blogspot counter

Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

samedi 24 avril 2010








"Les maladies psychiatriques se soignent très bien hors de l'hôpital"

Chat modéré par Cécile Prieur


Claude Finkelstein est présidente de la Fédération nationale des patients en psychiatrie.

guilmard : Comment concevoir une hospitalisation psychiatrique à domicile ? Quelle organisation ? Quels objectifs ? Pour quels types de maladies ?

Mme Claude Finkelstein : Pour moi, il n'y a pas d'hospitalisation psychiatrique à domicile, il y a des soins à domicile, des soins acceptés ou sous contrainte. Cela correspond à des visites à domicile d'infirmiers psychiatriques et/ou de psychiatres ; pour les soins sous contrainte, évidemment ce sera plutôt des molécules retard. Par exemple une injection par mois pour les maladies les plus difficiles.

L'objectif : des soins de meilleure qualité si le patient accepte qu'ils soient faits à domicile. Pour quels types de maladie ? Pour les maladies qui nécessitent des soins au long cours et réguliers, comme les psychoses : la schizophrénie, les troubles maniaco-dépressifs, etc.

NRF : Qu'appelle-t-on des molécules retard ?

Comme pour les autres pathologies, par exemple le diabète, il existe des molécules qui sont administrées une fois et qui font de l'effet pendant huit à quinze jours, voire un mois.

guilmard : Cela voudrait-il dire que, sur simple appel téléphonique d'un membre de l'entourage, que la personne soit majeure ou non, un psychiatre pourrait se déplacer au domicile de la personne en situation de mal-être ?

C'est déjà le cas. Souvent, pour les personnes qui sont en déni de maladie, l'entourage peut faire appel à un professionnel, qui décidera si oui ou non une hospitalisation sous contrainte doit être proposée.

Guest : L'hospitalisation "hors de l'hôpital", à défaut d'être "à domicile", n'est-elle pas déjà une réalité lorsque l'on voit le nombre de personnes que les hôpitaux psychiatriques ne "gardent" pas au-delà de quelques jours ?

Il faut faire la différence entre l'hospitalisation et les soins sous contrainte. Là, on parle de soins sous contrainte en ambulatoire. Je ne pense pas que l'hospitalisation hors de l'hôpital soit déjà une réalité. Ces maladies sont des maladies qui se soignent très bien hors de l'hôpital.

croisettes : Pensez vous réellement qu'un patient inconscient de ses troubles acceptera une prise en charge à domicile régulière ? N'y verra t-il pas au contraire une possibilité d'échapper à l'hospitalisation ?

Un patient peut être inconscient de ses troubles lors d'une crise, ce qui ne veut pas dire qu'il est totalement inconscient de la maladie qu'il subit. Certains accepteront cette prise en charge à domicile régulière afin de ne pas être dans un hôpital. C'est un choix personnel.

Alain : De moins en moins de lits, de moins en moins de professionnels, de moins en moins de moyens, de plus en plus de patients...comment faire ?

Je ne suis pas sûre que la réponse aux patients soit obligatoirement des lits. Ceux-ci sont la plupart du temps utilisés pour les patients dits "au long cours", qui devraient bénéficier de structures alternatives. Nous avons le plus fort taux de psychiatres au nombre d'habitants en Europe, et également un des plus forts taux de suicides. Il me semble que c'est plus une question d'organisation, et surtout de prévention.

guilmard : Faut-il, comme cela se passe actuellement, attendre les tentatives de suicides, pour que les malades, inconscients alors, soient enfin pris en charge, ou aient enfin un début de prise en charge...

C'est le grand problème : nous n'avons aucun système de prévention, aucun système de politique de santé publique sur la santé mentale, et une grande difficulté de réponse à la demande.

laurent : Est ce envisageable lors d'épisodes maniaques ?


D'abord il faut une hospitalisation à l'hôpital, avec une observation et une discussion avec la personne pour voir si un retour au domicile peut être envisagé avec prise de molécules.

leoniedas : Vous êtes donc pour la fermeture des centres hospitaliers spécialisés en psychiatrie ?

Je l'étais, mais je le suis beaucoup moins depuis que j'ai visité régulièrement des services psychiatriques en hôpital général. Je suis pour de petites unités, genre cliniques publiques, à taille humaine, mais spécialisées en psychiatrie. Parce que dans les hôpitaux généraux, le service psychiatrique est le parent pauvre, on lui retire du personnel, on n'envisage pas de rénovation.

croisettes : La prise en charge hors les murs demande des moyens humains importants. Vont-ils être pris sur les moyens alloués à l'intra hospitalier ? Si oui où est le bénéfice ?

Pour l'usager, le bénéfice est important s'il accepte d'être soigné chez lui : pas de désocialisation, pas de stigmatisation... Je ne pense pas qu'actuellement il y ait plus de moyens donnés à la psychiatrie, comme aux hôpitaux généraux. C'est une question de société.

Ricardo 2009 : L'hospitalisation à domicile est-elle possible pour des patients psy ne voulant rien du tout, tels les SDF ? Qui pourrait assurer leur sécurité ? Les soignants, les flics ?


Toute hospitalisation ou soins sous contrainte est possible pour les personnes dangereuses pour elles ou pour les autres. Les soignants sont là pour assurer la sécurité, l'humanité et le soin.

Marguerite : Il y a quelques années, j'ai dû faire interner quelqu'un de ma famille pour des délires. Cette personne a eu ensuite des soins en centre ouvert et un traitement médicamenteux. Je n'ai jamais pu avoir de diagnostic de la maladie. Cela pose des problèmes car la famille ne sait pas comment se comporter et comment réagir à la suite de délires et
visions résurgentes. Que faire ?


La personne soignée peut demander l'accès direct à son dossier médical dans lequel il devrait en principe y avoir un diagnostic. Ce qui vous permettrait de faire des recherches sur la maladie. En psychiatrie, nous souffrons terriblement du manque d'information sur le diagnostic, sur la maladie. Les familles, les proches souffrent également de non-information sur ce qui se passe, sur ce qu'ils pourraient faire pour aider la personne. Je pense que c'est très grave.

Jackie : Nous sommes une association d'usagers (1991) de la psychiatrie, forte de plus de 120 membres, et nous n'avons même pas la possibilité d'être reconnu comme groupe d'entraide mutuelle (GEM). Pourquoi et comment faire ?

Un groupe d'entraide mutuelle est composé d'usagers en psychiatrie et fonctionne comme un club de soutien et d'entraide. Nous avons obtenu, par la loi du 11 février 2005, qu'une aide soit accordée à ce type de clubs. Cette subvention, d'un montant maximum de 75 000 euros par an, leur permet de trouver un local et d'avoir deux animateurs pour les aider dans la vie de tous les jours. Il en existe actuellement 343 sur toute la France, mais de nouvelles créations ne sont pas encore envisagées.

Ludovic : Comment la liberté des individus est-elle préservée dans le cadre d'une hospitalisation sous contrainte à domicile ?

Les soins sous contrainte sont une atteinte à la liberté "pour le bien du patient". C'est la difficulté en psychiatrie, justement, ces soins indispensables parfois qui touchent à la liberté de chacun. A domicile, pour nous, les soins sous contrainte ne peuvent être que proposés et acceptés par la personne qui est hospitalisée sans son consentement. Nous passons actuellement d'une loi qui permet l'hospitalisation sans consentement à une loi qui instaurerait les soins sous contrainte.

Marguerite : Quels sont les moyens proposés aux familles pour pouvoir aider leurs malades ? Pourquoi ce refus des psychiatres de parler aux familles ? Finalement ce sont eux qui font perdurer le "tabou" de la maladie. Quand un membre de la famille a une maladie grave ou autre, on est au courant, et là rien, le grand silence.... Si les points de vue du "public" ont évolué , celles des praticiens en aucune façon...

Les familles connaissent les maladies des personnes si celles-ci sont d'accord, et ce, quelle que soit la pathologie. En revanche, en cas d'hospitalisation psychiatrique, en cas de maladie et de crise, il serait indispensable que les psychiatres rencontrent les familles en dehors du patient et leur expliquent ce qu'est la maladie, les moyens de la combattre, et leur donnent un soutien.

FF38 : Pourquoi donner plus de moyens aux Unités pour malades difficiles (UMD) et aux Unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) pour les détenus alors que les schizophrènes qui prennent leur traitement en ont besoin aussi : appartements thérapeutiques, allocation autonomie handicapé (AAH) à laquelle ils ont droit mais qu'ils ont du mal à obtenir...

Les moyens ne viennent pas des mêmes "enveloppes". Il y a les moyens pour la santé et les moyens pour le social et le médico-social. Cela devrait s'arranger avec les agences régionales de santé (ARS). Je suis d'accord avec vous, mais il faut des unités pour malades difficiles dans certains cas.

Alexandre : Que pensez vous du modèle scandinave, qui sacrifie parfois l'hospitalisation à proprement parlé pour des soins à domicile 2.0 (avec Webcam et matériel domestique par exemple) ?

On y arrivera, je pense, mais nous ne sommes pas encore prêts. En psychiatrie, les moyens humains sont indispensables car il s'agit de maladies de l'être, la relation est primordiale.

Ludovic : Est-ce que ces médicaments ne servent pas simplement à annihiler la volonté de la personne malade ?

Vous parlez de la camisole chimique. Les médicaments sont parfois indispensables pour calmer la souffrance. Il ne faut pas l'oublier. En revanche, les effets secondaires sont souvent perçus comme une atteinte à notre liberté et à notre volonté. Il faudrait pouvoir discuter avec les soignants des molécules administrées.

Alexandre : Pensez vous que l'amélioration de la condition des malades soignés et de leur réinsertion doit aussi passer par une sensibilisation de ceux en bonne santé ?

Oui, dans l'absolu. Reste à savoir ce que c'est que d'être en bonne santé. Où est la frontière dans notre société ? En revanche, une campagne de déstigmatisation est indispensable. La société a toujours peur de la folie, de ce qui ne se maîtrise pas.









Soins psychiatriques sous contrainte
Publié le 21/04/2010

La loi de 1990 sur l’hospitalisation sans consentement est en passe d’être réformée en profondeur. Un avant-projet de loi relatif "aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques" fait l’objet d’une concertation entre le ministère de la Santé, les syndicats de psychiatres, les patients et leurs familles. A terme, cette réflexion pourrait "obliger une personne atteinte de troubles psychiatriques à se soigner en dehors de l’enceinte de l’hôpital", prévient Le Monde (page 10). Jusque-là cantonnés à l’hôpital, les soins sous contraintes seraient donc élargis à la ville.
L’origine de cette volonté de réforme remonte à 2008. En cette fin d’année, "après le drame de Grenoble, où un malade ayant fugué de l’hôpital avait poignardé un étudiant", le président de la République demande une modification des règles d’hospitalisation "dans un sens plus sécuritaire", rappelle le quotidien.

"Concrètement, poursuit Le Monde, le texte prévoit la mise en place, à l’arrivée d’un malade à l’hôpital, d’une période d’observation de son état de 72 heures maximum." Il sera alors décidé s’il peut rentrer chez lui, s’il sort mais avec une obligation de se soigner ou s’il reste hospitalisé sous le régime de l’hospitalisation libre ou sans consentement. "En cas de sortie sous contrainte, un calendrier sera fixé avec l’hôpital pour que le malade y soit régulièrement suivi par un psychiatre."

L’avant-projet de loi envisage une réhospitalisation du malade en cas de non-respect des visites. Il prévoit également de faciliter la prise en charge sans consentement d’un malade par le seul corps médical, sans l’accord d’un tiers. Cet aspect du texte semble d’ailleurs séduire "car parfois aucun proche du malade ne voulait signer l’autorisation d’hospitalisation sous contrainte, de peur de se le voir reprocher", précise le journal.

Les représentants des familles et des malades estiment que le texte comporte "des avancées indéniables". Le délai de 72 heures d’observation leur semble, par exemple, être une garantie contre les internements abusifs. Tout comme le renforcement du rôle du juge judiciaire, qui pourra être saisi pour ordonner la levée de la contrainte. En revanche, ils s’interrogent sur les modalités de retour à l’hôpital et sur la répartition des rôles de chacun des acteurs (soignants, pompiers, ambulanciers, policiers).

De leur côté, de nombreux psychiatres désapprouvent le texte, redoutant un élargissement du soin contraint. Au ministère de la Santé, on se veut rassurant, prétextant qu’"il n’y aura pas d’augmentation du nombre de prise en charge sans consentement", indique Le Monde. Certains praticiens redoutent que le manque de moyens nuise au suivi des malades. En effet, selon le président du Syndicat des psychiatres, Angelo Poli, "dans les dix ans à venir, 30% des psychiatres vont partir à la retraite".

La bonne santé des laboratoires

Le marché des médicaments est actuellement en pleine forme et cela devrait durer ! Par exemple, rapportent Les Echos.fr, Novartis "a plus que quintuplé les ventes de sa division vaccins et diagnostics au premier trimestre", augmentant ainsi son bénéfice de 49%. Ce succès, le laboratoire suisse le doit surtout à la fourniture de vaccins et d’adjuvants contre la pandémie de grippe A, dont les ventes ont augmenté de 25%, à 12,1 milliards d’euros. Dans cet élan, Novartis a confirmé qu’"il entendait finaliser au deuxième semestre le rachat de 52% du spécialiste de l’ophtalmologie Alcon", indique le site du journal. De la sorte, il en contrôlera 77%.

Mais c’est l’ensemble du marché pharmaceutique qui connaît une progression. Toujours selon Les Echos.fr, celui-ci devrait gagner de 5 à 8% par an jusqu’en 2014. Cependant, cette croissance aurait pu être bien plus élevée. En effet, d’après le cabinet IMS Health, "ce taux de croissance moyen annuel de 5% à 8% reflète l’impact de la perte de brevets protégeant des produits importants dans les marchés développés, ainsi qu’une forte croissance en général dans les pays émergents".

Pour les années à venir, ce sont surtout les domaines de l’oncologie, du diabète, de la sclérose en plaques et du VIH qui devraient connaître une croissance plus forte que les autres, notamment grâce à l’arrivée de nouveaux médicaments sur le marché. Selon toute vraisemblance, la Chine deviendra le troisième marché pharmaceutique en 2011, derrière les États-Unis et le Japon.

Frédéric Lavignette

vendredi 23 avril 2010




Réponse à Michel Onfray, par Pierre Delion

Pouvoir débattre de la psychanalyse et de ses limites en matière de système psychopathologique et/ou de réussite thérapeutique est une des possibilités offertes par le débat démocratique. A condition de le faire de façon informée et rigoureuse. Mais profiter de son aura médiatique pour en abuser et transformer le toujours nécessaire débat en caricature est une lâcheté. Et la démocratie actuelle, ravagée par sa dérive médiatique simplificatrice, n’a pas besoin de ce coup de pied de l’âne.
Si je me permets de prendre part au débat, c’est parce que certains oublient avec une désinvolture étrange, les progrès que la psychanalyse freudienne a permis de réaliser dans un monde étrange lui aussi, celui de la maladie mentale. Alors que les avancées de la réflexion de Pinel et Pussin avaient abouti à la création d’asiles départementaux à une époque de sinistre mémoire au cours de laquelle les fous étaient enchaînés dans les culs de basse fosse des prisons, les limites du grand renfermement avaient été vite trouvées dans ces lieux dédiés aux malades mentaux. Toute l’évolution du XIXe siècle n’y aurait rien fait si Freud, avec sa métaphore du cristal, n’avait permis de changer le vertex pour examiner les conditions présidant à la psychopathologie dès le début du XXe siècle, engageant dès lors la psychiatrie sur une voie radicalement différente, celle qui consiste à considérer le malade mental comme un frère en déshérence, capable de s’appuyer sur ses propres ressources et sur celles de la communauté  pour changer de trajectoire.

La relation thérapeutique avec les patients, conceptualisée par Freud sous le terme de « relation transférentielle », lui donnait une possibilité de modifier en profondeur leur destin tragique. Mais si Freud théorise ces points de vue éminemment dignes d’intérêt pour les personnes névrosées dès le début du vingtième siècle, il va falloir attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour que des psychiatres, Tosquelles, Daumézon, Bonnafé et d’autres, ayant intériorisé de telles notions, puissent les proposer au pouvoir d’Etat pour les mettre en pratique, et notamment au service des personnes psychotiques.

La psychiatrie de secteur (circulaire du 15 Mars 1960), vraie révolution de la psychiatrie du siècle dernier, n’est que la transposition sous le terme de « continuité des soins » de la relation transférentielle freudienne dans un dispositif permettant d’accompagner tout au long de leur vie les patients présentant des troubles psychiques graves. On oublie souvent que c’est ce dispositif qui a permis de transformer radicalement les asiles en soignant les patients dans la cité, quitte à, dans certains cas, proposer une hospitalisation en psychiatrie. Je prétends que c’est Freud et ses successeurs, au rang desquels je place les fondateurs de la psychothérapie institutionnelle, qui ont, ensemble et à distance dans le temps, permis cette évolution formidable, en modifiant profondément les esprits des soignants.

Si aujourd’hui ces avancées sont ridiculisées à grands traits par certains « intellectuels » comme Michel Onfray, qui se pare à vil prix des atours de la vérité, ils contribuent à rendre le retour de la psychiatrie sécuritaire plus prégnant que jamais. En effet, c’est par la casse de cette psychiatrie à visage humain telle que la psychiatrie de secteur l’a promue, que la psychiatrie du XIXe siècle revient pour enfermer les fous qui ne peuvent être que dangereux, alors qu’ils sont moins dangereux que la moyenne des citoyens et, oh combien ! plus vulnérables. Or c’est précisément Freud qui avait grandement contribué à changer cette idée de la folie pour en faire un drame humain parmi d’autres, et à redonner espoir à ceux qu’elle concerne soit directement dans leur chair, soit en tant que psychiste professionnel.

Parce que je suis pédopsychiatre, j’ajoute que la pensée freudienne, approfondie par ses élèves, Melanie Klein, Anna Freud, et beaucoup d’autres en ce qui concerne les enfants, est ce qui permet de faire pièce aux seules prescriptions médicamenteuses et autres pratiques éducativo-comportementales qui sont aujourd’hui devenues la tendance dominante des pratiques pédopsychiatriques. Une prescription médicamenteuse ne doit se faire, quand elle est nécessaire, ce qui est rarement le cas en pédopsychiatrie, que dans un cadre adjuvant par rapport à la psychothérapie. Et les psychothérapies d’inspiration freudiennes sont, à ma connaissance, celles qui sont suivies d’effets lorsqu’elles sont pratiquées dans de bonnes conditions, c'est-à-dire par des gens formés et ouverts aux autres dimensions de la souffrance psychique des enfants, aussi bien aux aspects anthropologiques que socio-économiques.

Tirer sur le pianiste freudien par provocation et pour le seul plaisir de l’esthète mélancolique est une ânerie. Mais le faire en oubliant que les livres de Freud ont été brûlés par les nazis, est non seulement de la désinformation de bas étage, elle est un effort de plus en faveur de la déconstruction de la pensée complexe. Et là nous avons à faire à un champion.






ACTUALITE MEDICALE

Le mal être psychique à la lumière du passé…
Publié le 21/04/2010

Florissante aux États-Unis où elle fait l’économie de la nosographie et des structures mentales classiques, la « nouvelle psychiatrie » délaisse la psychanalyse pour les neurosciences, les enquêtes épidémiologiques, les TCC et le « sacro-saint » DSM. Mais paradoxalement, plus elle s’éloigne de l’héritage freudien, et plus cette nouvelle vision de la psychiatrie contribue parfois à le revaloriser ! En effet, l’apport de Freud peut se résumer par un modèle où les maladies mentales s’enracinent essentiellement dans l’enfance, le passé d’un sujet déterminant et éclairant son évolution future, comme les vicissitudes de l’Histoire permettent de comprendre l’actualité, à l’échelle des peuples. Or une étude portant sur un échantillon représentatif de 9 282 adultes (et fort coûteuse, puisque chacun de ces participants fut rémunéré 50 $ pour sa collaboration) permet de confirmer cette conviction évidente pour tout « psy à l’ancienne », à savoir que les aléas biographiques ayant émaillé l’enfance (childhood adversities) entraînent des séquelles psychiatriques !

Cette étude permet du moins de quantifier ce truisme : un vécu douloureux dans l’enfance est associé à environ « 45% des problèmes de santé mentale précoces et à près du tiers des troubles plus tardifs ». Les épreuves les plus marquantes dans l’enfance proviennent surtout des dysfonctionnements familiaux (que les auteurs désignent par l’expression explicite maladaptive family functioning : fonctionnement familial inadapté). Et sans surprise, ce contexte familial prédisposant comporte des antécédents de maladie mentale chez le père ou /et chez la mère, une addiction (alcoolisme, toxicomanie), un passé judiciaire. Autres facteurs, les épreuves concernant l’enfant lui-même : violence intra-familiale, maltraitance, carences éducatives, abus sexuels… Si des « associations significatives » entre ce type d’évènements dans l’enfance et une problématique psychiatrique à l’âge adulte sont documentées depuis longtemps, les études précédentes se focalisaient souvent sur un seul de ces aléas biographiques (par exemple le décès précoce d’un parent) et sur une seule conséquence pathologique dans l’évolution de l’enfant (généralement la dépression). L’intérêt de cette nouvelle étude consiste notamment dans son aspect multifactoriel : elle montre qu’il faut tenir compte de la globalité des épreuves traversées dans l’enfance, pour mieux cerner leurs interactions et leurs effets ultérieurs sans surestimer pour autant, comme certaines études antérieures, l’incidence d’un seul facteur isolé.

Dr Alain Cohen

Greif Green J et coll. : Childhood adversities and adult psychiatric disorders in the National Comorbidity Survey Replication I. Arch Gen Psychiatry 2010 ; 67 (2) : 113-123.

mardi 20 avril 2010

LES LIVRES DE LA PSYCHANALYSE
http://les-livres-de-psychanalyse.blogspot.com/

Proust-Joyce, Deleuze-Lacan : lectures croisées











Parution : mars 2010
Edition : l'Harmattan
Collection : Ouverture Philosophique
Prix : 13,50€


Proust et Joyce sont lus par Deleuze. Mais Joyce l'est aussi par Lacan : quels sont les principes mutuels de leur lecture ? Qu'est-ce qui réellement les oppose ? Pour tous les deux, il y a un point, point de fuite, qui est à l'origine de l'oeuvre littéraire, fuite du sens, non-sens. En quoi la " ligne de fuite " deleuzienne a-t-elle néanmoins besoin d'être re-élaborée dans son rapport à ce qui " fuit " ? Qu'en est-il de ce Réel que chacun invoque ? Et du littéral dont chacun se réclame ?


LES LIVRES DE LA PSYCHANALYSE
http://les-livres-de-psychanalyse.blogspot.com/


Quelle politique pour la folie ? - Le suspense de Freud

Guy Dana











Paru le : 07/04/2010
Editeur : Stock
Collection : L'Autre Pensée
Prix : 20 €


C'est un nouvel espace d'hospitalité à la folie que ce livre tente de penser à partir de ce que l'auteur, psychiatre et psychanalyste, a pu créer au sein même du service qu'il dirige et dans les cures auprès des malades.

Partant des principes directeurs de la psychanalyse, l'idée tenace de ce livre est qu'une politique qui s'installe au coeur de la ville peut permettre de contourner la menace qui pèse actuellement sur le champ social dans son entier, et sur la psychiatrie en particulier : exigence de rendement et instrumentalisation de nos peurs, évaluation tronquée par les normes, culte de la performance et du résultat.

Dans ce contexte, l'isolement sécuritaire et la réponse médicamenteuse systématique peuvent-ils être évités ? Guy Dana répond, soutenu par l'inventivité de la psychanalyse, en privilégiant une solidarité indéfectible avec ceux qui sont au quotidien sur le terrain. Il montre, et l'idée est novatrice, que les impasses que l'on rencontre dans le traitement des psychoses sont aussi des balises pouvant ouvrir un nouvel horizon.

La psychanalyse, pense-t-il, revisitée par Freud, Lacan et Winnicott, est aujourd'hui l'antidote qui permet de proposer et d'initier de façon rigoureuse une autre approche de la folie et de la souffrance humaine. Malgré, ou avec, un certain suspense.

dimanche 18 avril 2010





IDÉES - TRIBUNE LIBRE - HISTOIRE
Article paru
le 16 avril 2010
Non à l’amalgame sécuritaire : schizophrénie égale danger !
 
PAR SERGE KLOPP, CADRE DE SANTÉ, CHARGÉ DE LA PSYCHIATRIE AU PCF, ANIMATEUR DU COLLECTIF DES 39 « CONTRE LA NUIT SÉCURITAIRE ».

Comment, au travers des malades mentaux, sont remis en question les fondements du Droit ?

Le drame terrible de cette personne poussée sous une rame du RER vient relancer une campagne médiatique sur la « pseudo-dangerosité » des schizophrènes. Une nouvelle fois sont montrées du doigt les équipes de psychiatrie « laxistes et irresponsables » qui laisseraient sans « surveillance » une foule de malades dangereux. Est-ce un hasard si cette campagne arrive au moment où le gouvernement vient de publier son projet de loi « relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques »  ? Projet de loi fondamentalement sécuritaire qui, contrairement à son énoncé, ne vise ni à protéger ces personnes ni à garantir leurs droits. Première remarque, sur la manière dont le gouvernement pose le débat  : il ne s’agit ni d’un débat juridique ni d’un débat scientifique, mais uniquement d’un débat idéologique qui s’appuie sur la méconnaissance de la réalité du problème et la peur de nos concitoyens. Peur et méconnaissance savamment amplifiées par des campagnes de presse visant à monter en épingle des faits dramatiques, mais isolés pour en faire des généralités.

En effet, l’action du chef de l’État s’appuie sur les présupposés idéologiques suivants : les schizophrènes seraient pour la plupart des criminels potentiels ; nous serions entourés de fous dangereux que la psychiatrie laisse en liberté ; on pourrait prédire scientifiquement quel malade est potentiellement dangereux et qui ne le serait pas. D’où les solutions suivantes  : internement de tout malade « susceptible » d’être dangereux – et non dont l’état présente un danger pour lui-même ou pour autrui  ; dans les services de psychiatrie, multiplication des chambres d’isolement et des UMD (unités pour malades difficiles) ; généralisation des bracelets électroniques ; obligation de soins ambulatoires.

Nous nous devons de porter le débat dans la société sur la folie qui sous-tend ce discours idéologique et qui vise, au travers des malades mentaux, à remettre en question tous les fondements du droit. Bien sûr que je considère que tous les citoyens ont droit à la sécurité et il ne s’agit pas de banaliser certains faits. Mais on ne doit pas non plus remettre en question les libertés fondamentales du plus grand nombre au prétexte que quelques individus peuvent être dangereux. Il faut savoir que, contrairement à ce que l’on pense, ou que l’on voudrait nous faire croire, les malades mentaux ne sont pas plus dangereux que le reste de la population, mais au contraire, ils sont plus exposés que le reste de la population.

Sur environ 50 000 crimes et délits, seuls environ 200 ont justifié une mesure d’irresponsabilité, soit 0,4 %, alors que les personnes souffrant de schizophrénie représentent un peu plus de 1 % de la population. Les violences conjugales auraient causé la mort de 161 personnes, alors que seules 5 personnes auraient perpétré un meurtre en raison d’un trouble mental. Les médias ont, chaque fois, relayé ces 5 drames durant plusieurs jours, donnant l’impression qu’il s’agit d’un risque majeur et que nous serions tous menacés au quotidien. Si les drames conjugaux étaient traités de la même manière, ce serait chaque semaine quatre nouveaux drames qui seraient relayés. Soit presque autant que le nombre annuel de drames causés par ces patients  ! Il est sûr que ce serait moins vendable, mais cela poserait pourtant là un vrai problème de société  ! Par contre, les malades mentaux, toutes pathologies confondues, sont 11 fois plus souvent victimes de crimes et 140 fois plus souvent victimes de vols  !

Cela montre bien que ces personnes devraient non seulement pouvoir continuer à bénéficier de soins dans le cadre du dispositif de psychiatrie, mais en plus qu’elles devraient faire l’objet d’une protection accrue de la société en ce qui concerne la protection de leurs biens et de leur personne  !

Il est vrai aussi que de nombreuses équipes de psychiatrie sont amenées à « abandonner » certains patients. Le plus souvent par manque de moyens humains correctement formés, mais aussi parce que le ministère – au nom de la rentabilité – leur demande de plus en plus de ne traiter que les symptômes les plus visibles et non plus de soigner et d’accompagner ces personnes en souffrance. C’est ainsi que sont systématiquement privilégiés les traitements cognitivo-comportementaux et les neurosciences au détriment de l’approche psychodynamique centrée sur la relation, prenant en compte chaque sujet dans sa globalité et sa singularité propres.

Face à cet abandon que ne cessent de dénoncer les associations de malades et de familles, plutôt que de vouloir imposer une généralisation des soins sous contrainte, y compris en ambulatoire, ne faudrait-il pas plutôt réaffirmer l’obligation de soins pour les équipes ? Ce qui pose par ailleurs l’obligation de moyens pour l’État !
Le débat est ouvert !



Onfray et le fantasme antifreudien, par Élisabeth Roudinesco

LE MONDE DES LIVRES | 15.04.10 |

Créateur d'une Université populaire à Caen, Michel Onfray s'est fait connaître pour avoir inventé une "contre-histoire de la philosophie" dont la méthodologie s'appuie sur le principe de la préfiguration : tout est déjà dans tout avant même la survenue d'un événement. Cela lui a permis d'affirmer des choses extravagantes : qu'Emmanuel Kant était le précurseur d'Adolf Eichmann - parce que celui-ci se disait kantien (Le Songe d'Eichmann, Galilée, 2008) -, que les trois monothéismes (judaïsme, christianisme et islam) étaient des entreprises génocidaires, que l'évangéliste Jean préfigurait Hitler et Jésus Hiroshima, et enfin que les musulmans étaient des fascistes (Traité d'athéologie, Grasset, 2005). Fondateurs d'un monothéisme axé sur la pulsion de mort, les juifs seraient donc les premiers responsables de tous les malheurs de l'Occident. A cette entreprise mortifère, M. Onfray oppose une religion hédoniste, solaire et païenne, habitée par la pulsion de vie.

Cédant à une rumeur inventée par Carl Gustav Jung, selon laquelle Freud aurait eu une liaison avec Minna Bernays, la soeur de sa femme Martha, M. Onfray en vient à imaginer, à la suite d'historiens américains du courant dit "révisionniste", que celui-ci l'aurait engrossée puis obligée à avorter. Aussi peu soucieux des lois de la chronologie que de celles de la procréation, M. Onfray situe cet événement en 1923. Or, à cette date, Minna était âgée de 58 ans et Freud de 67.Face à cette figure qui lui sert de repoussoir, et dont il annonce le crépuscule, l'auteur revalorise la destinée des pères, et d'abord du sien propre. Et puisque Freud fut adoré de sa mère, M. Onfray considère que le fondateur de la psychanalyse était un pervers haïssant son père et ayant abusé psychiquement de ses trois filles (Mathilde, Sophie et Anna). L'appartement de Vienne était, selon lui, un lupanar et Freud un Œdipe ne pensant qu'à coucher réellement avec sa mère puis à occire vraiment son père, afin de fabriquer des enfants incestueux pour mieux les violenter.
Pendant dix ans, il aurait torturé sa fille Anna tout au long d'une analyse qui aurait duré de 1918 à 1929, et au cours de laquelle, chaque jour, il l'aurait incitée à devenir homosexuelle. La vérité est toute différente : Freud a bien analysé sa fille, mais la cure a duré quatre ans, et quand Anna a commencé à se rendre compte de son attirance pour les femmes, c'est elle qui a choisi son destin et Freud ne l'a pas tyrannisée : il a même fait preuve de tolérance.

Et Michel Onfray d'ajouter que Freud aurait cédé à la tentation de subir une opération des canaux spermatiques destinée à augmenter sa puissance sexuelle afin de mieux jouir du corps de Minna. La réalité est toute différente : en 1923, Freud, qui vient d'apprendre qu'il est atteint d'un cancer, subit cette opération de ligature (dite de "Steinbach"), classique à l'époque, et dont on pensait qu'elle pouvait prévenir la récidive des cancers.

Si Freud est un pervers, sa doctrine devient alors le prolongement d'une perversion plus grave encore : elle serait, pour M. Onfray, le"produit d'une culture décadente fin de siècle qui a proliféré comme une plante vénéneuse". L'auteur reprend ainsi une thématique connue depuis Léon Daudet et selon laquelle la psychanalyse serait une science parasitaire, conçue par un cerveau dégénéré et née dans une ville dépravée.

Dans la même veine, il retourne l'accusation de "science juive" prononcée par les nazis contre la psychanalyse pour faire de celle-ci une science raciste : puisque les nazis ont mené à son terme l'accomplissement de la pulsion de mort théorisée par Freud, affirme-t-il, cela signifie que celui-ci serait un admirateur de tous les dictateurs fascistes et racistes. Mais Freud aurait fait pire encore : en publiant, en 1939, L'Homme Moïse et la religion monothéiste, c'est-à-dire en faisant de Moïse un Égyptien et du meurtre du père un moment originel des sociétés humaines, il aurait assassiné le grand prophète de la Loi et serait donc, par anticipation, le complice de l'extermination de son peuple. Quand on sait que Freud soulignait que la naissance de la démocratie était liée à l'avènement d'une loi sanctionnant le meurtre originel et donc la pulsion de mort, on voit bien que l'argument d'un Freud assassin de Moïse et des juifs ne tient pas un instant.

LE BOURREAU ET LA VICTIME

Refusant le principe fondateur de l'histoire des sciences, selon lequel les phénomènes pathologiques sont toujours des variations quantitatives des phénomènes normaux, M. Onfray essentialise l'opposition entre la norme et la pathologie pour soutenir que Freud n'est pas capable de distinguer le malade de l'homme sain, le pédophile du bon père et surtout le bourreau de la victime. Et du coup, à propos de l'extermination des quatre soeurs de Freud, il en conclut qu'à l'aune de la théorie psychanalytique, il est impossible "de saisir intellectuellement ce qui psychiquement distingue Adolfine, morte de faim à Theresienstadt, de ses trois autres soeurs disparues dans les fours crématoires en 1942 à Auschwitz et Rudolf Höss (le commandant du camp d'extermination), puisque rien ne les distingue psychiquement sinon quelques degrés à peine visibles". Au passage, M. Onfray se trompe de camp : Rosa fut exterminée à Treblinka, Mitzi et Paula à Maly Trostinec. Et si la "solution finale" a bien saisi la famille Freud, ce n'est pas dans un tel face-à-face inventé de toutes pièces.

Bien qu'il se réclame de la tradition freudo-marxiste, Michel Onfray se livre en réalité à une réhabilitation des thèses paganistes de l'extrême droite française. Telle est la surprise de ce livre.
Ainsi fait-il l'éloge de La Scolastique freudienne (Fayard, 1972), ouvrage de Pierre Debray-Ritzen, pédiatre et membre de la Nouvelle Droite, qui n'a jamais cessé de fustiger le divorce, l'avortement et le judéo-christianisme. Mais il vante aussi les mérites d'un autre ouvrage, issu de la même tradition (Jacques Bénesteau, Mensonges freudiens. Histoire d'une désinformation séculaire, Mardaga, 2002), préfacé par un proche du Front national, soutenu par le Club de l'Horloge : "Bénesteau, écrit-il, critique l'usage que Freud fait de l'antisémitisme pour expliquer sa mise à l'écart par ses pairs, son absence de reconnaissance par l'université, la lenteur de son succès. En fait de démonstration, il explique qu'à Vienne à cette époque nombre de juifs occupent des postes importants dans la justice et la politique." Au terme de son réquisitoire, M. Onfray en vient à souscrire à la thèse selon laquelle il n'existait pas de persécutions antisémites à Vienne puisque les juifs étaient nombreux à des postes importants.


On est loin ici d'un simple débat opposant les partisans et les adeptes de la psychanalyse, et l'on est en droit de se demander si les motivations marchandes ne sont pas désormais d'un tel poids éditorial qu'elles finissent par abolir tout jugement critique. La question mérite d'être posée.

Le Crépuscule d'une idole. L'affabulation freudienne de Michel Onfray. Grasset, 600 p., 22 €, en librairie le 21 avril.

Elisabeth Roudinesco
Article paru dans l'édition du 16.04.10.





 

Jacques-Alain Miller-article complet Le Point

Un hebdomadaire m’avait commandé un texte de 4 000 signes. Je le vois publié tronqué. Je le donne ici complet.
JA Miller

La cohorte est longue, des philosophes français inspirés par la psychanalyse. Sartre inventa une psychanalyse dite existentielle, où la mauvaise foi remplaçait l’inconscient. Ricoeur tira de Lacan une théorie néo-spiritualiste de l’interprétation, Althusser une théorie néo-marxiste de la lecture. Foucault embrassa une version néo-heideggerienne de l’analyse avant de célébrer, puis de critiquer, sa version structuraliste. Derrida en nourrit sa « déconstruction ». Deleuze en tira une « schizo-analyse ». Tous, subtils.

M. Michel Onfray ne mange pas de ce pain-là. « Déniaisé », écrit-il, à l’école de ces militants dits révisionnistes qui, depuis vingt ans, donnent de Freud un portrait en sale type qui dupa son monde, il se fait leur émule. Il y va au canon. Mais le boulet, en fait, il le porte à la cheville : c’est son postulat de départ, il n’en décolle pas. Ce postulat est double : 1) la psychanalyse est une philosophie ; 2) toute philosophie est l’autobiographie déguisée de son auteur, une construction faite pour soulager sa « douleur existentielle », « mettre de l’ordre dans sa vie ». Il s’ensuit que la psychanalyse est une thérapie à l’usage du seul Freud. Elle prétend valoir pour d’autres ? extrapolation abusive, imposture. CQFD. Ce canevas délirant est d’une logique imparable dès que le postulat est admis.

Sur cette lancée, l’ouvrage prétend reconstituer la vie sexuelle de Freud. On croirait lire le canular de Botul sur Kant. Page 572, l’auteur met carrément la main dans la culotte du zouave : relevant que les poches de ses pantalons avaient souvent de gros trous, il subodore aussitôt le masturbateur compulsif. Plus grave : gouverné par un gros complexe d’Œdipe, Freud persuada tout un chacun qu’il était dans le même cas. Pire encore : il fut mari incestueux, amant incestueux, père incestueux. On s’étonne qu’il ne lui soit pas aussi imputé d’avoir été pédophile. Conclusion : inceste et onanisme sont les mamelles du freudisme.

La partie épistémologique est non moins expéditive. Les concepts freudiens ? une fantasmagorie, « un cirque », ceci redit mille fois. L’ouvrage est parsemé de points d’exclamation, qui signifient : qui peut croire pareilles sornettes ? L’inconscient fait des calembours ! Il est illogique ! Insaisissable ! On ne le voit jamais ! Et Freud qui a le toupet de nous parler de ça ! Et Freud qui se contredit ! M. Onfray, jamais. Il ne se fie, dit-il, qu’à « la raison raisonnante et raisonnable ». L’histoire des idées le montre, ce genre de boussole s’affole toujours devant la psychanalyse. Faute d’admettre qu’un réel puisse répondre à d’autres principes que la non-contradiction aristotélicienne, on se retrouve vite dans la position d’un Monsieur Homais aux prises avec une imbaisable Arlésienne.

Quelques mots suffisent enfin pour expliquer le ressort de l’imposture : la magie du verbe, l’alliance des gredins, la crédulité des dupes. C’est que ce livre puise dans le même trésor d’idées reçues que toutes les théories conspirationnistes. Il ravira cette famille d’esprits.

On aimerait croire que « tout ce qui est exagéré est insignifiant ». A l’âge médiatique,  rien n’est moins sûr. La pensée freudienne, qui s’avance sur des pattes de colombe, délicate, scrupuleuse, attentive au détail le plus menu, se transformant à plaisir pour épouser les méandres de l’expérience clinique, et supposant, comme dit Valéry, « l’action de présence des choses absentes », cette pensée ne pouvait que rebuter la masse. Du coup, ses partisans crurent bon de populariser une image de Freud en saint laïque. Cette idéalisation, qui fut surtout le fait des analystes de langue anglaise, ne manqua pas de provoquer des contrecoups agressifs, dont nous avons aujourd’hui un remake. Mais ce ne sont pas de tels couplets qui menacent la psychanalyse. Non, c’est le succès même de sa méthode. Le sens commun la dilue, toutes sortes de thérapies conversationnelles en dérivent. Entre-temps, la notion se répand que rien n’existe que ce qui est chiffrable.



L'anthropologie de Lévi-Strauss et la psychanalyse


Ce livre renoue avec un moment doublement fécond : l’invention, par Claude Lévi-Strauss dans les années 1940, d’une « anthropologie structurale », fruit de la rencontre avec la linguistique de Roman Jakobson ; puis l’adoption, la décennie suivante, du structural en psychanalyse, par Jacques Lacan. Les auteurs restituent la vigueur de ces échanges et soulignent des points de convergence, connus ou moins connus. Ainsi, retrouve-t-on le concept de structure dans ses usages désormais classiques : phonologie, systèmes de parenté, langage des mythes. Mais on le découvre aussi mis à l’épreuve de la fonction poétique, par Jakobson ; et soumis au bouleversement des dernières thèses de Lévi-Strauss sur la musique.

En psychanalyse, la structure n’a d’abord été importée qu’à la condition d’un paradoxal « sujet de l’inconscient », qui se démarque de l’inconscient structural lévi-straussien. Mais par la suite, Lacan retrouve les transformations internes au structuralisme, quand, s’éloignant du modèle linguistique, il affirme sa notion de « lalangue », quand il repense la structure au moyen du nœud borroméen, ou met en crise la totalité, avec le « pas-tout » des formules de la sexuation.

Cette rencontre tardive des trois grandes œuvres réserve-t-elle de la structure un autre usage? C’est ce dont, au terme de la réflexion proposée ici, on pourra peut-être décider. Le présent ouvrage fait suite à un colloque initié en automne 2005 par quelques-uns (Marion Abélès, Marcel Drach, Michel Izard, Marie Mauzé et Bernard Toboul). Informé de ce projet, Claude Lévi-Strauss a accepté de l’entendre avec bienveillance. Mûri dans le sillage de ce colloque, ce livre lui est offert en hommage.

Marcel Drach, maître de conférences en sciences économiques à l’université Paris-IX-Dauphine et directeur de programme au Collège international de philosophie, est notamment l’auteur de La crise dans les pays de l’Est (La Découverte, coll. « Repères », 1990) et co-auteur de Philosophie et Économie (Rue Descartes, n° 28, PUF, 2000).
L'argent

Bernard Toboul est psychanalyste.



Donner la fessée à un enfant le rendrait plus agressif
LEMONDE.FR | 13.04.10 |

L'Académie américaine de pédiatrie s'est prononcée contre la fessée et préconise le bon vieux "coin" comme punition, de quoi donner à l'enfant le temps de réfléchir à ses actes et leurs conséquences.


Fessera ou fessera pas ? La fessée divise. Selon une étude réalisée outre-Atlantique et publiée lundi dans Pediatrics, les enfants qui reçoivent fréquemment une fessée à 3 ans ont toutes les chances de devenir plus agressifs dès l'âge de 5 ans.

L'Université de Tulane, en Louisiane, s'est penchée sur la pratique de 2 500 mères américaines. Près de la moitié (45,6 %) affirmaient ne pas avoir corrigé leur enfant d'une fessée au cours du mois précédent, 27,9 % l'avaient fait une ou deux fois, et plus d'un quart, 26,5 %, l'avaient fait plus de deux fois. Par rapport aux enfants qui n'étaient pas frappés, ceux qui subissaient régulièrement un châtiment ont montré des signes d'agressivité  à l'âge de 5 ans : ils ont même fait preuve "d'insolence, de cris, de cruauté, de méchanceté vis-à-vis des autres". "Certains se battent, exercent des menaces, voire détruisent des choses", a affirmé Catherine Taylor, chercheuse en santé publique à l'Université de Tulane.

L'Académie américaine de pédiatrie s'est prononcée contre la fessée et préconise le bon vieux "coin" comme punition, de quoi donner à l'enfant le temps de réfléchir à ses actes et leurs conséquences. Malgré ces recommandations, la plupart des parents aux Etats-Unis approuvent ou ont utilisé le châtiment corporel comme un outil de discipline, dit l'étude. "L'étude suggère que même des formes mineures de châtiment corporel accroissent les risques d'un comportement agressif de l'enfant", ajoute l'enquête.

Côté Vieux Continent, une étude de TNS Sofres-Logica réalisée pour Dimanche Ouest France en novembre 2009 soulignait que deux tiers des parents – et parmi eux, surtout des sympathisants de droite, des ouvriers et des hommes – avaient recours à la fessée, mais exceptionnellement, 52 % d'entre eux estimant que la fessée est un geste à éviter, qui banalise la violence.

Le Monde.fr, avec AFP



Les cerfs-volants comme thérapie pour malades souffrant de troubles psychiques

dimanche 18.04.2010

|  RENCONTRES INTERNATIONALES DE CERFS-VOLANTS |

C'est la cinquième année consécutive que des patients du Nord - Pas-de-Calais, ... de Picardie et d'Ile-de-France, atteints de troubles psychiques, se retrouvent sur la plage de Berck pour faire voler leurs cerfs-volants. Un rendez-vous organisé en partenariat avec la ville et l'ASCEM (association sportive et culturelle des établissements de santé mentale), et rassemblant des services de psychiatrie du grand nord de Paris (secteur ouvert, fermé et hôpital de jour).

L'objectif est clairement thérapeutique. « La psychiatrie fait peur et reste un monde méconnu. La démarche de venir ici, et de participer comme les autres aux rencontres internationales de cerfs-volants, permet de redonner confiance aux malades, de les revaloriser. Ils peuvent ainsi tester leur autonomie, sont accueillis par la municipalité au même titre que les autres... », explique Jean-Luc Ravaut, de l'équipe soignante du CHAM.

Un autre regard sur la psychiatrie

Plusieurs mois en amont, les patients ont donc fabriqué leurs propres cerfs-volants, à base de matériaux recyclés et récupérés, et sont venus, mardi, les faire voler au milieu des autres, dans le ciel berckois, sous l'œil d'un jury chargé de noter le plus beau et le plus original.

« C'est évidemment une sortie loisirs mais qui reste dans le cadre des soins. Ainsi, elle nous permet aussi d'évaluer le comportement des patients en société, leur socialisation et leur intégration à la société, alors qu'ils passent une journée dans une ville inconnue, avec énormément de monde autour d'eux. Cela donne souvent des échanges remarquables sur la plage. Et un autre regard sur la psychiatrie », défend Jean-Luc Ravaut. Chaque mois, des sorties identiques sont organisées dans toute la région (basket, chant, piscine...). Un projet salué par les patients et les établissements de santé mentale. Parfois difficile à organiser, « par manque de moyens », déplore Jean-Luc Ravaut.

É. A.

samedi 17 avril 2010

Psychanalyse et éducation
De l’utopie aux expériences















Le Coq-héron
n° 199, 2009/4
156 pages
Editeur
érès
I.S.B.N. 9782749211770
25 €



Psychanalyse et éducation
De l’utopie aux expériences


SOMMAIRE

Page 007 à 010
Eva Brabant-Gerö   Éditorial 

Dossier : Psychanalyse et éducation

Page 011 à 014
Sandor Ferenczi   Supplément à « Psychanalyse et pédagogie »

Page 015 à 026
Thomas Aichhorn   L'abandon, la tendresse, le transfert et la libido Présentation d'un travail pratique de August Aichhorn

Page 027 à 033
Imre Hermann   Sur l'obéissance

Page 034 à 044
Michæl Balint   Le problème de la discipline

Page 045 à 050
Thomas Aichhorn   Approches psychothérapeutiques et approches pédagogiques en psychanalyse Réflexions sur la controverse entre Melanie Klein et l'École viennoise de psychanalyse

Béatrice Fortin   Une conception de l'éducation allemande : Die Erziehung

Page 055 à 058
Hossaïn Bendahman   Autour de la pensée de Jacques Lévine

Page 059 à 064
Jean-Pierre Gabrielli   Interview de Jacques Lévine

Page 065 à 077
Jacques Lévine   Régression ou refus de se séparer de soi ?
 
Page 078 à 085
Jacques Lévine   Rénovation : quelle formation des enseignants à la relation ? Histoire d'un groupe de soutien au soutien

Page 086 à 090
Jacques Lévine   « Monsieur, nous, on a la haine… »
 
Page 091 à 098
Nicole Beaume   La boîte à outils de Jacques Lévine

Page 099 à 105
Judith Dupont   L'éducatif dans la psychanalyse

Page 106 à 117
Claude Nachin   Psychanalyse et pédagogie, éducation et rééducation

Page 118 à 132
Alex Raffy   Violence symbolique et violence physique avec l'enfant à l'épreuve de la psychanalyse

Page 133 à 145
Corinne Daubigny   Face aux violences du siècle : des discours à la parole Questions d'éducation et de santé publique 

Lectures

Page 146 à 149
Lectures

mercredi 14 avril 2010






Le "privilège" de travailler dans un hôpital

Article en réponse au rapport de la chambre régionale des comptes d'Ile-de-France sur la situation des hôpitaux de l'AP-HP. Ce document dresse "un véritable inventaire des privilèges" dans les 37 établissements qui emploient près de 91.000 personnes.

Il est vrai que c'est un privilège d'accompagner les patients dans la souffrance, dans la mort. D'accompagner les parents dont les enfants décèdent à l'hôpital... C'est un privilège de travailler la nuit dans un service d'urgence et de se faire agresser par les patients qui attendent. En psychiatrie par exemple, la prime de travail dangereux est de 1,54 euro par jour effectif travaillé. C'est un privilège ?

Et vous, vos privilèges les journalistes (assister aux premières des spectacles, vos abattements fiscaux, voyages payés par les contribuables lors des accompagnements des politiques ou d'hommes d'État) ? Nous n'avons pas la même notion du privilège !

Ce jour, nous apprenons que Mme DATI se voit supprimer sa voiture de fonction et son garde du corps, nous n'avons pas ce problème dans les hôpitaux puisque la majorité du personnel prend les transports en commun même pour être à son poste à 6 h 45 samedi, dimanche, jours fériés inclus... La prime pour un infirmier ou un aide soignant dimanche et jour férié est de 40 euros imposable ! Colossal !

Il est vrai que nous devons compenser les cadeaux fiscaux et les soi-disant déficits des banques. De ce fait, le fonctionnaire ayant toujours été solidaire, il est normal de lui demander contribution. Peut-on demander à l'héritière des Galeries Lafayette (bouclier fiscal) de contribuer elle-aussi au déficit ?

Mme Carla Bruni Sarkozy peut également revendre son sac Gucci à 12 000 euros ce qui représenterait 250 dimanche et jour férié payé à un infirmier ou aide-soignant.

Collectif « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans »
Information aux 200 000 signataires de l’appel – mars 2010



« Pasde0de conduite »
vous invite à son 3e colloque scientifique et de société
« Les enfants au carré ? Une prévention qui tourne pas rond ! »
Prévention et éducation plutôt que prédiction et conditionnement
Samedi 19 juin 2010
Palais de la Mutualité – Paris


Programme et bulletin d’inscription sur
http://www.pasde0deconduite.org/IMG/pdf/programme_colloque_pasde0deconduite_19juin2010.pdf 


Argumentaire
Il y a quatre ans les pouvoirs publics tentaient de désigner, dès la crèche et l’école maternelle, les bébés supposés devenir délinquants.

Aujourd’hui encore, face aux difficultés des enfants et des familles, les réponses stigmatisantes et coercitives sont privilégiées:
• Les mesures de contrôle et de surveillance des parents en difficulté sont renforcées.
• Le secret professionnel dans le cadre de la prise en charge des familles est mis à bas au titre de la loi de prévention de la délinquance de 2007.
• Les mineurs sont fichés : avec le fichier base-élèves, le parcours scolaire de tous les enfants sera conservé pendant 35 ans ; et dès 13 ans les mineurs qui seront a priori soupçonnés de vouloir commettre un acte répréhensible seront inscrits dans le nouveau fichier Edvige.
• La suppression du Défenseur des enfants est annoncée, au moment des célébrations du 20ème anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Cette volonté de contrôle de l’enfance se manifeste également dans la mise en place de certaines pratiques professionnelles. Le projecteur n’est plus braqué seulement sur le dépistage prédictif des jeunes enfants turbulents. La focale s’est élargie à tous les enfants à travers des programmes dits de "promotion de la santé mentale" dès 24 mois. Est-ce compatible avec une prévention psychologique globale, prévenante, humanisante et éthique ?

Depuis 2006 le collectif Pasde0deconduite a engagé une réflexion sur les questions de politiques et de recherche en prévention psychologique, soin et éducation.  Colloques et publications ont démonté les fondements prétendument scientifiques des approches déterministes de la prévention.

 Ce 3ème colloque Pasde0deconduite explore les écarts respectifs qu’il y a entre prévention et prédiction, éducation et conditionnement.

Il s'agit notamment de :

• Mieux comprendre les hiatus entre prévention et  évaluation des comportements des enfants.
• Préciser en quoi l’accompagnement vers la socialisation est d’une autre nature que les apprentissages précoces de conduites adaptatives.
• Analyser les méthodes, leurs fondements théoriques, leur cadre d’application.

En effet comment une politique bénéfique pour l'enfance et la famille pourrait-elle émerger de la logique de contrôle qui prévaut actuellement ? Malmener la dimension éthique dans le rapport à l'enfant n’ouvre-t-il pas… sur une impasse ? Conformément à l'esprit de travail multidisciplinaire et citoyen  du collectif Pasde0deconduite, ces questions seront abordées sous les aspects psychologique, médical, éducatif, philosophique, sociologique et politique.

Les trois tables-rondes

• Adaptation, prévention : qu’est-ce qui rime, qu’est-ce qui prime ?
• De la socialisation à l’éducation, penser et grandir
• Enfance et famille : contrôle des billets ou invitation au voyage ?

Les intervenants

Daniel Calin,  philosophe, ex-formateur d’enseignants spécialisés, IUFM Paris
Pierre Delion, professeur de pédopsychiatrie Université Lille II
Pierre Frackowiak, inspecteur honoraire de l’Education nationale
Vincent de Gaulejac, professeur de sociologie, Université Paris VII
Sylviane Giampino, psychanalyste, psychologue petite enfance, ANAPSY-pe
Bernard Golse, professeur de pédopsychiatrie Université Paris V
Roland Gori, professeur de psychopathologie Université Aix-Marseille I,  Psychanalyste
Tim Greacen, directeur du Laboratoire de recherche, EPS Maison Blanche
Marina Juienne, journaliste sciences et société
Christopher Lane, professeur de littérature anglaise aux États-Unis
Isabelle Millon, philosophe praticienne, directrice de l’Institut de pratiques philosophiques
Sylvain Missonnier, professeur de psychologie, Université Paris V
Michel Parazelli, professeur-chercheur, École de travail social, Université du Québec à Montréal
Christine Simon-Lang, psychologue clinicienne, accueillante à "La maisonnée" de Strasbourg
Pierre Suesser, pédiatre en protection maternelle et infantile - SNMPMI
Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, Directeur de recherche Université Paris X

Les discutants

François Bourdillon (médecin de santé publique), Yvonne Coinçon (pédopsychiatre), Michel Dugnat (pédopsychiatre), Nathalie Georges (psychanalyste), Véronique le Mézec (psychologue de l’éducation nationale), Pascal Ourghanlian (enseignant spécialisé), Thérèse Petitpierre (psychologue), Gérard Schmit (professeur de pédopsychiatrie), Dominique Terres (pédopsychiatre)

Programme et bulletin d’inscription sur
http://www.pasde0deconduite.org/IMG/pdf/programme_colloque_pasde0deconduite_19juin2010.pdf


Site de Pasde0de conduite : www.pasde0deconduite.org
Mail : contact@pasde0deconduite.org




"Tester son ado pour savoir s'il fume du cannabis n'est pas la bonne façon d'entamer le dialogue"

Sur Le Post, un psychiatre et addictologue estime que le test urinaire bientôt en vente libre est "un outil intrusif et pas très fiable."

Déjà en vente sur Internet, ce test de dépistage de cannabis arrivera bientôt dans les pharmacies françaises, selon Le Parisien.

De quoi s'agit-il ? C'est un petit outil de la taille d'un test de grossesse, qui doit être trempé dans l'urine. Il permet d'estimer la consommation de cannabis de la personne testée. Contrairement aux bandelettes déjà mises sur le marché, ce test indique la concentration de THC, la substance active du cannabis.

Le test est vendu comme un outil à l'usage des parents, pour qu'ils sachent si leur enfant fume du cannabis, et dans quelle proportion.

Joint par Le Post, le psychiatre Michel Reynaud, chef de service de psychiatrie et d'addictologie de l'Hôpital Paul-Brousse à Villejuif, nous donne son avis de spécialiste: "L'usage de ce test a toutes les chances de compliquer la discussion avec l'ado.

"Que pensez-vous de ce test? Est-ce un bon outil pour les parents ?
"Non, ce n'est pas un bon outil. Il présente plus d'inconvénients que d'avantages. Faire uriner son ado est compliqué et intrusif. Ce n'est vraiment pas la bonne façon d'entamer le dialogue.
Éventuellement, très éventuellement, dans le cadre d'une diminution ou d'un arrêt de la consommation de cannabis, ce test peut donner une indication. Mais il faut que l'ado participe vraiment au processus.

"Quels sont les inconvénients de ce test ?
"Il place les parents en dehors de leur position de parents pour en faire des médecins ou des auxiliaires de justice. Et ce n'est pas une position facile à tenir. Nous, membres du corps médical, sommes habitués aux rechutes, aux mensonges. D'où l'intérêt de nous faire intervenir dans des situations compliquées. Enfin, l'usage de ce test a aussi toutes les chances de compliquer la discussion avec l'ado.

"Ce test vous semble-t-il fiable ?
"La méthode ne me semble pas fiable du tout. Il faut tenir compte de ce que l'ado a bu, car la dilution a une influence sur le taux final. Selon moi, un outil pas très fiable dans une situation compliquée conduit à une fausse sécurité pour les parents.

"Que conseillez-vous aux parents dont les enfants rencontrent des problèmes avec le cannabis ?
"Il faut en discuter et faire le point avec lui, pour connaître les critères objectifs de cette consommation: quelle doses, s'il mélange le cannabis avec d'autres substances, les copains qu'il fréquente, etc. Et si on n'y arrive pas seul, faire appel à un spécialiste. Cela peut être le médecin généraliste dans un premier temps, puis un psychologue ou un psychiatre.".

(Sources: Le Parisien, Le Post)
 






LETTRE OUVERTE AUX CADRES DU SECTEUR SOCIAL

Collectif d'auteurs 
Lundi 29 Mars 2010

1) Pourquoi nous adresser aux cadres ?

Parce que le discours dominant du management, triste avatar de l’incursion de l’idéologie libérale dans nos secteurs, tend à les positionner dans une fonction de décideurs, copiée sur le modèle du chef d’entreprise et de ses supplétifs…

Nous faisons dès maintenant le pari que plusieurs de nos collègues n’acceptent pas – ou plus – cette dérive utilitariste qui les oblige progressivement à s’inscrire dans le marché de l’action sanitaire et sociale abandonnant ainsi un principe fondateur de nos actions associatives : la mission déléguée de service public.

Nous faisons le pari qu’une résistance peut s’organiser à partir des cadres de direction de notre secteur, ceci quels que soient : leur niveau de formation, la taille de leur structure ou service, leur mode d’organisation interne, mais aussi, leur niveau d’intervention. C’est pourquoi nous nous adressons aux chefs de service, directeurs adjoints et directeurs et, par ces fonctions, à l’ensemble des salariés du secteur.

Nous pouvons détourner, au profit d’une autre vision de l’organisation et de la fonction du travail social, la place à laquelle un système libéral en crise veut nous assigner.

En ajoutant au triptyque républicain, les termes de laïcité et de solidarité, nous osons affirmer qu’il ne peut pas exister un réel travail social reposant sur des conceptions droitières ou communautaristes et comptons sur le possible réveil d’une « militance/résistance ? » parmi nos collègues.

A partir de ces fondements partagés, le débat entre nous redeviendrait possible et nous pourrions renouer avec la dispute fraternelle, caractéristique fondamentale de la démocratie véritable (dissensus : cf. Jacques RANCIÈRE), qui sera toujours plus riche que le consensus illusoire actuel qui voudrait exiger des cadres du social une neutralité (soit disant bienveillante) politique comme signe de la respectabilité de leur position…
 
2) Pourquoi maintenant ?

Malgré des oppositions importantes, dont la principale est organisée par l’Appel des appels, nous devons reconnaître que les principes émancipateurs participant de l’histoire du travail social sont mis à mal et les premières données concernant les assises sur l’enfance, sollicitées par le Président de la République, ne peuvent que nous inquiéter…

Dans les domaines complémentaires à nos actions, nous avons trop échoué face au discours sécuritaire et managérial :

- Disparition de la spécificité et de l’indépendance de la défenseure des enfants.

- Refonte partielle de la loi de 1945 qui remplace progressivement le préventif par du répressif et délègue à l’administratif ce qui relève du judiciaire en tant que garant des libertés individuelles.

- Discours sécuritaire sur les malades mentaux et critique implicite des formes de suivi extra hospitalier avec une priorité donnée aux traitements comportementaux.

- Inclusion du médico-social dans les ARS et donc les agences de performances qui y sont liées, tout en aboutissant à octroyer une place marginale au secteur médico-social dans un vaste ensemble de conception sanitaire.

- Dénégation affirmée de la situation particulière des mineurs isolés étrangers.

Aujourd’hui, le gouvernement de Monsieur SARKOZY et son administration viennent s’attaquer, sous des prétextes d’économie d’échelle et de rationalisation de l’action publique, à une des richesses de notre secteur : à savoir, sa diversité.

En voulant réduire à moyen terme, de façon drastique, avec le soutien possible de processus d’évaluation externe, le nombre d’associations gérant des structures ou services, il nous propose de mettre en œuvre un système de concentration de type capitalistique (et monopolistique) qui, outre qu’il favorisera des formes d’organisation de plus en plus pyramidales, ne permettra plus, ou, tout au moins, limitera les innovations qui font l’évolution de nos pratiques.

Dans cette dynamique destructrice, tout le monde cherche des partenaires, chasse à l’affût le regroupement inespéré, mais se retrouve surtout appelé à un jeu concurrentiel où la sauvegarde de la structure prédomine souvent sur le projet... ceci, hélas, à la satisfaction de certains cadres ou conseils d’administration qui oublient que nos institutions relèvent, mais pour combien de temps encore, de l’économie sociale et solidaire…

S’engager et soutenir ce choix politique c’est ouvrir la porte à ce que Michel CHAUVIÈRE a dénoncé comme marchandisation du social, ce qui entraîne la définition de population cible, suivant des critères de rentabilité. Il en résulte que la situation de la personne et sa prise en charge est seulement appréhendée en termes de coûts et d’efficacité immédiate. A trop parler de clients, nous acceptons et développons le clientélisme.

Il ne faut pas que nous passions, sans rien dire, d’un système solidaire à un système sauvage d’exploitation de la misère du monde.

La fascination qu’éprouvent certains cadres de notre secteur pour des discours propres à l’entreprise, le plus souvent à partir de concepts déjà éculés dans le monde commercial et industriel, démontre la faiblesse de notre positionnement spécifique, et, plus largement, aussi, la méfiance vis-à-vis de l’ensemble des acteurs du social qui, hier, ont constitué une force oppositionnelle face aux dérives qui nous sont proposées aujourd’hui comme vérités.

Gérer, animer une structure en service social exige une approche plurielle, une connaissance ou un abord de la complexité humaine, une prise en compte de la singularité, une réflexion sur les phénomènes transférentiels mis en œuvre à chaque niveau de l’institution.

Le mode de production de l’entreprise oblige à une mode mercantile de langage et de relation à l’autre qui est totalement en opposition avec les principes du secteur social.

Nous pourrions même ajouter que l’entreprise dans sa version économique libérale se méfie et se défend des éléments propres à notre cœur de métier, quitte à utiliser une terminologie parfois similaire, mais, bien entendu, pervertie, afin de mieux séduire la clientèle. Aujourd’hui, la concurrence et son cortège de violence prend le pas sur la solidarité. Lorsque cette concurrence pousse (inexorablement) au conflit, ce ne peut être que la force qui l’emporte…Il y a les gagnants et les perdants. La fétichisation de la marchandisation conduit à la fin des rapports sociaux (Ch. MELMAN).

Plutôt que de se gausser du management participatif, ou du management généralisé qui, pour reprendre P. LEGENDRE, « expérimente la casse du sujet humain », il faut que nous puissions nouer un véritable dialogue avec les institutions représentatives du personnel et que les directions et les conseils d’administration, moins isolés dans leur position mégalomane d’employeurs-patrons, prennent position quand les servants du social sont attaqués ou déconsidérés comme improductifs ou trop laxistes : voire quand la laïcité et la fraternité, ferments du lien social essentiels pour notre action, sont remises en cause.

L’Economie, même « durable » ou « écologique », serait-elle désormais notre unique raison de vivre ?

Notre temporalité et nos mots ne pourront jamais être ceux des managers dont le souci premier demeure le retour sur investissements, dans lesquels, la considération du personnel en tant que simple ressource de fonctionnement est de mise, ou bien, encore, le souci de l’efficacité, cette grande idée (sic) chrétienne qui fait que chacun sera « jugé selon ses œuvres et sa foi » …

Que ceux qui prennent du plaisir dans l’énonciation du discours « entrepreneurial » n’oublient pas les travaux de DEJOURS.

Nous avons dans notre boîte à outils, héritière de notre histoire, un riche et sensible vocabulaire, une vision de l’homme qui dépasse les dualités producteur/consommateur ou client/service. Pour autant, nous ne souhaitons pas que pécheur/rédempteur revienne à la mode dans un travail social qui ferait de nouveau appel aux mouvements caritatifs, aux institutions religieuses ou communautaristes de toute obédience.

Enfin, comme le souligne Michel CHAUVIÈRE, dans un article de juillet 2008 : « il est donc parfaitement justifié, même urgent, de développer une sociologie critique de la gestion et cela tout spécialement dans le secteur social au moment où celui-ci est confronté, à son tour, au tournant utilitariste contemporain ».

Demain

Cette lettre ouverte émanant de cadres du social n’a pas pour vocation la mise en œuvre d’une organisation, ni pour ambition de voir éclore un mouvement nouveau dans le secteur. Elle se propose seulement de rappeler certains enjeux fondamentaux à un moment décisif pour l’avenir des missions en travail social.

A chacun d’entre nous, dans la complexité de sa fonction et des missions dévolues, d’articuler, le cas échéant, l’éventuelle pertinence de cette analyse.

Mais si c’est, pour le présent, une proposition encore singulière, plus vite nous serons nombreux à l’exprimer hors des instances officielles de représentation normative, plus fort se fera entendre la critique nécessaire à un renouveau du travail social.

Pierre Cocrelle ; Claude Lafuente ; Didier Lesbats: cadres du social

Pour tout contact ou commentaire : cadsoc@hotmail.f





La violence à huis clos

Le docteur Cyrille Canetti s'est remis à fumer lors du huis clos forcé du mercredi 7 avril avec Francis Dorffer. Pas pour évacuer sa peur, seulement pour tuer le temps, qui risquait d'être long. "Si Francis Dorffer avait été fou, je l'aurais fait hospitaliser d'office mais ce n'était pas le cas, et le monstre décrit par les médias n'est pas l'homme que j'avais face à moi", affirme le psychiatre âgé de 45 ans.

Le médecin et le détenu de 26 ans se sont vus une quinzaine de fois, parfois jusqu'à trois quarts d'heure. Ces séances d'accompagnement psychothérapeutique n'étaient pas programmées car Francis Dorffer craignait d'être déçu. "Venez plutôt quand vous pouvez, avait-il demandé, parce que si vous n'êtes pas au rendez-vous fixé, je ne saurai pas le gérer." Lors d'une des consultations, le médecin avait pris place sur le tabouret, le patient sur la chaise. "Parce que moi, j'ai des chaises", explique le docteur, qui prône "le respect dedans comme dehors".Les deux hommes avaient appris à se connaître depuis leur première rencontre, le 23 novembre 2009. Francis Dorffer venait d'être transféré dans la capitale et Cyrille Canetti avais pris la tête du service de psychiatrie de la maison d'arrêt de la Santé quatre mois plus tôt, après avoir exercé deux ans et demi dans celle de Fresnes puis dix ans à Fleury-Mérogis.

La prise d'otage a eu lieu à la fin d'un des tête-à-tête. M. Dorffer a confié au médecin qu'il était mû par "le même désespoir que ces employés qui retiennent leur patron", mais il savait qu'il passerait "forcément pour un être extrêmement dangereux". Cinq heures plus tard, au terme d'une négociation menée par l'antigang, le détenu et son otage se sont serré la main. Francis Dorffer a remis au médecin son "arme" : une écharde géante. "Il m'a demandé si je lui en voulais, dit le docteur Canetti. Ce serait le cas si je devais désormais aller travailler avec la peur au ventre mais j'ai trop confiance dans ma façon d'envisager l'être humain pour cela."

Le psychiatre se défend d'être victime du syndrome de Stockholm, ce sentiment d'empathie développé par les otages envers leur kidnappeur. "La réalité de Francis Dorffer, c'est simplement qu'il ne connaissait pas son fils et que sa compagne devait voyager des centaines de kilomètres pour trois quarts d'heure de parloir", décrypte-t-il.

"Préserver l'espoir"

Ce que ce médecin vit au quotidien en prison lui rappelle une huile sur toile de Goya très noire intitulée Saturne dévorant un de ses enfants. "C'est la société éliminant ses exclus", dit-il. "Les détenus sont des nôtres et vont revenir parmi nous, rappelle le docteur Canetti. Pour ne pas les transformer en bêtes sauvages, il faut préserver l'espoir et le lien avec l'extérieur, leur proposer autre chose que la violence pour se faire entendre."

Dans ce cadre, il insiste sur la nécessité d'"une prise en charge humaine et globale de chaque personne condamnée à une longue peine". "A la Santé, assure-t-il, parce que la directrice est une femme remarquable, les services médicaux et pénitentiaires travaillent en bonne intelligence." Pour lui, "qu'on y travaille ou qu'on y vive, la prison est une machine à broyer de l'humain". Il rêve que les surveillants soient "reconnus comme les agents des autres administrations, qu'ils distribuent, eux aussi, des calendriers en fin d'année".

Récemment, Cyrille Canetti, qui ne pouvait honorer une consultation, a fait parvenir un mot d'excuse à chacun de ses détenus-patients : "On m'a remercié d'avoir prévenu, s'étonne-t-il. Or, c'est juste normal. Travailler avec une population captive ne signifie pas qu'on peut en disposer."

Patricia Jolly
 Article paru dans l'édition du 14.04.10.







Enquête
La violence à huis clos

C'est autour du berceau d'un garçonnet de 13 semaines que le drame s'est noué. Parce qu'il voulait faire connaissance avec ce nouveau-né, dont il pense être le père, Francis Dorffer, numéro d'écrou 29 826, a pris en otage durant cinq heures le docteur Cyrille Canetti, psychiatre à la maison d'arrêt de la Santé à Paris, mercredi 7 avril. Il l'a relâché sain et sauf, sans violence.

Âgé de 26 ans, Francis Dorffer purge une peine de 30 ans de prison pour le meurtre d'un codétenu en 2003. La magistrate qui lui a refusé cette permission souhaitait s'assurer que le jeune homme - qui vit en détention depuis ses 16 ans - était bien le père de l'enfant.

Francis Dorffer rêve forcément pour son fils d'une existence plus enviable que la sienne. En novembre 2000, à Metz, il a été condamné à 6 ans d'emprisonnement pour "vol avec violence" et "viol" : une fellation imposée à un adolescent qui vivait comme lui en foyer. Fils d'une mère débordée et d'un père chauffeur de bus souvent absent, Francis Dorffer y avait été placé dès l'âge de 12 ans, lorsque sa soeur aînée est morte d'une overdose. S'il a reconnu un besoin d'argent et les faits de viol, il en a toujours minimisé la portée. "C'était plus pour m'imposer, avait-il expliqué à l'expert psychiatre, se défendant de toute tendance homosexuelle. A ce moment-là, je n'avais plus d'interdit : je me disais, c'est rien, je croyais que je pouvais tout faire. C'était plus pour impressionner. J'ai pas d'attirance pour les garçons."

D'abord incarcéré à Metz, le mineur, qui n'a jamais accepté le statut de "pointeur" - ces délinquants sexuels honnis des autres détenus -, a souvent été transféré pour raisons disciplinaires. "Pour décompresser un peu", comme il disait, il passait souvent par le service médicopsychiatrique régional (SMPR). Anxiolytiques et marijuana l'aidant à supporter la détention. Las de ses insultes et bagarres, les directeurs de maisons d'arrêt n'ont cessé de se l'expédier comme un colis encombrant. La tension a augmenté quand, devenu majeur, Francis Dorffer s'est trouvé confronté à la surpopulation carcérale, contraint à partager son espace vital, tandis que les mineurs sont placés en cellule individuelle.

Il a tué un codétenu en septembre 2003 : un meurtre dont la presse a retenu qu'il tenait à un différend à propos d'un programme télévisé. Francis Dorffer n'avait cessé de signifier, y compris à la direction de la prison, son aversion pour ce voisin : un Guyanais de 19 ans, presque au terme de sa peine, auquel il reprochait son manque d'hygiène et son côté pique-assiette. "Il mangeait tout ce que j'achetais, s'est plaint M. Dorffer aux enquêteurs après son crime. Je lui disais de m'en laisser mais il faisait comme il voulait et il ne nettoyait jamais rien."
Francis Dorffer a raconté comment, un dimanche soir, jour de diffusion de "Capital", émission de M6 pour laquelle il se passionnait, son codétenu l'avait traité de con, lui qui "payait la télé", en lui intimant de changer de chaîne. Durant une partie de la nuit, Francis Dorffer, hors de lui, lui a alors asséné un déluge de coups, l'a ligoté à une chaise, bâillonné et étranglé. "Il disait qu'il allait me faire du vaudou", a-t-il expliqué pour justifier son acharnement sur le cadavre à coups de fourchette dans la gorge. Dans son esprit, mourir impliquait de saigner, or la victime, déjà morte, ne saignait pas...
Une surveillante a découvert la scène macabre vers 7 heures le lendemain matin. "Je regrette, si je peux me permettre de dire ça", avait bredouillé le meurtrier à la fin de son audition.
"Francis Dorffer, dont la vie se résumait à la détention, n'a cessé de tenter de faire valoir son droit à l'encellulement individuel, plaide son avocat de toujours, Me Thomas Hellenbrand. Si celui-ci avait été respecté, comme la loi le prévoit, il n'y aurait jamais eu de meurtre."

Mais Francis Dorffer a commis l'irréparable et depuis, il "baluchonne", comme disent les détenus, d'un quartier d'isolement à l'autre dans les prisons du Grand Est. A Nancy, en novembre 2006, quelques jours avant son procès en appel pour le meurtre, il a brandi un morceau de plastique aiguisé sous le nez d'une psychiatre à la fin d'un entretien, exigeant de la direction un transfert pour se rapprocher des siens, qui ne veulent plus de lui depuis longtemps : une première prise d'otage qui a duré une heure trente. Son voeu exaucé, il a déposé les armes et s'est allongé au sol docilement pour être menotté. La psychiatre n'a pas porté plainte. "Son geste n'avait rien de personnel, a-t-elle expliqué à la police. A plusieurs reprises, il s'est excusé pour les faits qu'il me faisait endurer et s'est inquiété de mon état psychologique. Il ne souhaitait en aucun cas me blesser, il cherchait simplement à faire pression sur la direction pour être transféré au plus vite."
En novembre 2009, Francis Dorffer a récidivé à la maison centrale de Clairvaux (Aube), retenant cette fois un surveillant. Il voulait voir sa fiancée : la soeur d'un ancien codétenu qui l'a convaincu de se convertir à l'islam et avec laquelle il a commencé une correspondance puis une relation amoureuse à travers les barreaux. Au parloir, durant l'un de ces tête-à-tête qui font détourner le regard aux surveillants, ils ont conçu un bébé à la sauvette.
Fin 2008, la jeune femme s'est installée à Ensisheim (Haut-Rhin), dans un appartement situé à deux pas de la lourde huisserie de la maison centrale réservée aux "longues peines". Dans l'espoir que Francis Dorffer y pose son sac. A part elle et leur fils nouveau-né, il n'y a plus personne autour du jeune homme, affirme Me Thomas Hellenbrand. Selon lui, son client "réagit contre la "pénitentiaire" qui l'a élevé comme un ado révolté contre sa mère, et ça se traduit par des crises graves".
"Vous savez que je ne suis pas violent ou même méchant, lui a écrit Francis Dorffer en novembre 2009, juste après l'incident de Clairvaux. L'éloignement de ma femme m'a fait péter les plombs. Prenez soin de vous et bon courage." Mi-février, Dorffer lui a annoncé sa décision d'écrire un roman autobiographique. "Il s'agit pour moi de faire entendre que la prison est un conditionnement à la violence et aux actes désespérés et je vais y mettre toute mon intelligence", disait le détenu dans une missive à son conseil, auquel il promettait d'adresser l'ouvrage "par morceaux". Mis en examen pour "séquestration avec prise d'otage" sur le docteur Canetti, Francis Dorffer risque désormais la réclusion criminelle à perpétuité.

Patricia Jolly
Article paru dans l'édition du 14.04.10