Par Gilles Rof Publié le 30 avril 2021
PORTRAIT Installé au cœur d’une cité défavorisée, où le Covid-19 frappe dur, ce généraliste se multiplie au quotidien contre l’épidémie. Il soigne aussi la confusion des esprits, entretenue par les thèses complotistes et les revirements du gouvernement.
Il est 2 heures du matin et Fadila fait le pied de grue sur le parking de la Maison régionale de santé Malpassé, cube moderne et sans charme poussé au milieu des grandes cités du 13e arrondissement de Marseille. Fadila, 58 ans, porte deux masques chirurgicaux – un sur le nez, l’autre sur la bouche – et ne veut pas entrer dans la salle d’attente encore pleine. « Je suis cas contact. Vous m’acceptez, Docteur ? », interroge-t-elle, inquiète, quand elle aperçoit enfin Slim Hadiji, qui, ce jeudi d’avril tient sa garde de nuit hebdomadaire.
Quelques minutes plus tard, dans l’intimité de la salle de consultation, cette agente d’entretien marseillaise déballe ses craintes. Après un test positif au Covid-19 deux jours plus tôt, mais sans symptômes majeurs, elle « ne sai[t] plus quoi faire ». Son médecin traitant, contaminé, a fermé boutique. Ses sœurs, diagnostiquées positives elles aussi, lui ont conseillé d’aller voir « Docteur Slim ».
Cette nuit, elle n’en dormait pas, elle est venue. Et repart plus sereine, avec une prescription d’anticoagulant et d’antibiotique, le téléphone des infirmiers qui passeront la voir pendant dix jours, et une ordonnance pour des bilans sanguins. « Une bonne prise en charge initiale aurait évité 50 % des hospitalisations qu’on connaît », soupire le médecin, cheveux poivre et sel, lunettes fines et rasage impeccable sous le masque.
« Docteur Covid »
« Docteur Slim », « Docteur Covid »… Slim Hadiji répond à différents surnoms dans les quartiers nord de Marseille. Depuis le début de la pandémie, ce médecin généraliste de 47 ans a fait du combat contre le coronavirus auprès des populations les plus éloignées des soins une « affaire personnelle ». Il y a gagné une réputation qui dépasse largement sa patientèle régulière, déjà riche de 1 800 noms. Dans la ville du professeur Didier Raoult ou de l’anesthésiste Louis Fouché, porte-drapeau du collectif Réinfo Covid, il lutte contre la confusion des esprits.
Ce soir de ramadan, la gratitude de ses patients se mesure aux bols de chorba, assiettes de samosa et plats de tajine, qui arrivent sur son bureau. « Docteur Slim, il s’est mis au milieu, il n’a pas eu peur du Covid, il est parti au front pour nous »,résume, cash, Djenia, une habituée de la maison de santé, débarquée en chaussons vers minuit, avec sa mère, Malika, pour faire renouveler ses ordonnances.
« SOS-Médecins ne vient plus dans ces cités. Il faut penser aux personnes qui n’ont pas de voitures. » Slim Hadiji
Tunisien venu faire sa médecine à Marseille, Slim Hadiji n’est jamais reparti. En juin 2003, ce père de trois enfants a installé son cabinet dans la cité des Oliviers (13e). Un ancien logement social, qu’il partage avec un associé. Les patients y débarquent sans rendez-vous, sûrs d’être pris en charge. « Je parle français et arabe, c’est ici que les gens ont besoin de moi », assène le praticien, très attaché à cette zone de 20 000 habitants qui ne compte que six généralistes. Un désert médical en plein cœur de la deuxième ville de France.
En 2013, à quelques kilomètres, le docteur Hadiji a aussi posé les bases de la Maison régionale de santé Malpassé. Un centre médical polyvalent où, chaque jeudi, sa garde de nuit peut s’étirer jusqu’à 4 heures du matin. « SOS-Médecins ne vient plus dans ces cités. Il faut penser aux personnes qui n’ont pas de voitures », insiste-t-il.
Des quartiers plus durement éprouvés
A Marseille, comme partout en France, le Covid-19 frappe plus durement les quartiers populaires. Une récente étude du laboratoire Sciences économiques et sociales de la santé et traitement de l’information médicale (Sesstim) montre que les secteurs les moins favorisés de la ville sont les plus touchés par la maladie. Et ceux, aussi, où l’on teste le moins. « Le mois de mars a été un carnage ici », confirme Slim Hadiji.
Au pire de cette troisième vague, le pool d’infirmiers suivait près de 80 malades simultanément, la plupart placés sous oxygène à domicile. En cette fin avril, leur nombre est retombé à 38. Cette nuit, au centre, Fadila sera le seul nouveau cas. Mais les dégâts du Covid-19 se lisent partout. Comme chez Amor, la soixantaine, à qui Slim Hadiji diagnostique une péricardite, de l’eau autour du cœur, conséquence classique des Covid longs.
« Au début, mes patients me disaient que le Covid était une maladie de Blancs, une maladie de riches qui ne les concernait pas. »
Sur les 3 000 patients positifs qu’il a suivis depuis le début de la crise sanitaire, cinq sont morts. Slim Hadiji est capable de citer leurs noms, leurs âges et les circonstances de leurs décès sans hésiter une seconde. Il rumine. « Ce sont des échecs personnels. » La première, Fatouma, 48 ans, « une copine », a été diagnostiquée positive par l’IHU du professeur Didier Raoult. « Mais on ne l’a pas prise en charge », regrette-t-il. Lui n’a été alerté que trop tard. C’était le tout début de l’épidémie et sûrement la cause première de son engagement.
La dernière victime, un septuagénaire, habitait juste à côté de son cabinet. « Il n’attendait que d’être vacciné mais je n’avais pas encore de doses et il n’a pas réussi à trouver un créneau sur les plates-formes Internet. Dans nos quartiers, la fracture numérique peut aussi être mortelle », raconte-t-il, au bord des larmes.
Beaucoup de pédagogie
A chaque étape, le généraliste a tenté d’apporter une solution de terrain. Avec l’association Santé et environnement pour tous (SEPT), dont il est devenu le médecin référent, Slim Hadiji a, par exemple, mis en place une visite à domicile pour apprendre aux personnes positives à s’isoler correctement et tester l’ensemble de la famille. Le 13 juillet 2020, au Grand Palais à Paris, il a profité d’un aparté avec le ministre de la santé, Olivier Véran, pour lui présenter cette procédure. Peu après, l’Agence régionale de santé (ARS) lui en demandait les détails. « J’ose penser que nous sommes pour quelque chose dans le contact tracing mis en place depuis par l’Assurance-maladie », glisse-t-il.
Slim Hadiji bataille contre les fausses informations ou les thèses complotistes avec la foi d’un Don Quichotte. Au centre de santé, une mère de famille explique qu’elle n’a jamais voulu se faire tester par peur qu’on « l’oblige à s’isoler loin de chez [elle] ». Quand elle s’est sentie malade, elle a bu « beaucoup de thé, avec du gingembre, de l’ail, du citron ».Docteur Slim sourit. Ce remède maison, il en a entendu parler des dizaines de fois. Comme de la rumeur de la puce 5G injectée avec le vaccin ou de « la grippette », un temps évoquée par le professeur Raoult. « Au début, mes patients me disaient que le Covid était une maladie de Blancs, une maladie de riches qui ne les concernait pas », raconte le généraliste.
Lui ne critique pas ses confrères – « Didier Raoult a été mon professeur et un professeur ça se respecte » – mais n’a jamais prescrit d’hydroxychloroquine. « Les débats télévisés, les réseaux sociaux ne facilitent pas mon quotidien de médecin »,reconnaît-il. Pas plus que les messages contradictoires du gouvernement autour du vaccin AstraZeneca.
En cette fin avril, il a pourtant lancé, toujours avec les équipes de l’association SEPT, une tournée des centres sociaux du nord de Marseille pour informer les habitants sur la vaccination. Au centre de culture ouvrière de Saint-Jérôme (13e), vendredi 23 avril, six femmes et un homme l’attendent. Tous sont persuadés que le vaccin les tuera à plus ou moins brève échéance. « C’est ce qu’on entend au quartier », se défend l’une des participantes. Au bout d’une heure de questions-réponses, les réticences semblent tombées. Avant de partir, Slim Hadiji relève noms et numéros de téléphone pour son prochain projet : un bus qui escortera les volontaires des quartiers populaires jusqu’au vaccinodrome du Stade-Vélodrome.
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