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mardi 29 novembre 2022

« La ville peut fragiliser notre santé mentale »

Propos recueillis par   Publié le 28 novembre 2022

Etudes à l’appui, la neuroscientifique Emma Vilarem, cofondatrice de l’agence [S]CITY, confirme que vivre dans un espace densément peuplé peut s’avérer pathogène.

En créant avec trois associés [S]CITY, Emma Vilarem, docteure en neurosciences cognitives, spécialiste des interactions sociales, est partie du constat que la ville pouvait nuire à la santé mentale. Son agence sonde, depuis 2019, les besoins émotionnels, cognitifs et sociaux des citadins afin de mieux prendre en compte le bien-être dans les aménagements urbains.

La vie urbaine menace-t-elle notre santé mentale ?

Vivre en ville présente de nombreux avantages pour l’individu : accessibilité des services de santé, réseau de transport dense, loisirs et activités culturelles à proximité… Mais, a contrario, la ville peut aussi fragiliser notre santé mentale. Les auteurs d’une étude pionnière, réalisée à Chicago entre 1922 et 1934, indiquent que les taux d’incidence des maladies mentales, notamment la schizophrénie, diminuent fortement entre le centre-ville et la périphérie urbaine.

Loin d’être une spécificité de l’organisation spatiale des villes étatsuniennes, une étude suédoise, menée en 1992, trouvait une corrélation entre la densité du milieu urbain et la schizophrénie. Et des travaux de 2014 recensent, en Europe, deux fois plus d’états dépressifs en ville qu’à la campagne, d’après la consommation d’antidépresseurs. Les ruraux ont peut-être moins accès aux soins et corrélation ne signifie pas lien de cause à effet. Ces chiffres soulèvent plutôt la question des nombreux mécanismes qui pèsent sur la santé mentale en ville : isolation sociale, pollution sonore et visuelle, stress lié à l’agitation urbaine, manque d’espaces verts…

Connaît-on l’impact de ces mécanismes sur notre cerveau ?

Dans un espace urbanisé densément peuplé, notre cerveau est la cible d’un grand nombre de stimulations sensorielles (bruit, images, foule, etc.) qui affectent négativement l’humeur, le sommeil ou encore la concentration. Mais il peut aussi être privé de stimulations sociales pourtant essentielles à son fonctionnement : c’est le paradoxe de la solitude dans les grandes villes. Ainsi, une étude de 2021 réalisée au Royaume-Uni indique que le sentiment de solitude augmente avec la densité de population et qu’il diminue lorsque les gens se sentent inclus socialement et aussi s’ils sont au contact de la nature.

« Deux études montrent qu’après une heure et demie de marche dans un parc, les participants obtiennent de meilleurs résultats à des tests cognitifs »

Les espaces verts ont d’autres effets bénéfiques sur notre cerveau. Deux études ont respectivement montré qu’après une heure et demie de marche dans un parc, les participants obtiennent de meilleurs résultats à des tests cognitifs et ruminent moins qu’après le même temps de marche en ville. Enfin, installer des espaces verts sur des friches diminuerait la violence et le stress des habitants. Il est donc crucial de concevoir des lieux connectés à la nature dans tous les quartiers.

Comment étudiez-vous ces phénomènes ?

Nous intervenons de la conception des espaces urbains à leur analyse in situ afin d’améliorer le bien-être et la santé mentale des habitants. Nous réalisons notamment des diagnostics sensoriels et émotionnels dans le cadre de projets urbains ou immobiliers afin d’intégrer le vécu de la ville dès la conception. Ces diagnostics se font en marchant : nous interrogeons les passants sur leur expérience vécue du lieu ou alors nous leur proposons de reporter eux-mêmes leurs ressentis sur un livret.

Nous pouvons aussi recourir à des capteurs insérés dans des bracelets : ils mesurent la réponse électrodermale, une activité électrique à la surface de la peau. Celle-ci reflète le fonctionnement du système nerveux sympathique [mobilisé dans des situations d’alerte] et augmente avec nos émotions, positives ou négatives. Cela nous donne un accès aux réactions émotionnelles inconscientes des personnes face à leur vécu en ville et permet de compléter à la fois les récits toujours empreints d’une certaine subjectivité et les mesures de flux qui reflètent la physique de la foule plus que sa psychologie.

Pourriez-vous nous donner un exemple de réalisation ?

Depuis 2021, nous conduisons avec l’agence de prospective urbaine The Street Society une analyse pour l’établissement public territorial Grand-Orly Seine Bièvre, qui regroupe vingt-quatre communes au sud de Paris. Au sein de huit d’entre elles, nous avons étudié certains espaces publics comme une place de marché, un rond-point et un quai le long de l’Orge. Nous avons analysé leurs usages, leur accessibilité et l’expérience vécue par les riverains afin d’établir des cartes sensorielles et émotionnelles de ces espaces. Et nous allons proposer des recommandations en matière de mobilité, de mobilier urbain ou encore de végétalisation pour améliorer le bien-être des habitants.

Cet article fait partie d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec le colloque international « Villes et santé mentale », organisé par la ville de Nantes et Nantes Métropole, les 1er et 2 décembre 2022. Renseignements : Villes-et-sante-mentale.com


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