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jeudi 6 mai 2021

«Un peu profond ruisseau…», plongée dans le passé

par Claire Devarrieux  publié le 6 mai 2021

Un récit de l’écrivaine et psychanalyste Catherine Millot, qui a failli mourir du coronavirus.

Au début d’une analyse, raconte Catherine Millot dans Un peu profond ruisseau…, Jacques Lacan «orientait la cure par une ou deux phrases percutantes qui mettaient les choses en place. Il avait commencé par me dire que je n’avais pas eu de père, ce qui m’avait bien étonnée. Par la suite, je compris qu’il n’avait, en effet, pas rempli sa fonction par rapport au fameux crocodile maternel». Le crocodile ? Explication : Lacan «avait énoncé qu’il fallait un père pour empêcher la gueule ouverte du crocodile maternel de se refermer sur l’enfant».

Un peu profond ruisseau…, grand petit livre, est un récit inspiré par la pandémie. Le titre vient d’un vers de Mallarmé : «Un peu profond ruisseau calomnié la mort.» Atteinte du coronavirus, l’écrivaine et psychanalyste s’est approchée du pire, puis elle en est revenue, se découvrant un élan vital qui l’a étonnée. La première nuit, en réanimation à Cochin, elle n’éprouve «aucune peur de mourir», au contraire, elle connaît une paisible exaltation. «C’est un état de grâce, me disais-je. Après coup, j’en vins à me demander si ça n’était pas plutôt une grâce d’état, si l’hypoxie [manque d’oxygène, ndlr] n’était pas pour quelque chose dans ce détachement, cette sérénité.»

«Confort»

Ne cessant à aucun moment de lire, sans contact physique bien sûr avec le monde extérieur mais soutenue au téléphone par la voix de sa compagne, Catherine Millot opère un retour sur elle-même, qu’elle prolonge quelques mois plus tard en écrivant. Elle réfléchit au crocodile de Lacan, au fait qu’elle a failli mourir à la naissance, mais, en gros, cette expérience du virus est inédite lorsqu’elle l’affronte, à Cochin : «Jusqu’ici, j’avais été à l’abri.» Le bilan est positif. «J’ai eu une vie “confortable”, me disais-je […]. Je m’étonnais de ce mot : le confort n’avait pourtant jamais fait partie de mes valeurs. Croyais-je. Il m’apparaissait que cela avait gouverné mes choix de vie beaucoup plus que je ne le pensais, le rythme de vie, les lieux de vie.»

Elle garde par exemple en mémoire les restaurants et les hôtels où elle emmenait sa mère, lorsque celle-ci se déplaçait encore et ne manifestait pas envers sa fille haine et violence que, par sénilité, elle allait ensuite lui faire subir. Catherine Millot a 75 ans, elle travaille toujours. Elle n’est pas une vieille dame. Sa mère l’est, centenaire, grabataire, dignement arc-boutée à son refus de mourir.«Elle est moindre, la même mais moindre.» Sa voracité évoque à sa fille la bouche grande ouverte de Pas moi, le monologue de Beckett, l’homme qui indiqua le chemin d’«une vie exemplaire sur la voie de la simplification».

«Contemplation de ce qui peut nous détruire»

La maladie rapproche l’écrivaine de l’état de sa mère : «Seule l’impression d’un mince progrès jour après jour me préserva de l’idée d’une déchéance définitive.» Un rêve ancien de condamnation à mort, l’interprétation d’un de ses livres l’orientent dans une réflexion qui tourne autour de la destruction, du désir vertigineux de l’anéantissement. Pourquoi fréquente-t-on les îles volcaniques, ce qui est son cas, pourquoi aimer les orages ? «Kant et avant lui Burke ont développé, avec la notion de sublime, ce paradoxe du plaisir que nous prenons à la contemplation de ce qui peut nous détruire.» Destructrice, la nature est ainsi définie par Nietzsche : «L’indifférence muée en puissance.» Or, telle était justement la mère de Catherine Millot : indifférente.

Mais Un peu profond ruisseau… commence avec SOS Médecins. Selon son parcours, chacun se reconnaîtra, ou reconnaîtra les siens, dans ce qui est décrit, la gratitude envers l’hôpital, les mauvais souvenirs d’un séjour dans une clinique, les douleurs inutiles provoquées par des ponctions artérielles ratées, puis la longue convalescence, et le souffle retrouvé.





Catherine Millot, Un peu profond ruisseau…, Gallimard, «L’infini», 90 pp.





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