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vendredi 2 décembre 2022

Télé-réalité : la santé mentale des candidats mise à rude épreuve


Aurélie Preston a été intimidée et harcelée dans la saison 8 des « Anges ».

Conditions de tournage épuisantes, intimidations, harcèlement en ligne… La récente tentative de suicide d’une ancienne candidate de télé-réalité, Aurélie Preston, ravive le débat concernant les effets des émissions sur la santé des participants.

Les plateaux de télé-réalité sont-ils responsables de sa descente aux enfers ? Forte de plus de six cent mille abonnés sur Instagram, l’ex-candidate des Anges 8 et chanteuse Aurélie Preston a fait une tentative de suicide dans la nuit du 2 au 3 octobre. « J’ai vécu une période très compliquée », admet la trentenaire, après un court séjour à l’hôpital. Quelques jours après le drame, une vidéo enregistrée en amont avait été mise en ligne sur YouTube. Comme preuve de son mal-être, Aurélie Preston y décrit le harcèlement dont elle dit avoir été victime sur le tournage de l’émission, diffusée sur NRJ 12 en 2016.

Produit par La Grosse Équipe, le programme surfe sur la célébrité des candidats révélés par d’autres émissions, un concept usé jusqu’à la corde – Les Anges comptent aujourd’hui douze saisons. On y suit les projets professionnels des uns et des autres (mannequinat, chant, danse…), et les histoires de cœur de la villa où ils sont tous réunis. Le tout dans un décor de rêve, comme Miami ou Hawaii.

Une exposition rêvée pour Aurélie Preston, qui souhaitait alors percer dans la musique. Déjà fragilisée par un premier tournage dans Les Marseillais 4 (W9), elle espérait que le deuxième serait moins rude. « J’ai eu tort », lâche-t-elle aujourd’hui. Les images des Anges 8 parlent d’elles-mêmes. Dans l’une des séquences, on voit ainsi un candidat dire à Aurélie Preston qu’il va lui « faire vivre un enfer » — il aurait même menacé d’uriner dans un seau avant de lui balancer dessus. À l’époque, la production décide de ne pas le renvoyer, mais la « diffusion d’une scène d’intimidation envers une candidate » ne plaît guère au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui met NRJ 12 en garde. La Grosse Équipe, rachetée par la société Satisfaction, n’a pas souhaité réagir.

Intimidations, violences, harcèlement en ligne… Certaines émissions de télé-réalité se révèlent être de véritables machines à broyer les candidats. « Dans ces émissions, il est fréquent que des candidats tombent à plusieurs sur un seul participant, confirme Jeremstar, ex-blogueur de télé-réalité et auteur de Survivants des réseaux sociaux (éd. Hugo Doc). Aurélie n’est hélas pas la seule. » Il décrit une forme d’impunité à l’égard des harceleurs « qui ne sont pas sanctionnés quoi qu’ils fassent ».

A contrario, d’autres peuvent « subir l’aventure, car ils ne sont pas prêts à faire tout ce que veut la production », complète Sam Zirah, youtubeur spécialiste de la télé-réalité. En avril 2021, avec trois autres candidates, Angèle Salentino a lancé le mouvement #boycottlesanges, pour dénoncer le harcèlement dont elles disent avoir été victimes dans Les Anges de la télé-réalité et Les vacances des Anges. L’appel au boycott a précipité la chute des deux programmes, déjà à la peine dans les audiences. Et la justice enquête aujourd’hui sur plusieurs faits potentiels de harcèlement en marge de l’émission.

“Il y a des personnes dont on sent la fragilité (…). Elles sont en quête d’amour, de reconnaissance, et la télé-réalité peut alors apparaître comme un tremplin.” Marie Haddou, psychologue clinicienne

Au-delà des comportements problématiques, le fonctionnement même des tournages peut perturber les candidats. « Le dimanche, c’était le seul jour où on avait le droit à quinze minutes de téléphone… On t’isole de ton entourage pour que tu restes toujours dans la même énergie », se souvient Gaëlle Petit, ex-vedette de l’émission Les Ch’tis (2011-2014). Aurélie Preston détaille un rythme difficile à tenir sur un mois et demi : « On allait en soirée jusqu’à 4 heures du mat, et il fallait se lever à 7 heures le lendemain. » Cindy Lopes, demi-finaliste de la saison 3 de Secret Story, confie qu’il était possible de demander des médicaments afin de pallier les difficultés d’endormissement, dues à la lumière du plateau et à la perte de repères dans le temps.

Ces conditions de tournage difficiles affectent l’équilibre de candidats déjà souvent vulnérables. Ceux-ci sont amenés à se dévoiler à l’antenne, et racontent parfois leur passé cabossé : abandon d’un parent, maltraitance, extrême précarité… « Il y a des personnes dont on sent la fragilité, qui révèle une angoisse d’abandon et un sentiment d’insécurité. Elles sont en quête d’amour, de reconnaissance, et la télé-réalité peut alors apparaître comme un tremplin »,souligne Marie Haddou, psychologue clinicienne qui est intervenue dans la saison 1 de Loft story.

Une fois sorties, les starlettes découvrent aussi une nouvelle célébrité, « très valorisante sur le plan narcissique » selon Marie Haddou, mais qui peut aussi se révéler douloureuse, entre la crainte de retomber dans l’oubli et la découverte des commentaires sur les réseaux sociaux. « Un de mes camarades des Ch’tis a fait une dépression quand ça s’est arrêté, raconte l’ex-candidate Gaëlle Petit. On vous presse comme des citrons, et après on vous lâche dans la nature. »

“[L’entretien psychologique] a duré cinq minutes par téléphone. Le psy m’a demandé si j’allais bien et j’ai répondu oui.” Aurélie Preston

Comment les productions prennent-elles en compte ces fragilités ? Lorsqu’on les interroge, elles mettent en avant l’entretien psychologique prévu au moment du casting, censé permettre de réduire les risques. Mais cela n’empêche pas de retenir certains profils plutôt « borderline »… Et les candidats eux-mêmes restent circonspects.

Aurélie Preston confie par exemple que son entrevue a été bâclée : « Ça a duré cinq minutes par téléphone. Le psy m’a demandé si j’allais bien et j’ai répondu oui. » Même chose pour Aurélie Dotremont, dix ans de télé-réalité au compteur, qui évoque, au micro de Sam Zirah, la facilité avec laquelle il est possible de mentir au psychologue. Ni Banijay (Les Marseillais, Les apprentis aventuriers) ni Ah Production ! (Les princes et les princesses de l’amour, La villa des cœurs brisés) n’ont accepté de nous préciser leur dispositif psychologique.

Aujourd’hui, la candidate Aurélie Preston a fait de la prévention du harcèlement son cheval de bataille, et raconte son expérience dans son livre Brisée, paru le 25 novembre (auto-édité sur Amazon). Parmi les recommandations qu’elle met en avant : « Vérifier le contenu de chaque programme avant leur diffusion. »Utopique ? En août 2011, l’ex-candidat François-Xavier Leuridan s’était suicidé, plus d’un an après sa participation à Secret story 3. Dans la maison des secrets, dont l’ensemble des pièces étaient équipées de caméras, le jeune homme de 22 ans s’était distingué par son caractère extraverti. En coulisses, le quotidien était nettement moins flamboyant. « Il sortait de deux cures de désintoxication, suivait un traitement et un médecin venait le voir quotidiennement », se souvient Cindy Lopes. À sa sortie, l’ex-candidate assure que la production avait été présente pour « FX » et elle-même. Cela n’avait hélas pas suffi.


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