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lundi 3 mai 2021

Le droit de vote dans les prisons renforcé avant les régionales et la présidentielle

Par   Publié les 3 mai 2021

C’était une promesse d’Emmanuel Macron. Deux lois et deux décrets auront été nécessaires pour créer un dispositif ad hoc de vote par correspondance.

Un détenu dans le bureau de vote de la prison de Fleury-Mérogis (Essonne), lors des élections européennes, le 21 mai 2019.

La machine de l’Etat sait parfois se mettre en quatre pour matérialiser une intention qui n’intéresse ni le grand public ni un groupe de pression. En juin, pour les élections régionales, et en 2022, pour l’élection présidentielle, les détenus qui ne sont pas spécifiquement privés de leurs droits civiques auront la liberté d’exercer ou pas leur droit de vote, comme tout citoyen.

Donnant sa vision de la place de la prison dans la société lors d’un discours à Agen en mars 2018, Emmanuel Macron avait expliqué en quoi cela lui paraissait important. « C’est une mesure indispensable pour en faire des citoyens à part entière et (…) permettre leur réinsertion dans la société véritable. » Un détenu est « un citoyen dont la liberté est réduite, mais ça n’est pas moins », avait-il insisté.

Permettre à des condamnés ou des personnes en détention provisoire de voter ne semble pas résulter d’un calcul électoraliste pour 2022, ce public étant a priori éloigné du profil des macronistes. Aucun ministre ni conseiller n’est derrière cette annonce née, selon son entourage, d’une conviction personnelle nourrie de ses lectures philosophiques.

Le RN en tête

Une première opération exceptionnelle a été montée en 2019 dès les élections européennes. Un dispositif de vote par correspondance avec un dépouillement devant la presse au ministère de la justice avait permis à 4 413 détenus de prendre part au scrutin. A titre de comparaison, ils n’avaient été que 853 à voter par procuration lors de la présidentielle de 2017 et 200 avaient obtenu une permission de sortir pour se rendre à leur bureau de vote.

La création de cette « circonscription » carcérale a permis d’obtenir une photographie du vote des détenus, ce qui n’était pas du tout prévu. Dans ce bureau de vote éphémère, dont les résultats ont été rattachés au 1er arrondissement de Paris, la liste du Rassemblement national était sortie en tête avec 23,6 %, suivie de La France insoumise (19,7 %), puis très loin derrière de La République en marche (9 %) et Europe Ecologie-Les Verts (8,9 %).

Un dispositif pérenne imposait une solution qui ne déséquilibre pas une circonscription existante. Deux lois et deux décrets d’application auront été nécessaires. Un 112e article a ainsi été introduit dans la loi du 27 décembre 2019 dite « engagement et proximité » du ministère des collectivités territoriales, pour créer dans le code électoral, un système dérogatoire d’inscription sur les listes. Les directeurs de prison, propulsés interlocuteurs des maires dans cette procédure, ont le devoir d’aider les détenus à remplir les formalités.

Vote par correspondance privilégié

Ceux qui souhaitent voter par correspondance seront rattachés au chef-lieu du département où ils sont incarcérés, inscrits dans le bureau comptant le plus d’électeurs. Les bulletins issus des 188 établissements pénitentiaires seront ainsi disséminés sur le territoire. Le vote par procuration et la permission de sortir pour aller dans un bureau de vote seront toujours possibles, mais le vote par correspondance sera la voie privilégiée.

Le dispositif va être étrenné avec les élections régionales des 20 et 27 juin. Un décret pris le 27 novembre 2020 en application de cette loi est venu ajouter au code de procédure pénal un chapitre intitulé « Du vote des détenus » tandis qu’une circulaire d’Eric Dupond-Moretti, le ministre de la justice, du 16 mars sonne la mobilisation de l’administration pénitentiaire pour que tout soit prêt.

Des réunions d’information, voire des débats préélectoraux, pourront être organisés

Dans chaque prison, un personnel de direction ou du corps de commandement et un directeur pénitentiaire d’insertion et de probation sont désignés pour constituer un « binôme référents citoyenneté ». L’objectif est de s’assurer que les détenus sont informés en amont des procédures de vote. Des réunions d’information, voire des débats préélectoraux, baptisés « Moment d’échange sur les enjeux électoraux et démocratiques », pourront être organisés comme cela avait été le cas dans de nombreux établissements lors du grand débat qui avait suivi au printemps 2019 la crise des « gilets jaunes ».

Une forme d’isoloir, afin de garantir le secret de la mise sous pli du bulletin de vote, pourra être installée dans les établissements dans lesquels les cellules ne sont pas individuelles, ce qui est le cas des maisons d’arrêt où se concentrent les deux tiers de la population carcérale. C’est au chef d’établissement qu’il reviendra ensuite, le jour du scrutin, d’apporter au président du bureau de vote correspondant à sa prison les enveloppes scellées du vote par correspondance et la liste d’émargement.

« Un progrès indéniable »

Pour adapter ce dispositif à l’échéance de 2022, il a fallu modifier la loi de 1962 sur l’élection du président de la République au suffrage universel à l’occasion de la loi organique du 29 mars 2021 « portant diverses mesures relatives à l’élection du président de la République ». Dès le 31 mars, le décret d’application créant notamment un chapitre sur « le vote par correspondance des personnes détenues » a été publié au Journal officiel.

Cette machinerie ne va pas révolutionner les élections ni la vie des détenus, mais elle est indéniablement un progrès dans le respect des droits dans une société démocratique. Jean-Christophe Ménard, avocat de l’association Robin des lois, qui milite depuis plusieurs années pour installer des bureaux de vote en prison reconnaît que « la possibilité pour chaque détenu qui a conservé ses droits civiques de voter par correspondance est un progrès indéniable ». Mais l’association ne renonce pas à son contentieux devant le Conseil d’Etat, préférant le cérémonial républicain du bureau de vote où l’on se rend pour introduire soi-même son bulletin dans l’urne.

Quant au discours d’Agen, il comprenait d’autres promesses comme un statut pour le détenu qui travaille, actuellement sur le bureau de l’Assemblée nationale, ou la réduction de la surpopulation carcérale. Sur ce dernier point, pourtant essentiel à la dignité des détenus, cela n’en prend pas le chemin.


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