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mercredi 30 novembre 2022

La politique sort de la bouche des enfants

par André Bouchard   publié le 30 novembre 2022

Les enfants finissent par apprendre que toute vérité n’est pas bonne à dire. Et toute politique alors, l’est-elle tout autant ? Pas vraiment. Reçus à dîner par André Bouchard, auteur et illustrateur de livres pour la jeunesse, des parents resteront bouche bée devant leurs enfants qui exigent de parler politique à table.

Voilà un sujet épineux et délicat que je vous propose d’aborder à travers ce récit. L’action se déroule dans cette ambiance de confusion et d’excitation que nous vivons tous lorsqu’on invite des amis à dîner. Nous étions attablés depuis un moment et les sujets de conversation allaient bon train, à l’exception de celui de la politique bien sûr, beaucoup trop «clivant». On y parlait de la qualité du coton qui baisse au point que la petite en était à son troisième pantalon neuf depuis la rentrée, de la teinture de la moustache de notre ami qui, de l’aveu de sa femme, se voit comme le nez au milieu de la figure (ce qui va de soi pour une moustache), de la hausse du prix du kilo de pommes de terre – qui dépasse l’entendement et que, si ça continue comme ça, la purée sera exclusivement réservée aux patrons du CAC 40 –, et de la composition de la sauce qui accompagnait le poulet… Nous en étions là de nos divagations, lorsqu’une petite voix mit un terme à cette polyphonie oratoire.

«Papa, tu es de gauche ou de droite ?» demanda en toute innocence la fille de nos invités, âgée de 8 ans. — «La politique, ce n’est pas pour les enfants ! La seule chose qui pourrait sortir d’une discussion politique avec toi serait de l’ordre de l’ineptie voire de la grosse bêtise et je suis poli !» réagit mon invité avec véhémence.

Après un silence pesant, je perçus un échange furtif de regards entre les enfants, puis le dîner bascula. — «Savez-vous pourquoi les pantalons s’usent de plus en plus vite ?» demanda mon fils de 9 ans. — «Pour en vendre davantage !» répliqua aussi sec la fille des invités. — «De plus, nos habits usés sont pour la plupart envoyés en Afrique où ils sont entassés puis abandonnés dans des décharges à ciel ouvert !» ajouta mon fils. — «Sans compter l’exploitation des enfants qui travaillent dans les champs de coton !» conclut ma fille de 11 ans.

— «Et pourquoi tu teins ta moustache en noir ?» demanda mon fils espiègle à l’invité. — «Pour rester jeune et beau, mon grand, je n’ai pas envie de ressembler à ton père ! Ah, ah !» ironisa mon détestable invité. — «Certains hommes refusent de vieillir parce qu’ils veulent rester plus longtemps possible irresponsables et insouciants !»ricanais-je. — «Irresponsables et insouciants comme les patrons du CAC 40, qui contribuent par leur avidité à alimenter le mouvement capitaliste qui broie le monde entier en brûlant charbon et pétrole dont les fumées déversent dans l’atmosphère des milliards de mètres cubes de dioxyde de carbone, en artificialisant nos terres arables, en répandant des molécules chimiques de synthèse qui modifient jusqu’à votre descendance, c’est-à-dire nous. Nous vivons dans un monde plus chaud, les glaciers fondent et le niveau des mers monte. On va devoir grandir là-dedans ?» s’emporta ma douce fille, essoufflée par sa tirade.

— «Inepties !» soupira l’invité. — «Ah, parce que tu crois que Macron ne dit pas d’inepties, lui ? réagit sa fille avec ardeur. C’est le serial killer de nos acquis sociaux. Jusqu’où nous mèneront ces régressions sociales ? Jusqu’à ce qu’on revienne au XIXe siècle ?» — «Parce qu’au XIXe siècle, on ne trouve pas beaucoup de réformes en faveur du progrès social. Par contre, du travail, il y en a !» intervint ma chère et tendre fille, un livre à la main. «Il y en a même pour tout le monde, laissez-moi vous lire un extrait du Capital de Karl Marx : “Un fait qui caractérise on ne peut mieux le gouvernement de Louis-Philippe, le roi bourgeois, c’est que l’unique loi manufacturière promulguée sous son règne […] ne fut jamais mise en vigueur. Et cette loi n’a trait qu’au travail des enfants. Elle l’établit à huit heures pour les enfants entre 8 et 12 ans, douze heures pour les enfants entre 12 et 16 ans, etc., avec un grand nombre d’exceptions qui accordent le travail de nuit, même pour les enfants de 8 ans.” Et après cela, tu penses toujours que la politique ne concerne pas les enfants ?»s’enquit la charmante fille de nos invités en fusillant son père du regard.

— «OK les enfants, je m’avoue vaincu ! rassurez-moi cependant, j’espère qu’il n’y a rien de politique dans la composition de cette excellente sauce !»


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