Les causes exactes de l'accident clinique survenu à Rennes demeurent encore inconnues. Mais l'Igas ne cache pas ce 4 février dans sa note d'étape que "trois manquements majeurs" sont du ressort direct de Biotrial. Quand bien même, la réglementation a été respectée et la prise en charge des volontaires touchés ne souffre d'aucune contestation.
L'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a remis ce 4 février à la ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes sa note d'étape sur les circonstances de l'accident thérapeutique survenu mi-janvier à Rennes (Ille-et-Vilaine, lire ci-contre). Dans cette trentaine de pages, les deux inspecteurs, Christine d'Autume et le Dr Gilles Duhamel, font état de "trois manquements majeurs". Toutefois, pas question de réclamer une éventuelle suspension de l'autorisation de lieu de recherche accordée au centre Biotrial, où avaient lieu les essais cliniques pour le compte du laboratoire pharmaceutique portugais Bial. En effet, "la poursuite des essais chez Biotrial ne paraît pas [...] susceptible, aujourd'hui, de mettre en danger les personnes qui s'y prêtent compte tenu des conditions d'organisation, de fonctionnement et de professionnalisme dans lesquels les essais sont conduits", écrivent les deux auteurs. S'agissant des manquements à proprement parler, l'Igas pointe avant tout "l'absence de recherche d'information en temps et en heure sur l'évolution de l'état du volontaire hospitalisé" en état de mort cérébrale — et finalement décédé —, ainsi que "la non-suspension de l'administration du produit en recherche aux autres volontaires de la cohorte MAD n° 5 (dose 50 mg)". Et pour les deux inspecteurs, cette non-prise de conscience des précautions à prendre avant de poursuivre l'administration du produit, "même si elle n’est pas délibérée, est d'autant plus surprenante" que Biotrial se targue d'avoir comme préoccupation la prise en compte du principe de précaution.
L'engagement vis-à-vis des volontaires n'a pas été respecté
Deuxième manquement signalé, l'absence d'information suffisante donnée aux volontaires de la cohorte concernée, dès lors que l'un d'entre eux était hospitalisé, pour qu'ils soient en mesure de "confirmer de manière suffisamment éclairée leur consentement expressément renouvelé". Pour l'Igas, il va sans dire que l'engagement de Biotrial vis-à-vis des volontaires qu'il a recrutés et impliqués dans cette recherche n'a donc "pas été respecté". Enfin, la troisième critique soulevée par la note d'étape porte sur "le non-respect du devoir d'information sans délai à l'autorité". Le 18 janvier, la ministre Marisol Touraine avait déjà pointé des retards dans cette remontée de l'alerte par le centre Biotrial, le ministère n'ayant été informé de l'accident que le 14 janvier, soit quatre jours après la première hospitalisation et trois jours après son arrêt de l'essai. Il existait pourtant "un enjeu de sécurité global", rappellent les inspecteurs : "Les délais pris pour déclarer ce fait nouveau à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) auraient pu avoir pour conséquence de retarder les mesures requises pour assurer la sécurité des personnes impliquées dans cet essai ou d’autres essais utilisant la même classe de produit".
En revanche, comme le note l'Igas, la réglementation actuelle a bel et bien été "respectée". Par exemple, l'ARS Bretagne a accordé à Biotrial "une autorisation de lieu répondant aux exigences requises". Et les conditions d'autorisation de l'essai "ne contreviennent pas à la réglementation", tant sur la nature des informations fournies à l'ANSM dans le cadre du dossier préclinique que sur le protocole lui-même, même si "certaines de ses dispositions manquent de précisions". Entre autres, les conditions d'escalades de doses pour la cohorte MAD n° 5 dans laquelle sont survenus les événements indésirables graves (EIG). Quant aux échanges entre le comité de protection des personnes (CPP) et le centre Biotrial, "elles ont permis d'améliorer le protocole", même si "la clarification des critères d'éligibilité des volontaires sains [...] aurait pu être plus approfondie", notamment s'agissant des habitudes de consommation de substances psychoactives. Les deux bémols précités vont d'ailleurs faire l'objet d'investigations supplémentaires de la part de l'Igas*, sachant que son rapport définitif est attendu d'ici fin mars. À noter enfin que les conditions de prise en charge des volontaires souffrant d'EIG "ne semblent pas devoir être remises en question".
Aux ARS de rappeler les obligations des essais de phase 1
En conclusion, les deux inspecteurs préviennent d'ores et déjà que leurs recommandations finales porteront notamment sur six points majeurs : les requis précliniques ; les conditions de recrutement et d'inclusion des volontaires ; les conditions et les intervalles d'administration entre volontaires d'un même groupe et entre groupes de volontaires, notamment sur les conditions d'escalades de doses ; les conditions de levée d'aveugle, de suspension et d'arrêt de recherche ; les conditions de mise en place pour les essais de première administration à l'homme d’un comité de surveillance indépendant ; les conditions d'information à l'autorité administrative. L'Igas juge également "indispensable" d'opérer "dans les meilleurs délais" une expertise internationale sur "le ou les mécanisme(s) de survenue des EIG et du décès qui aujourd'hui demeurent inconnus".
De son côté, Marisol Touraine a annoncé à la presse qu'elle adresserait "dans les prochains jours" une instruction aux ARS les enjoignant à rappeler, à tous les responsables de lieux d'essais cliniques de phase 1, "leurs obligations en matière de déclaration aux autorités sanitaires des EIG inattendus et des faits nouveaux survenus". La ministre va aussi proposer à Bruxelles la mise en place "urgente" d'un comité d'experts internationaux pour renforcer la protection des volontaires sains dans les essais cliniques. Enfin, elle a demandé "solennellement" aux promoteurs d'essais cliniques et investigateurs, que "tout évènement entraînant, dans le cadre d'un essai sur volontaire sain, l'hospitalisation de celui-ci, soit qualifié de "fait nouveau" et fasse l'objet d'une déclaration sans délai aux autorités sanitaires. Cette qualification doit conduire à la suspension immédiate de l'étude jusqu'à ce que soit garantie la sécurité des volontaires". Et ces mêmes volontaires doivent être "clairement informés" de la suspension de l'étude et des raisons de cette suspension, a insisté la ministre, avec l'obtention ensuite de leur "consentement éclairé et écrit" avant toute reprise de l'essai.
* En outre, deux autres investigations sont en cours, l'une par le pôle de santé publique du parquet de Paris, l'autre par l'ANSM.
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