnifique. Pourtant, une fois seul, le couple entame des recherches frénétiques sur internet grâce à leur smartphone. Tente d’éliminer un par un les signes distinctifs de la trisomie. Quelques heures plus tard, c’est la pédiatre qui les exclura également, un à un. Louise n’est pas hypotonique, elle ne présente pas d’implantation basse de ses oreilles, ses plis palmaires ne sont nullement caractéristiques. Demeure la forme particulière de ses yeux. Souhaitant rassurer celle qui à l’instar de nombreuses autres mères doute, la pédiatre propose un caryotype. Vingt-quatre heures plus tard, l’annonce est une secousse sismique.

Le CH Gérard-Marchant travaille à pallier les tensions sur ses lits d'hospitalisation en psychiatrie

 - HOSPIMEDIA
La directrice du CH Gérard-Marchant à Toulouse a évoqué, à l'occasion de ses vœux, des réflexions menées sur la gestion des urgences et les séjours longs en psychiatrie, afin d'apaiser la pression sur l'occupation des lits dans un contexte de forte hausse d'activité. L'année 2015 a en outre été marquée par l'aboutissement de nombreux projets.

Psychiatrie gérée par les Centres Hospitaliers Généraux, et effets pervers de la T2A

  • 5 FÉVR. 2016
  •  
  • PAR AGNÈS PIERNIKARCH
  •  
  • BLOG : PSYCHIATRIE ET POLITIQUE

  • L'évidence de l'incompatibilité des deux systèmes  de gestion, celle d'une dotation annuelle et  celle d'une tarification à l'activité pose des questions incontournables: alors que ce système démontre quotidiennement une inadéquation aussi bien la tarification à l'activité dite T2A pour les services de mèdecine; chirurgie et obstétrique , et la calamiteuse conséquence pour les services de psychiatrie d''une gestion unique, les propositions issues de la dernière réforme de la Loi santé avec les GHT portent ces défauts à une puissance exponentielle.
    Comment ce système peut-il perdurer alors qu'il conduit le système de soins droit dans le mur? Comment la politique de la santé peut-elle cèder le pas à une vision d'"économiste de la santé"? Comment cette discipline a-t-elle pu s'infiltrer à tous les stades de la réflexion des décideurs de la politique? Certes, dans l'air du temps, nous sommes abreuvés des sentences de journalistes "économistes" qui donnent un avis sur tout d'un air docte et suffisant et se contredisent d'un mois sur l'autre avec le même aplomb? Il s'agit d'instaurer le primat de l'"économie" sur la pensée. La moindre mise en cause de ce concept devient une quasi-obscénité, ou à la rigueur des propos qui sont déconnectés de la réalité.

Journée de la Prévention du Suicide : 4 questions à la psychologue toulousaine Fabienne Faure

Midi-Pyrénées
  • Par Anissa Harraou 04/02/2016
  •  
  • Vendredi 5 février se déroule la Journée Nationale de Prévention du Suicide (JNPS) sur le thème : "la prévention à l'épreuve du suicide". L'occasion de s'entretenir avec Fabienne Faure, organisatrice de l'événement et présidente de l'association Prévention du Suicide en Midi-Pyrénées. 

    Quel est le but précis de cette journée de prévention du suicide ? 

    L'objectif premier de cet événement est d'informer le grand public, mais aussi les travailleurs sociaux et autre professionnels qu'une prévention du suicide efficace est possible. Nous voulons montrer qu'il y a des signes avant-coureurs qui peuvent permettre de déceler des comportements suicidaires.

    En effet, une personne qui tente de mettre fin à ses jours ou qui y parvient, met 6 à 8 semaines pour passer à l'acte. Autant de temps qui nous ai laissé pour tenter de détecter le mal-être et empêcher le suicide. 


L'Igas pointe "trois manquements majeurs" chez Biotrial après l'accident thérapeutique

Les causes exactes de l'accident clinique survenu à Rennes demeurent encore inconnues. Mais l'Igas ne cache pas ce 4 février dans sa note d'étape que "trois manquements majeurs" sont du ressort direct de Biotrial. Quand bien même, la réglementation a été respectée et la prise en charge des volontaires touchés ne souffre d'aucune contestation.

jeudi 4 février 2016

Les orthophonistes en grève à l'hôpital

04.02.2016

L'ensemble des orthophonistes, hospitaliers, libéraux et étudiants, étaient appelés à la grève jeudi par une intersyndicale pour réclamer une revalorisation des salaires à l'hôpital. Des rassemblements étaient également prévus à Paris et en région, comme à Toulouse ou Besançon, à l'appel de neuf organisations, dont la Fédération nationale des orthophonistes (FNO), la CGT, FO, Sud, ou encore la CFTC.

Bon Sauveur : aux urgences psychiatriques, ils soignent les têtes par l'écoute

04/02/2016


Carole et Chantal, secrétaires, Karine, infirmière de liaison, Gilles, cadre de proximité, Hafid Belhadj-Tahar et Maxime, infirmier constituent l'équipe  des urgences psychiatriques du Bon Sauveur./Photo DDM,R.R
Carole et Chantal, secrétaires, Karine, infirmière de liaison, Gilles, cadre de proximité, Hafid Belhadj-Tahar et Maxime, infirmier constituent l'équipe des urgences psychiatriques du Bon Sauveur./Photo DDM,R.R
Au sein de la vaste institution qu'est le Bon Sauveur à Albi, une poignée de professionnels de santé affectés au service des urgences psychiatriques, désormais baptisé Centre d'accueil permanent spécialisé (CAPS), accueillent et soignent les patients atteints de troubles psychologiques. Et ce 24 heures sur 24, tous les jours de l'année. Le docteur Marc Passamar a créé cette Unité d'orientation d'accueil et de crise (UOAC) en 1989, laquelle est compétente pour tout le Nord du département. En 2014, le service a accueilli 4 620 personnes adultes, un peu plus de femmes que d'hommes (la pédopsychiatrie est plus l'affaire du centre hospitalier). 1 564 ont été hospitalisées dont 310 sous la contrainte à la demande des familles, d'un maire ou du préfet, car considérées comme «dangereuses pour elles et pour autrui», précise le Dr Hafid Belhadj-Tahar, médecin hospitalier.

Inégalités : petites humiliations et grandes hontes de la Franc

Par  — 4 février 2016 
Un migrant à Calais, le 29 octobre.
Un migrant à Calais, le 29 octobre. Photo Philippe Huguen.AFP

Le rapport du défenseur des droits recense les manquements de l'Etat, les situations de «rupture d'égalité» et les dérives des forces de sécurité. Avec la crise des migrants et l'état d'urgence, 2015 a été une année sombre.



Le prix Simone de Beauvoir remis à Giusi Nicolini, la maire de Lampedusa

Par  — 14 janvier 2016 à 18:36
Cecile Kyenge, ministre italienne pour l'intégration à droite déplore avec Giuisi Nicolini les centaines de migrants noyés en méditerranée et échoués sur l'île de Lampedusa.
Cecile Kyenge, ministre italienne pour l'intégration à droite déplore avec Giuisi Nicolini les centaines de migrants noyés en méditerranée et échoués sur l'île de Lampedusa. © Antonio Parrinello / Reuters

Créée en 2008, cette récompense met à l'honneur des personnes qui luttent pour promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes dans le monde. La récipiendaire de cette année est Giuisi Nicolini, maire de Lampedusa depuis 2012, qui se démène pour accueillir les flux de migrants dans la dignité.

Elle s’appelait Ruqia et racontait son quotidien sous la botte des djihadistes

LE MONDE  | Par Alain Frachon
Ruqia Hassan Mohammed.
Ruqia Hassan Mohammed. Rakka is Being Slaughtered Silently
« Là, j’ai reçu des menaces de mort. Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique]va sans doute m’arrêter (…) et me décapiter. Mais je garderai ma dignité. Mieux vaut mourir que de vivre avec ces types dans l’humiliation. »
Elle s’appelait Ruqia Hassan Mohammed. La photo placée sur sa page Facebook montre une jeune femme élégamment maquillée. Elle porte un foulard noir sur un serre-tête doré, bracelets et bagues aux deux mains, tunique longue cintrée à la taille. Le visage plein, pommettes hautes, sourire timide. Elle était syrienne et habitait Rakka, la capitale de l’Etat islamique (EI). Sur Facebook, elle racontait sa vie de rakkaouie sous la botte des djihadistes. Ils n’ont pas apprécié. Début janvier, ils ont annoncé qu’elle avait été « exécutée ». Ruqia avait 30 ans.

Misleidys Castillo Pedroso, Daldo Marte Fuerza cubana


Misleidys Castillo Pedroso, sans titre, 2015. gouache sur papier, 71 x 55 cm<br><br>Courtesy galerie Christian Berst (Paris), © Misleidys Castillo Pedroso
Fuerza cubana
04 fév.-02 avril 2016
Vernissage le 04 fév. 2016
Misleidys Castillo Pedroso et Daldo Marte, artistes cubains souffrant de déficience, entourent leurs espaces quotidiens de créatures peintes et de compagnons en matériaux recyclés qui les protègent et les relient au monde. Bodybuilders grandeurs nature et armures en carton incarnent la Fuerza cubana exposée à la galerie Christian Berst.

Cuba est entré dans une nouvelle ère de son histoire. Beaucoup de ses artistes avaient déjà franchi les frontières, sauf, évidemment, les plus étrangers aux circuits balisés, comme le sont Misleidys Castillo Pedroso et Daldo Marte. La galerie Berst sera totalement investie de leurs oeuvres sous forme d'une installation semblable à la manière dont ils s'en entourent.

Karen Wong, directrice adjointe du New Museum de New York, évoque au sujet de Misleidys Castillo Pedroso la problématique du genre et la parenté formelle avec l'œuvre de Clemente.  Au-delà des intentions de création, cette analyse met en lumière la question de la reception, essentielle pour les œuvres d'art brut.

Nous savons peu de choses de Misleidys Castillo Pedroso. Elle est née en 1985 non loin de La Havane, avec un déficit auditif sévère, et son père quitte le foyer alors qu'elle est encore une toute jeune enfant

Lire la suite ...

Allaitement : cessons de culpabiliser les femmes


A gauche : Anaïs prend le biberon. A droite : Anais allaitée par sa maman Sylvie. Extrait de la série «Des petits riens».
A gauche : Anaïs prend le biberon. A droite : Anais allaitée par sa maman Sylvie. Extrait de la série «Des petits riens». Photo Patrick Tourneboeuf. Tendance Floue

L’allaitement au sein ou au biberon doit rester un choix personnel. Chaque femme mérite un respect égal dans ses choix. Nous demandons de conserver notre droit à décider sans devoir affronter une culpabilisation permanente.

  • Je n’ai pas allaité mes enfants au sein.
Et je trouve inquiétant que ce choix soit socialement de plus en plus difficile à assumer. C’est le signe à la fois d’une remise en cause profonde des droits des femmes et d’une assignation à un idéal maternel oppressant.
Nous qui avons choisi le biberon serions de mauvaises mères, privilégiant notre confort au détriment de celui de nos enfants, refusant d’assumer nos fonctions biologiques. En réalité, nous considérons simplement que notre corps nous appartient. Les progrès permettent à celles qui le souhaitent de ne pas allaiter au sein. Il s’agit d’un choix extrêmement personnel qui regarde chacune. Il faut cesser d’opposer les droits de la femme, et en premier lieu celui de disposer de son corps, aux devoirs de la mère, qui se devrait corps et âme à ses enfants.
Mais il y a pire : on essaye désormais de nous convaincre que notre choix égoïste met en danger la santé de nos enfants. Comme l’ont récemment titré le Monde et l’AFP«généraliser l’allaitement de longue durée sauverait 800 000 enfants par an».

Abram de Swaan : « Il y a chez les bourreaux comme une absence de mentalisation »

LE MONDE DES LIVRES | Propos recueillis par Julie Clarini
Au mémorial de la Shoah de Paris en avril 2010.
Au mémorial de la Shoah de Paris en avril 2010. FRED DUFOUR/AFP
Diviser pour tuer - Abram (de) Swaan
Diviser pour tuer. Les régimes génocidaires et leurs hommes de main (Compartimenten van Vernietiging), d’Abram de Swaan, traduit du néerlandais par Bertrand Abraham, Seuil, « Liber »
Chacun d’entre nous, dans une situation particulière, pourrait devenir un bourreau. C’est à cette doxa que s’attaque Abram de Swaan, professeur néerlandais de sociologie à l’université d’Amsterdam et à Columbia (New York), dans Diviser pour tuer, un essai savant et très documenté. Il y opère un retournement de perspective : pour analyser les processus de fabrication des criminels de masse, il faut s’intéresser à ceux qui ne sont pas devenus des meurtriers. Car ils existent, aussi.
Autrefois, les meurtriers de masse étaient vus comme des psychopathes. Avec son livre inspiré du procès d’Eichmann, en 1961, « Eichmann à Jérusalem », Hannah Arendt est à l’origine d’une autre thèse, la « banalité du mal », dont est sortie une vulgate : tout le monde pourrait, dans certaines circonstances, se transformer en bourreau. Qu’en pensez-vous ?
Tout d’abord, précisons que personne de sérieux n’a jamais dit que les criminels de masse étaient des psychopathes ou des monstres. Au contraire, j’ai lu les journaux intimes ou les mémoires des psychiatres déportés qui ont survécu aux camps de concentration : on les considérait plutôt comme des hommes ordinaires à qui on avait lavé le cerveau. Seule la presse populaire véhiculait peut-être cette image du monstre.
Autrement dit, les « situationnistes », ce courant de la psychologie sociale qui insiste sur l’influence de la situation dans les comportements humains, ont construit un ennemi qui n’existait pas. De plus, je ne crois pas que cette vision par Arendt des meurtriers comme des rouages de la grande bureaucratie de la destruction ait été originale pour l’époque. L’idée qu’il fallait se méfier des autorités, des ordres, était dans l’air du temps. De surcroît, Eichmann était le pire exemple que Hannah Arendt aurait pu prendre : c’était en réalité un chasseur de juifs frénétique. Je sais qu’elle est très admirée en France pour ses travaux philosophiques, mais là, elle s’est trompée.
Selon vous, il est faux de dire que tout le monde peut devenir bourreau dans certaines circonstances ?
Il y a en effet une sorte de consensus dans les sciences sociales, contre lequel je me bats : des gens ordinaires dans des situations extraordinaires seraient capables de choses extraordinaires. Certes, l’impact de la situation est toujours beaucoup plus fort que ce qu’on voudrait admettre. Nous avons tous des souvenirs honteux de ce que nous avons pu faire dans des fêtes. Nous avons l’exemple des pères de famille au stade de foot qui crient des saletés, déchaînés, qui vont acheter leur bière en faisant la queue et en payant, puis reviennent dans les gradins, à nouveau sauvages. Donc, sans aucun doute, la situation compte. Mais pour une raison ou une autre, la grande majorité des chercheurs refusent de poser la question suivante : est-ce que, dans une situation donnée, il y a des gens qui font plus et d’autres moins ? Existe-t-il des bourreaux réticents, d’autres indifférents, d’autres encore effrénés ? Y a-t-il des gens qui sont moins susceptibles de se laisser manipuler pour finir dans ces situations extrêmes ?
J’utilise volontiers l’image du tamis vibrant. Il y a des cailloux, certains juste un peu plus gros que d’autres. A la fin, ils sont séparés. Dans un événement comme une guerre, il y a toute une série de petits événements, de bifurcations, par lesquels on se laisse guider d’un côté ou de l’autre. Des petites différences psychiques qui finissent par faire basculer les gens d’un côté ou de l’autre. Or, par une sorte de myopie, on considère uniquement, dans un pogrom par exemple, ceux qui ont commis des actes barbares. Mais il y a aussi tous ceux qui n’y sont pas allés. Il faudrait pouvoir faire des zooms arrière et regarder tout le village.
Y a-t-il moyen de déterminer ces différences psychiques ?
La documentation est essentiellement judiciaire, mais, dans ce cas, il y a toujours un biais car ces bourreaux sont des champions pour déguiser leur rôle actif et pour se faire passer pour des petits exécutants, pas très intelligents. Quand même, on peut faire une conjecture en s’appuyant sur tout ce qui est connu. La mienne est que les bourreaux diffèrent sous trois angles.
Primo, s’ils ont bien une conscience morale comme le prouve le fait qu’ils soient loyaux à leurs « camarades de crime », à leurs commandants ou à leur famille, c’est une conscience réduite à un cercle très restreint. Au-delà de ce cercle, ils ne connaissent pas d’obligation morale. Secundo, ils n’ont pas l’idée que ce qui leur arrive résulte en partie de leur choix ou de leurs actions : ça leur arrive… Ils ne se voient pas comme les auteurs de leur vie. Tertio, on constate chez eux une absence de toute empathie. Je me souviens d’un SS qui, voulant expliquer à quel point c’était terrible, disait que les cris lui étaient insupportables et qu’il avait du sang sur son uniforme : il ne faisait que parler de lui.
Voilà trois traits qu’il faut à mon avis commencer à regarder. Il y a chez eux comme une absence de « mentalisation », ce mécanisme qui permet à un individu d’interpréter ses gestes et ceux d’autrui comme étant liés à des états mentaux. La première phase de la vie, la petite enfance, est, à cet égard, fondamentale, fondatrice même. On peut envisager que cette absence soit là depuis toujours ou qu’elle résulte d’une perte liée au contexte de brutalisation générale.
Dans un entretien avec Gitta Sereny, Franz Stangl, ex-commandant du camp de Treblinka, dit qu’il « compartimentait » sa pensée pour survivre. Cette idée de la « compartimentation », appliquée à toute la société, est importante…
C’est un concept clef pour mon analyse. Le sociologue Norbert Elias parle d’un effondrement de la civilisation pendant le nazisme. Je préfère parler d’enclaves de « décivilisation » : dans cette société allemande extrêmement policée, il y avait des trous, des compartiments, où tout était permis et où la barbarie était même encouragée comme un instrument d’Etat. Tout citoyen savait qu’il se passait là quelque chose de terrible mais ne savait pas exactement quoi. Au Rwanda, il y avait aussi des façons de séparer le temps et l’espace du meurtre, du temps et de l’espace normaux. Cette « compartimentation », il faut y être attentif. Hélas, les attaques terroristes en France nourrissent aujourd’hui les arguments de ceux qui ont tendance à compartimenter la société toujours davantage.