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mardi 29 novembre 2022

Notre corps va-t-il changer avec le climat ?

Par   Publié le 28 novembre 2022

Des nuits plus courtes, une vulnérabilité accrue à certaines maladies, et, pour les femmes, des perturbations tout au long de la vie hormonale. Voici quelques-unes des modifications que pourrait provoquer le dérèglement climatique.

Un couple de personnes âgées regarde la mer sous le soleil en se protégeant de la chaleur mais aussi du risque de seconde vague de Covid-19, à Nice, en août 2020.

Des nuits plus courtes, un mode de vie moins actif, une vulnérabilité accrue à certaines maladies, et, pour les femmes, des perturbations tout au long de la vie hormonale. Voilà quelques-unes des modifications qui guettent les habitants de la planète Terre dans le futur, en lien avec l’évolution du climat. Au-delà des effets immédiats des canicules et autres événements météorologiques extrêmes sur la santé, de mieux en mieux étudiés, les scientifiques se penchent désormais sur les conséquences à plus longue échéance du réchauffement climatique sur le corps humain, sa morphologie, son fonctionnement, et les comportements qui déterminent la santé comme le sommeil, l’activité physique…

Les données sont encore rares. « Jusqu’ici, les études ont été menées sur le court terme, par exemple en observant des changements physiologiques au cours d’un été, il y a encore peu de travaux sur les adaptations comportementales à moyen et long terme », souligne Guillaume Chevance, chercheur à l’Institut de santé globale de Barcelone (ISGlobal), qui s’intéresse aux liens entre changement climatique et comportements de santé.

Le sujet s’annonce d’autant plus complexe à explorer qu’il faut tenir compte des effets directs de l’élévation des températures, mais aussi de conséquences indirectes, sur l’accès à la nourriture, les pollutions…

Sur le plan physique, les humains ne devraient pas changer radicalement d’apparence, du moins dans les prochaines décennies, avance le médecin et anthropologue Alain Froment, auteur d’Anatomie impertinente, le corps humain et l’évolution (Odile Jacob, 2013). Certes, les populations grandes et minces (comme les peuples nilotiques en Afrique) sont les mieux adaptées à un climat chaud – car une grande surface facilite la sudation, et un poids modeste limite la production de chaleur –, explique Alain Froment. « Mais ces évolutions biologiques prennent des milliers d’annéesElles sont beaucoup plus lentes que les évolutions culturelles ou technologiques », note-t-il. De même, contrairement à une croyance répandue, l’augmentation des températures et des vagues de chaleur ne va pas entraîner de modifications pigmentaires. « Notre peau n’a pas de raison de foncer, car le rayonnement solaire, lui, ne va pas se modifier », insiste le médecin et anthropologue.

Le sommeil raccourci

D’autres modifications comportementales et physiologiques se profilent. Alors que le temps moyen de sommeil tend déjà à s’éroder ces dernières décennies dans le monde, rançon de l’évolution des modes de vie, l’élévation des températures pourrait accentuer la tendance. C’est ce que conclut une vaste étude menée par une équipe danoise animée par Kelton Minor, publiée en mai dans la revue One Earth. Les chercheurs ont eu accès à une énorme base de données de sommeil – plus de 7 millions d’enregistrements de nuits réalisés chez près de 48 000 personnes via des bracelets connectés, dans 68 pays, qu’ils ont corrélés à des données météo locales. Quand les températures restent élevées pendant la nuit, les individus s’endorment plus tard, se réveillent plus tôt et dorment donc moins longtemps. Au-delà de 25 °C, la probabilité de dormir moins de 7 heures augmente de 3,5 %, par rapport à une nuit où le thermomètre est de l’ordre de 5 °C à 10 °C. « Les personnes âgées, les femmes, et les individus vivant dans les pays à faible revenu sont les plus affectés », écrivent les scientifiques danois.

En restant sur la courbe actuelle d’évolution du climat, les humains pourraient perdre 50 à 58 heures de sommeil par individu et par an à l’horizon 2099, prévoient-ils. Une projection d’autant plus préoccupante qu’un sommeil perturbé est un facteur de risque bien connu de maladies physiques et mentales, et d’événements aigus : comportements suicidaires, accidents… « Cette étude montre en particulier que, sans intervention externe, il n’y a pas d’adaptation des paramètres du sommeil pendant les saisons chaudes, ce qui n’est pas rassurant », ajoute Guillaume Chevance. Pour le chercheur français, qui mène un travail en collaboration avec Kelton Minor, « il est trop tard pour conduire d’autres études observationnelles sur les liens chaleur-sommeil. Les prochains efforts doivent se concentrer sur le développement de stratégies efficaces pour aider les gens à s’adapter et conserver un sommeil correct malgré des températures élevées ».

Les femmes enceintes font partie des groupes les plus vulnérables aux fortes chaleurs, associées à des risques accrus de prématurité, petit poids de naissance et mortinatalité

En ce qui concerne la santé féminine, les effets négatifs pourraient, à moyen et long terme, se faire sentir à tous les niveaux : maturation sexuelle, fertilité, grossesse, lactation et ménopause, listent Guillermina Girardi et Andrew Bremer (instituts américains de la santé, NIH) dans un court article publié en 2022 dans le Journal of Women’s Health. Ces dérèglements sont, selon les cas, liés directement à l’élévation des températures ou davantage à la dégradation associée de l’environnement (expositions à des polluants dont des perturbateurs endocriniens, facteurs nutritionnels…).

Les femmes enceintes font partie des groupes les plus vulnérables aux fortes chaleurs, associées à des risques accrus de prématurité, petit poids de naissance et mortinatalité. Les changements climatiques et environnementaux peuvent aussi affecter le déroulement de la grossesse et la santé du futur bébé en favorisant la transmission de certaines maladies infectieuses, ou par le biais de l’exposition à des polluants. Les effets seront délétères « non seulement sur de nombreuses étapes de la vie reproductive des femmes, mais aussi sur la santé des générations futures », insistent Guillermina Girardi et Andrew Bremer.

Les facteurs climatiques et environnementaux sont aussi susceptibles d’influer sur l’âge des premières règles, soit en l’avançant, soit en le retardant, selon une revue de la littérature, parue en 2020 dans l’International Journal of Environmental Research and Public HealthUne évolution loin d’être anodine, car susceptible « d’accroître la charge de morbidité des femmes dans quatre domaines-clés : la santé mentale, les problèmes de fertilité, les maladies cardiovasculaires et la santé osseuse », avertissent Silvia Canelon et Mary Regina Boland, les deux autrices américaines de ce travail.

Evolution des maladies de peau

A l’autre extrémité de la vie hormonale féminine, la ménopause pourrait devenir plus pénible, les températures élevées augmentant la fréquence et la sévérité des bouffées de chaleur, pointent des chercheurs britanniques dans la revue scientifique Menopause, en 2020. Une conséquence peu connue du changement climatique à laquelle ils invitent à préparer les systèmes de santé, sachant qu’aujourd’hui jusqu’à 80 % des femmes souffrent de bouffées de chaleur à la ménopause, avec des symptômes pouvant durer plusieurs années, et un coût déjà conséquent (en termes de consommation de soins et de baisse de productivité).

Quid de la peau, premier organe en contact avec le milieu extérieur ? Le microbiome cutané étant influencé par les paramètres climatiques (chaleur, humidité…), l’épidémiologie et la sévérité de certaines maladies de peau vont probablement évoluer, estime le dermatologue américain Markus Boos dans un article de synthèse publié en 2022 dans l’International Journal of Dermatology. L’acné, la dermatite atopique (eczéma) et les cancers de la peau pourraient devenir plus fréquents, et le psoriasis plus rare. Des hypothèses qui demandent à être confirmées, pour anticiper de nouveaux besoins, plaident aussi ces spécialistes.

Reste également à savoir quelles seront les conséquences sur nos organismes des évolutions des modes de vie induites par le changement climatique. Dans un article récent, Guillaume Chevance et Paquito Bernard (université du Québec) relèvent que l’augmentation des températures et des vagues de chaleur – mais aussi d’autres évolutions environnementales comme la hausse de la pollution ou la fréquence accrue de catastrophes naturelles – risquent d’être des freins grandissants à l’activité physique de loisirs mais aussi au travail, pour les métiers qui nécessitent une dépense physique importante. Avec à la clé des effets délétères sur notre santé. Une baisse du niveau d’activité physique serait d’autant plus dommageable qu’une pratique régulière renforce notre condition physique et aide indirectement à s’adapter à la chaleur.


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