Publié le 01 décembre 2022
TRIBUNE
Dans une tribune au « Monde », l’association Renaloo, qui représente des patients atteints de maladies rénales, défend le respect de l’autonomie du malade et l’acceptation de la mort. Elle évoque le cas d’une femme de 45 ans, qui a choisi d’arrêter les dialyses et de se laisser mourir.
Delphine nous a quittés le 18 juin, à l’âge de 45 ans, dix jours après avoir arrêté volontairement de se faire dialyser. Une maladie rénale ayant détruit ses reins dans l’enfance, elle entame très tôt la dialyse et n’en sort qu’à trois reprises, pour des greffes de courte durée. La dernière a « tenu » moins d’un an. Depuis le début de l’année, elle est de nouveau dialysée. De ses souffrances de vie, Delphine a tiré une énergie la conduisant à créer un blog afin de témoigner de son parcours et à s’impliquer dans plusieurs associations de patients.
Plusieurs fois, ces derniers mois, elle manifeste le souhait de mettre fin à la dialyse, et donc à ses jours. Elle consulte l’équipe de soins palliatifs et les psychiatres de l’hôpital. Aucune dépression n’est diagnostiquée. Le 9 juin, Delphine annonce qu’elle ne dialysera plus. Elle est hospitalisée le 12 juin, et les équipes de néphrologie et de soins palliatifs l’accompagnent jusqu’au bout. Le 17, Delphine communique encore avec ses proches et ses nombreux followers sur Twitter. Elle meurt dans la nuit.
L’alternance dialyse-greffe a maintenu Delphine en vie durant plus de trois décennies. Cette vie aurait pu être assez longue encore, même si l’espoir d’une quatrième greffe était mince. Mais elle a fait le choix de mettre fin à cette existence qui, pour elle, ne valait plus la peine d’être vécue.
Si la dialyse sauve la vie, elle peut aussi la dégrader de façon considérable. La très large majorité des patients est soumise à un « régime », souvent non optimal, de trois séances de quatre heures par semaine. Un minimum nécessaire pour permettre la survie, avec un prix élevé : la dépendance à la machine, l’épuisement, les symptômes qui persistent, les contraintes alimentaires, la soif, la lourdeur des trajets domicile-dialyse, les grandes difficultés à maintenir une activité professionnelle, à partir en vacances, à voyager, la perte de liberté…
« Une prison, un cauchemar »
Tout cela est sans doute plus supportable lorsqu’une greffe est attendue. Mais lorsque cette perspective est lointaine ou improbable, la dialyse peut devenir, selon les mots des patients, « une prison, un cauchemar, un enfer, une galère, un calvaire ». Comment comprendre la fin de vie de Delphine ? Et comment la nommer ? Les arrêts de dialyse ne sont pas rares, mais ils concernent en général des situations spécifiques : grand âge ou espérance de vie très limitée.
La mort de Delphine n’est pas un suicide, elle n’attente pas elle-même à sa vie à l’aide d’un moyen actif. Il ne s’agit pas non plus d’un suicide assisté, acte prémédité, connu des proches et accompli par un agent extérieur.
L’arrêt de la dialyse s’inscrit à mi-chemin de ces deux fins de vie volontaires. C’est un « laisser-mourir ». Il s’apparente aux arrêts thérapeutiques en réanimation : un traitement vital est stoppé, conduisant au décès. Mais il s’en distingue aussi fortement : de tels arrêts de traitement s’effectuent le plus souvent pour des malades dans le coma, au pronostic dramatique. Les autres cas de « refus de soins », ou plutôt de traitement (chimiothérapie, chirurgie…), laissent davantage de temps.
Quel que soit le nom retenu pour le qualifier, le geste de Delphine pose question. Comment y réagir ? Répondant au devoir premier de tendre la main pour préserver la vie, le réflexe collectif et immédiat est de tenter de dissuader. Puis, face au constat de l’immuabilité de la décision, l’heure vient de l’entendre et de la respecter. Le respect prioritaire de l’autonomie de la personne s’impose finalement.
Le choix de Delphine est-il un échec de la médecine ? Si exceptionnelle soit-elle, la mort par arrêt de dialyse d’une femme de 45 ans, ayant une espérance de vie résiduelle de plusieurs années, débordant d’énergie et d’activités jusqu’au jour de sa décision, laisse des interrogations.
La médecine aurait-elle pu ou dû faire mieux ou davantage pour elle ? Cette extrémité aurait-elle pu être évitée ou retardée si, à différents moments de son parcours, des options de traitement et d’accompagnement plus adaptées, qui lui auraient donné de meilleures chances et rendu son existence plus supportable, lui avaient été proposées ?
Alors que l’âge médian au démarrage de la dialyse est de 71 ans, la néphrologie prend-elle suffisamment en compte les besoins spécifiques de ces patients plus jeunes qui subissent le fardeau de la maladie durant leur existence entière, d’autant plus lorsque leur accès à la greffe est complexe ou impossible ? Combien d’entre eux vivent actuellement, dans notre pays, dans de telles conditions, avec très peu d’espoir de voir leur sort s’améliorer ?
Contraintes majeures
Certes, certaines modalités de dialyse non conventionnelles améliorent sensiblement la vie et la santé des rares personnes qui peuvent en bénéficier. Certes, des innovations médicales ou organisationnelles contribuent à rendre possibles des greffes jusque-là inenvisageables. Mais ces options ne sont pas toujours suffisantes. Finalement, qu’est-ce qui est le plus difficile à accepter : le choix de Delphine, ou la situation dans laquelle elle se trouvait ?
On parle bien, ici, d’un défaut d’accès, non pas à des soins palliatifs adaptés, mais à une prise en charge médicale constamment optimale, tout au long de sa maladie. A l’heure où un nouveau débat sur la fin de vie se prépare [une convention citoyenne s’installera à partir du 9 décembre au Conseil économique, social et environnemental et se tiendra jusqu’à mars 2023], les situations comme celle de Delphine ne doivent pas être occultées.
Les malades du rein, et plus largement ceux pour lesquels des traitements permettent une survie longue, au prix de contraintes importantes, ne doivent pas être écartés de ces réflexions. Ils est essentiel qu’ils soient entendus, en particulier sur deux considérations majeures et indissociables : l’instauration d’une véritable culture du respect de l’autonomie et d’acceptation de la mort, mais aussi l’aspiration à être mieux soignés et accompagnés tout au long de leur vie, afin de retarder ou d’éviter de tels choix déchirants.
Ce texte a été approuvé par l’époux de Delphine.
Alain Atinault, Christian et Olga Baudelot (morte le 30 octobre 2022), Yvanie Caillé, Bernard Cléro, Laurent Di Méglio, Marianne Doz, Danièle Kerrien, Jean-Luc Le Coz, Sylvie Mercier, Stéphane Percio, Nathalie Quignette, Alain Tenaillon et Manuela Wollgramm sont membres de l’association agréée Renaloo, qui réunit des patients atteints de maladie rénales.
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