Par Mathieu Macheret Publié le 26 avril 2021
Avec ce premier long-métrage, lauréat de l’Oscar du meilleur scénario original, la réalisatrice Emerald Fennell s’emploie à illustrer par la fiction tout un panel de notions ressorties dans le sillage de #metoo, comme le consentement, le harcèlement, la culture du viol ou la masculinité toxique.
Premier long-métrage de la comédienne et scénariste d’origine britannique Emerald Fennell, Promising Young Woman, très remarqué au Festival de Sundance en 2020, mais dont la sortie a été bousculée par la crise sanitaire, se présente comme une satire féministe d’une société américaine bon teint où les relations entre hommes et femmes sont encore déterminées par des schémas de violence et de domination.
Au seuil de la trentaine, Cassie (Carey Mulligan), démissionnaire de l’école de médecine, vit toujours chez ses parents et stagne dans un petit boulot de serveuse au café du coin, sans véritable perspective d’avenir. Le week-end, elle sort seule en club et feint l’ivresse, hameçonnant chaque fois un homme différent pour qu’il la ramène chez lui. Et cela ne manque jamais : dès lors que la jeune femme se retrouve à leur merci, aucun d’eux, même les plus convenables, ne se prive de franchir la ligne rouge, tirant profit de sa vulnérabilité pour obtenir une gratification sexuelle. C’est à ce moment-là que, chaque semaine, le piège de Cassie se referme pour administrer à chacun une bonne leçon et la frousse de sa vie.
Passé cet argument, qui aurait pu être celui d’une comédie noire brocardant la masculinité prédatrice, le film s’engage sur une pente traumatique consistant à sonder le passé de son héroïne. C’est évidemment un drame, la perte de sa meilleure amie Nina, violée sur les bancs de l’école de médecine, qui éclaire les ressorts de son attitude. Or, Cassie apprend que le coupable, un certain Al Monroe, fils de bonne famille blanchi judiciairement, est de retour dans les parages pour se marier. La jeune femme met alors en œuvre un plan machiavélique afin de châtier non seulement le bourreau laissé en liberté, mais tout un petit milieu complice, qui recoupe son ancienne promotion.
Incarner les enjeux post-#metoo
Prenant sur lui d’incarner les enjeux de société post-#metoo, Promising Young Woman s’emploie à donner par la fiction une illustration de tout un panel de notions ressorties dans le sillage du mouvement, comme le consentement, le harcèlement, le « slut-shaming », la culture du viol ou la masculinité toxique. Son héroïne qui se déguise en fêtarde pour mieux, par-derrière, rééduquer la gent masculine est la métaphore à peine voilée d’un film qui, lui-même, arbore une forme ludique et des couleurs bigarrées pour asséner, scène après scène, son message. Prétendant dépoussiérer les schémas hollywoodiens, le film reprend à son compte les codes du « rape and revenge movie »(littéralement « viol et vengeance »), un sous-genre du cinéma d’exploitation apparu dans les années 1970 en réaction au mouvement hippie et à la libération sexuelle. Curieux renversement qui voit ainsi une forme jadis ouvertement réactionnaire servir, cinquante ans plus tard, de véhicule aux idées progressistes.
Une forme est-elle si indifférente en soi qu’il suffise de changer de message pour lui faire dire tout autre chose ? Ou s’agit-il, dans le fond, d’un même désaveu partagé par-delà les décennies au sujet de la libération sexuelle, dont une jeune génération d’autrices et auteurs anglo-saxons entend aujourd’hui solder les comptes, dénoncer l’héritage d’abus et d’errements ? Difficile à dire. Le parti pris militant de Promising Young Woman ne plaide pas, en tout cas, pour la nuance, dessinant un monde manichéen, où tous les personnages masculins sont des agresseurs en puissance.
Pas de quoi s’en offusquer pour autant : la vengeance de Cassie s’accomplit évidemment sur un terrain symbolique, et même cathartique, comme auparavant celles d’Inglourious Basterds(2009) ou Django Unchained (2012), où Quentin Tarantino imaginait des réparations aux grands crimes de l’histoire. Si le film pèche, c’est plutôt par schématisme, reproduisant maladroitement les abus qu’il dénonce : comme invisibiliser la victime, Nina, dont on ne saura absolument rien. Requis par son agenda sociétal, Promising Young Woman s’avère être un film exclusivement programmatique.
Film américain d’Emerald Fennell. Avec Carey Mulligan, Bo Burnham, Alison Brie, Chris Lowell (1 h 53).
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