par Nathalie Raulin publié le 30 novembre 2022
Jeudi et vendredi, le cabinet du docteur Pascal Charbonnel sera fermé. «C’est la première fois en trente-cinq ans d’exercice que je fais grève, mais la profession est dans une telle souffrance qu’il faut réagir, confie le généraliste installé aux Ulis (Essonne). On est étonnamment maltraités, mal considérés alors qu’on est sous pression permanente. Si le gouvernement veut que la médecine de ville tienne, il faut qu’il nous en donne les moyens.» Jean-Paul Kornobis, généraliste à Lille, a lui aussi posé une affiche dans son cabinet pour prévenir ses patients de son absence, un «crève-coeur», dit-il, mais «pas le choix» : «Vu la pénurie de médecins, on croule sous les patients. Mais plutôt que de nous augmenter, le gouvernement propose d’ouvrir l’accès direct à d’autres professionnels de santé ! On va perdre de l’information sur nos patients. On risque aussi de ne plus avoir que des cas complexes à gérer, qui nécessitent du temps de consultation. On ne pourra plus équilibrer avec la bobologie. Ça va devenir financièrement intenable. Si on veut décourager les jeunes de s’installer, il faut continuer comme cela.»
«Ras le bol»
A l’instar des deux généralistes, les praticiens libéraux devraient être nombreux à bloquer leur rendez-vous en cette fin de semaine pour manifester leur «ras-le-bol». Pour la première fois depuis la loi Touraine de 2015 sur la généralisation du tiers payant, tous les syndicats de médecins libéraux appellent à la grève. Une union sacrée imposée par la base. C’est que la mobilisation était déjà en marche, portée par Médecins pour demain, jeune collectif «apolitique et asyndical», créé sur Facebook en septembre et déjà fort de 14 000 membres : l’enthousiasme suscité par son «unique»revendication, le doublement du tarif de la consultation de base, a donné le ton. «Les généralistes sont très en colère, confirme le docteur Franck Devulder, président de la Confédération des médecins médicaux français (CSMF). On n’a jamais senti une telle volonté d’en découdre depuis le plan Juppé de 2002. Les remontées de terrain sont impressionnantes. Les médecins libéraux ont le sentiment d’être déconsidérés, traités comme des bouche-trou, juste bons à combler les défaillances du système de santé. Ils réclament aujourd’hui que leur expertise soit reconnue et valorisée.»
Quitte à pousser le bouchon très loin. «Il faut un choc tarifaire massif si on ne veut pas que notre système de soin s’effondre», insiste le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-S, qui tout comme la Fédération des médecins de France (FMF) soutient la revendication du collectif Médecins pour demain de porter le tarif de la consultation de 25 à 50 euros, «pour rattraper la moyenne européenne qui se situe à 46 euros». Une revendication a priori peu audible, le revenu moyen d’un médecin généraliste étant encore de 89 700 euros en 2020 malgré une baisse de 1,8% par rapport à l’année précédente, selon la Drees. Un argument balayé par les syndicats. «Si on réclame la revalorisation de la consultation de base à 50 euros, ce n’est pas pour gagner plus, c’est pour travailler mieux,insiste la docteure Corinne Le Sauder, présidente de la FMF. Vu la pénurie de médecins, l’exécutif exige de nous qu’on augmente toujours plus notre patientèle. Mais cela suppose qu’on puisse investir dans des locaux, du matériel notamment informatique, qu’on puisse embaucher des secrétaires et des assistants médicaux pour se libérer de la charge administrative croissante et dégager du temps médical. L’assurance maladie propose certes de nous y aider. Mais nous, on ne veut pas de subventions. On veut que notre expertise soit reconnue au juste prix, pour nous permettre d’embaucher sans recourir à un dispositif d’aides, par nature transitoire.»
Néanmoins, les syndicats ne se font pas d’illusion sur leurs chances d’obtenir satisfaction. Dans le cadre des négociations conventionnelles en cours, l’assurance maladie a fait les calculs : une hausse de 1 euro du prix de la consultation, coûtant quelque 280 millions à la Sécu, ce sont 7 milliards d’euros qu’il faudrait débloquer pour l’augmenter de 25 euros. Or les crédits alloués aux soins de ville dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale sont très contingentés : en 2023, ils ne devraient progresser que de 2,9 milliards d’euros, soit une hausse de 2,9%, inférieure pour la première fois depuis vingt ans à l’inflation attendue…
«Valoriser les consultations complexes»
Les syndicats ne sont d’ailleurs pas sur la même longueur d’onde. «On partage la colère, pas les revendications, précise Agnès Gianotti, présidente du premier syndicat de généralistes MG France. Il faut que la consultation de base soit revalorisée au moins du montant de l’inflation, mais proposer de la doubler, c’est ridicule. On n’a pas vocation à défendre qu’une téléconsultation de 5 minutes soit payée 50 euros ! En revanche, il faut valoriser les consultations complexes effectuées par les médecins traitants, dont les patients sont de plus en plus lourds, âgés et polypathologiques.» Tous les syndicats ont néanmoins une certitude : une démonstration de force est indispensable pour convaincre l’exécutif de lâcher du lest. L’UFML-S, la FMF, tout comme le collectif Médecins pour demain ont prévenu : si rien ne bouge, le conflit pourrait rebondir pendant les fêtes de fin d’année. Et le collectif d’évoquer une possible «grève dure» à partir du 26 décembre.
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