Par Isabelle Regnier Publié le 27 novembre 2022
Deux établissements, à Soisy-sur-Seine (Essonne) et à Chevilly-Larue (Val-de-Marne), associent avec réussite principes constructifs et souci du soin.
Un mur qui sonne creux, c’est une brèche qui se déchire dans le réel. La porte ouverte, pour les rêveurs, à des fantasmes de trésor oublié, de passages secrets, de fantômes égarés en quête de délivrance… Chez d’autres, le vide perçu est source d’angoisse. Aux personnes atteintes de troubles du spectre autistique (TSA), il peut donner le sentiment de ne pas être suffisamment « contenu ». Cette condition qui se traduit par une forme d’hypersensibilité (à l’espace, au bruit, à la lumière, aux matières, aux odeurs…) produit, en effet, chez certains le sentiment d’être comme « en apesanteur », explique Véronique Layer, cheffe de service du nouveau foyer médicalisé pour adultes autistes de l’hôpital l’Eau vive, à Soisy-sur-Seine (Essonne). Les murs de cet établissement qui a ouvert en septembre se devaient donc d’être bien pleins. Et ils le sont.
Les trente chambres de l’hôpital l’Eau vive se répartissent dans deux ailes symétriques, intégralement conçues en bois
Réalisé par l’agence Tolila + Gilliland, il a été conçu en collaboration étroite avec le personnel soignant et les représentants de la maîtrise d’ouvrage, l’ASM13, association de santé mentale du 13e arrondissement de Paris qui accorde une grande importance au respect de la personne et s’oppose, notamment, à la contention physique. L’acoustique y est particulièrement absorbante. Et les couleurs très neutres.
Implanté au sein d’un grand parc arboré, le bâtiment s’insère admirablement dans un ensemble de pavillons de style international réalisés au cours des années 1960 par Nicole Sonolet pour accueillir les services psychiatriques délocalisés des hôpitaux du 13e arrondissement de Paris. Il se compose de trois blocs hétérogènes imbriqués en enfilade, qui s’élèvent chacun sur deux niveaux. Celui du milieu, qui accueille les espaces collectifs – accueil, salles d’activité, de relaxation, réfectoire, administration… –, reprend la syntaxe des pavillons de Sonolet : structure béton, façade à ossature bois recouverte d’un enduit blanc, fenêtres horizontales anoblies par de beaux cadres en bois. Les trente chambres, elles, se répartissent de part et d’autre, dans deux ailes symétriques, intégralement conçues en bois, comme le suggère leur bardage, manteau de lattes grisées rythmé par des épines et des encadrements de fenêtre en bois naturel.
Lumière tout en douceur
Guidés par l’idée que « chacun devait pouvoir trouver à tout moment une atmosphère qui lui corresponde », les architectes ont accordé, autant que possible, principes constructifs et souci du soin. Une attention particulière a été portée à la qualité et à la texture des matériaux, ainsi qu’à la lumière tout en douceur qui se diffuse à certains endroits, par un puits de lumière percé dans la toiture, à d’autres, plus frontalement, par les grandes ouvertures qui cadrent le parc.
L’équilibre entre la sécurité de ces pensionnaires et l’impératif de préserver leur liberté d’adulte et de citoyen a donné lieu à de nombreux débats
Pour que les pensionnaires puissent y accéder à leur guise, dès que le besoin s’en fait sentir, le long et vaste couloir du premier étage est ponctué de portes donnant sur des escaliers extérieurs. Par ailleurs, il est suffisamment large pour que deux personnes ou même plus puissent se croiser sans se gêner et ménage, entre la partie « jour » et les parties « nuit », divers « espaces transitionnels », petits salons d’angle, chacun aménagé d’une manière spécifique, censée stimuler l’un des cinq sens.
L’équilibre entre la sécurité de ces pensionnaires, qui n’ont pas toujours le sens du danger, ne maîtrisent pas toujours leurs mouvements ni leur force, et l’impératif de préserver leur liberté d’adulte et de citoyen a donné lieu à de nombreux débats au sein du groupe de travail qui a suivi le projet. Et l’architecture a apporté des solutions. Les claustras de lattes de bois qui bordent les escaliers répondent ainsi à un objectif de prévention des chutes, tout en permettant aux usagers de s’approprier l’espace par la vision. Les brise-soleil en bois massif fixés sur les parties ouvrantes des grandes baies vitrées laissent aux pensionnaires la possibilité d’ouvrir les fenêtres de leur chambre sans risque pour eux-mêmes ni pour les autres.
De l’hospitalier à l’hospitalité
Malgré quelques petits ratés, dont la cause est à chercher dans des ajustements budgétaires de fin de chantier, explique Gaston Tolila, l’atmosphère générale est douce et sensuelle, aux antipodes de celle qui règne généralement dans ce genre d’institution. Cet architecte habitué à travailler dans le secteur du logement social et du bureau est particulièrement sensible au « manque scandaleux de moyens » dont souffre la psychiatrie, cette discipline qu’on désigne si communément comme « le parent pauvre de la médecine ». Il y a vingt ans, il consacrait son diplôme de fin d’études à un projet d’hôpital pour enfants autistes, avec déjà ce désir de tirer l’hospitalier vers l’hospitalité et le confort, de se détourner au maximum de tout ce qui pouvait « faire carcéral ».
Dans le cadre du système de commande français, où l’on exige des architectes, pour qu’ils puissent participer à un concours, qu’ils aient déjà réalisé au moins trois projets en lien avec le programme demandé, il n’a longtemps pas eu la possibilité de mettre ses idées à l’épreuve. Sa première commande est née d’une rencontre avec François Géraud, directeur de L’Elan retrouvé, une fondation tournée vers les personnes atteintes de troubles psychiques, d’addiction ou d’autisme, avec qui le courant est immédiatement passé. Le projet, un hôpital de jour pour enfants atteints de TSA, a été livré par l’agence en 2020, à Chevilly-Larue (Val-de-Marne).
Le bâtiment s’intègre ici aussi dans un grand parc, mais sa forme est très différente. D’abord parce qu’elle dialogue avec celle d’un complexe en briques datant de la fin du XIXe siècle implanté juste à côté, qui abrite le siège d’une congrégation religieuse. Et parce que le projet s’adresse à un public d’enfants, les architectes ont souhaité lui donner l’aspect le plus familier et le plus accueillant possible. La structure a beau se déployer d’un seul tenant, sa toiture en zinc pliée en accordéon évoque de fait un petit hameau de maisons aux toits en pente tel qu’il pourrait être représenté dans un dessin d’enfant.
Hypersensibilité
Les grands principes sont les mêmes qu’à Soisy-sur-Seine : nombreuses articulations des espaces intérieurs et extérieurs – préau, potager pédagogique, grande cour végétalisée –, démultiplication des atmosphères, architecture 100 % bois… Ce matériau (biosourcé, facilement démontable et donc réversible), qui allie qualités écologiques et sensorielles, présente en outre l’avantage d’être moins dur que le béton ou le métal et donc de faire moins mal quand on s’y cogne.
La question des blessures, de leur prévention, des soins spécifiques à apporter aux enfants était prioritaire pour le personnel
La question des blessures, de leur prévention, des soins spécifiques à apporter aux enfants était prioritaire pour le personnel de l’institution, qui s’est ici aussi beaucoup impliqué dans le suivi le projet. Elle a inspiré des solutions très spécifiques : des arêtes de portes arrondies autour de leur axe pour éviter de se coincer trop douloureusement les doigts lorsqu’elles se ferment, un grand percement dans le mur de la douche pour pouvoir jeter directement son linge sale dans la corbeille de la buanderie…
Et le résultat est là : moins de blessures et moins de surveillance requise, se félicite Mélanie Ferreri, la psychiatre chargée de l’établissement, donc plus de temps pour se consacrer à l’essentiel. Quant à l’architecte, il se réjouit de voir le travail qu’il a fourni sur ces questions d’hypersensibilité infuser dans les nouveaux projets de l’agence, y compris logements et bureaux. Comme tant de ses confrères, il se désole de cette frilosité de la commande française qui pousse à l’hyperspécialisation et in fine à l’uniformisation : « C’est tellement plus intéressant de jeter des passerelles, de passer d’un type de programme à un autre. C’est comme cela qu’on invente des choses nouvelles, c’est évident… »
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