par François Musseau, correspondant à Madrid publié le 30 novembre 2022
«Les soins primaires de Madrid n’ont plus assez de médecins !» ; «personnel insuffisant, risque pour le patient» ; «la santé agonise». Sifflets à la bouche, en blouse blanche, les manifestants déploient leurs slogans Plaza de Chamberí, devant le ministère madrilène des Finances. C’est le septième jour de grève pour ces centaines de médecins de famille, généralistes ou pédiatres, rassemblés en Espagne sous l’étiquette des «soins primaires». Excédés par la saturation de leur activité, ils débraient, ce qui provoque des queues spectaculaires, des salles d’attente pleines à craquer et des urgences incapables de prendre tout le monde en charge. Délicate dans l’ensemble du pays, la situation est pire dans la région de Madrid.
L’agglomération de la capitale est dirigée par la conservatrice populiste Isabel Díaz Ayuso qui, pendant la pandémie, se vantait de désobéir aux injonctions sanitaires du pouvoir central. Très populaire, elle est en bonne voie pour prendre la tête de l’opposition de droite au niveau national. Se revendiquant ouvertement de Donald Trump au nom de la sacro-sainte «liberté individuelle», elle dépeint les grévistes en «suppôts du gouvernement socialiste» et favorise le secteur privé. A l’instar de l’hôpital Zendal, très peu fréquenté, qui fut construit au cœur de la pandémie pour 170 millions d’euros. Soit la somme que réclament les grévistes pour muscler ces soins primaires.
«Une tragédie»
En Espagne, la santé est la prérogative des communautés autonomes. A Madrid, les réunions entre le gouvernement régional et les représentants de soignants se multiplient sans résultats. «On se méfie d’eux. Il y a deux ans, ils nous ont fait des promesses qu’ils n’ont pas tenues», enrage Angeles Hernandez, la porte-parole d’Amyts, principal syndicat des médecins en grève. Plus que de leurs salaires – en moyenne 2 500 euros bruts par mois –, les grévistes réclament une solution à l’afflux de patients dans les centres de santé primaire.
Maria Carmen est médecin de famille à Carabanchel, un quartier populaire de l’ouest madrilène. Dans son centre travaillent quatre docteurs : «Actuellement, l’un d’eux est en arrêt maladie, avec une jambe cassée. Les trois autres récupèrent ses patients, ce qui fait que chacun de nous doit s’occuper de 50 à 60 personnes par jour. Cela nous donne cinq minutes par malade. C’est absolument impossible.»
Comme elle, ses collègues d’autres centres racontent l’obligation de se presser et le manque de temps pour faire un diagnostic sérieux. Maria Jesus, 43 ans, travaille à Parla, une commune marginalisée du sud de la communauté autonome : «Les patients ? On les traite comme un boucher coupe la viande, ou comme un boulanger fait des churros. A la chaîne et au suivant ! On en rit parfois entre nous, mais c’est une tragédie !»
Dans le privé ou à l’étranger
«On donne de moins en moins d’argent à la santé primaire, pourtant historiquement de grande qualité», déplore Daniel Votes, trente ans d’expérience à Las Rozas, au nord de Madrid. Après ses huit heures de garde matinale, il doit sacrifier certains après-midi pour remplacer un collègue malade. Madrid est la région qui investit le moins d’argent dans le secteur par habitant, 1 212 euros en 2021 contre 1 446 euros à Murcie par exemple. «Auparavant, les médecins absents étaient remplacés par des professionnels avec de bons contrats ; désormais, ils ne le sont plus, ou alors par des médecins mal payés et précaires.» Résultat : la profession attire peu les diplômés. Selon Amyts, sur 443 médecins de famille formés ces deux dernières années dans la capitale, seuls 37 ont signé un contrat avec la région.
Les autres vont dans le privé ou, surtout, ailleurs en Europe. «En Suède, le salaire est jusqu’à trois fois supérieur et le nombre de patients trois fois inférieur», remarque Maria Carmen. Les médecins du privé, eux, se disent «esclavagisés» par les tarifs de l’assurance maladie – moins de 10 euros la consultation. «Il est injuste que réparer une machine à laver coûte 59,95 euros et sauver une vie cinq fois moins !» dénonce le collège de médecins de Séville.
D’origine bolivienne, Lilian Gonzalez témoigne : «Ici, les médecins ont la vocation et la préoccupation du patient. Mais, comme ils ne peuvent pas s’en occuper correctement, ils se désespèrent !» «Hier, j’ai dû passer trente-cinq minutes avec un patient déprimé qu’il fallait écouter, témoigne Maria Jesus. Je suis rentrée chez moi à 22 heures, avec une heure de retard, et une vingtaine de patients n’ont pas pu être pris en charge. Du très courant, en somme.»
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