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mardi 4 mai 2021

Infirmières et infirmiers scolaires au bout du rouleau : «Je préfère en rire qu’en pleurer»

par Cassandre Leray  publié le 2 mai 2021 

Depuis le début de la pandémie, ces professionnels doivent composer tant bien que mal avec des conditions de travail dégradées. Le déploiement des autotests et le flou entourant la reprise en présentiel pour les élèves rajoutent des difficultés pour une profession déjà épuisée.

«Cette rentrée en présentiel risque d’être olé olé !» Gwenaelle Durand rigole nerveusement. De sa voix au téléphone, on devine sa mine déconfite. L’infirmière scolaire le reconnaît dans un soupir, «je préfère en rire qu’en pleurer, parce que sinon je ne tiendrais pas…»Ce lundi, collégiens et lycéens débarqueront à nouveau dans leurs établissements, en demi-jauge. Au programme, pour lutter contre la pandémie malgré une foule d’adolescents rassemblés au même endroit : déploiement des autotests dans les lycées et de tests antigéniques dans les collèges.

A l’approche du jour J, Gwenaelle Durand sait qu’elle n’est pas la seule à s’inquiéter. Ces derniers jours, elle sent la panique monter chez ses collègues. Avec sa casquette de secrétaire générale du Syndicat national des infirmiers et infirmières éducateurs de santé (Snies Unsa), elle insiste : «Avec tout ce qu’on a à gérer côté Covid, on ne s’en sort plus.» Comme beaucoup de consœurs et confrères, Gwenaelle peine à prendre en charge les élèves en souffrance, une de leurs prérogatives normalement. «Et avec cette reprise, on nous rajoute encore des tâches sans recruter. La fin d’année va être longue, très longue.»

«Les bras m’en tombent»

Grande nouveauté pour cette reprise : les autotests dans les lycées. Chaque semaine, à partir du 10 mai, les élèves devront se fourrer eux-mêmes un écouvillon dans le nez. Pour l’instant, «c’est le flou complet», dixit plusieurs infirmières, concernant la façon dont ce dispositif sera mis en place. Jusque-là, «on espérait que les autotests auraient lieu à domicile après avoir montré aux jeunes comment faire», commente Sylvie Magne, secrétaire académique du Syndicat national des infirmièr(e)s conseiller(e)s de santé (Snics FSU) pour l’académie de Nantes. Mais les dernières consignes ne lui inspirent pas confiance : «A priori, les autotests se feront dans les établissements scolaires jusqu’à la fin de l’année. C’est ingérable !»

Que faire des déchets contaminés ? Comment prendre en charge un cas positif ? De quelle façon superviser les centaines – voire milliers – d’adolescents qui défileront tests à la main ? Autant de questions auxquelles la responsable syndicale est incapable de répondre. Pour elle, impossible de tout gérer avec si peu de personnel infirmier : «On ne peut pas se démultiplier !» Actuellement, l’Education nationale compte 7 700 infirmières et infirmiers scolaires (96 % sont des femmes)… pour 62 000 établissements. «Les bras m’en tombent. Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas de recrutements», lâche Sylvie Magne, dépitée.

Les collégiens échappent pour l’instant aux autotests. Lundi 26 avril, la Haute Autorité de santé a rendu un avis favorableconcernant leur utilisation chez les moins de 15 ans. Mais pour l’instant, «heureusement, on ne nous demande pas de les déployer dans les collèges, tranche Sylvie. Ce serait la catastrophe.» Autotests ou pas, le ras-le-bol est le même chez les infirmières et infirmiers scolaires, du collège au lycée en passant par l’école primaire.

«Nos élèves ont besoin de nous»

Sophie (1) a, elle, lâché prise. Infirmière dans une cité scolaire dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, elle n’y mettra pas les pieds lundi. Depuis le 29 mars, elle est arrêtée pour «anxiété réactionnelle liée à [son] travail». Sa psychiatre lui a même dit qu’elle était «à la limite du burn-out», et qu’elle devrait «la ramasser à la petite cuillère» si elle retournait au boulot maintenant. Quelques jours avant d’être arrêtée, elle avait reçu 17 élèves en une heure, se débrouillant pour enchaîner les consultations entre les appels de parents informant que leur enfant était cas contact. «Là, je me suis dit : stop. Tant que c’est le bordel comme ça, je préfère arrêter car j’ai peur de mal faire mon travail.»

A l’image des autres témoignages recueillis par Libération, elle énumère les différentes tâches qui se sont ajoutées à ses missions habituelles à cause de la pandémie. Pêle-mêle, parmi les plus prenantes, elle cite la mise en place des protocoles sanitaires, le traçage des cas contact quand un élève est positif, la prise en charge du malade ou encore la gestion des échanges avec les parents perdus.

Sophie ne veut pas se voiler la face. Alors elle le dit sans détour : en vingt-cinq ans de carrière au sein de l’Education nationale, elle n’a jamais vu un tel «bordel»«C’est de la quantité et de l’abattage qu’on est en train de faire. Je ne veux pas recevoir ces jeunes de cette façon. Il y a des problèmes de scarification, des gamins qui ne vont pas bien… Nos élèves ont besoin de nous.» Mais ce temps à leur consacrer, elle ne l’a pas. Anne, infirmière scolaire dans un collège près de Bordeaux, en manque aussi. Elle croule sous le travail depuis des mois. A tel point qu’elle a dû délaisser le traditionnel entretien qu’elle fait avec chaque élève de 6e à leur arrivée. «On n’a plus le temps de faire du dépistage, de repérer les situations de mal-être et de faire de la prévention», s’alarme-t-elle. Seule infirmière pour près de 800 élèves, elle passe son temps à «courir après le Covid», alors qu’elle préférerait pouvoir être à l’écoute des jeunes en détresse.

Mais elle ne voit aucune solution pour le moment. La faute à «une absence totale de reconnaissance de notre métier par le gouvernement» et «un manque criant de personnel». Derrière ces mots, l’impression persistante de n’être «rien de plus que les petites mains invisibles de l’Education nationale». Alors, elle déballe avec tristesse qu’en fin de compte, «on a l’impression d’avoir perdu de vue le fait qu’on est censés travailler pour le bien-être des élèves, alors que c’est pour eux qu’on a choisi ce métier».

(1) Le prénom a été modifié.


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