Marylin Maeso, propos recueillis par publié le
Le clivage gauche-droite est-il encore pertinent pour s’orienter dans la politique contemporaine ? Alors que les sondages font état d’un basculement électoral de l’opinion vers la droite et d’une fragmentation de la gauche, dans le champ idéologique, l’état des lieux est opaque : les uns considèrent que l’extrême droite a gagné la bataille des idées en ayant réussi à mettre les questions autour de l’islam, de la laïcité et de la sécurité au centre du débat, les autres considèrent que la gauche radicale polarise le débat autour des questions du racisme, de la cancel culture, du genre et de l’identité. Chaque camp accusant l'autre de « faire le jeu » de l'extrême droite. Pour y voir plus clair, nous avons demandé à une dizaine de jeunes philosophes issus de tout le spectre du champ politique, de répondre à trois questions : êtes-vous de gauche ou de droite ? Comment définissez-vous ce clivage ? Va-il disparaître ou être réinventé ?
Aujourd’hui, la réponse de la philosophe et essayiste Marylin Maeso, professeure de philosophie en lycée et spécialiste d’Albert Camus à qui elle a consacré un Abécédaire (Éditions de L’Observatoire, 2020), et autrice des Conspirateurs du silence (Éditions de L’Observatoire, 2018), dans lequel elle dénonce le climat délétère du débat public contemporain.
Vous considérez-vous comme de gauche ou de droite (ou refusez-vous d’entrer dans cette division, et si oui, pourquoi) ?
Marylon Maeso : Je ne suis pas certaine que le refus soit ici réellement une option, car comme toutes les dichotomies, celle-ci ne tolère guère les indécis. Les centristes seront poussés, qu’ils le veuillent ou non, au « centre-gauche » ou au « centre-droit ». Quant à ceux qui, à l’instar de Macron, se déclarent « ni de droite ni de gauche », on choisira pour eux en les soupçonnant d’être de droite mais de vouloir s’acheter une bonne conscience progressiste sans joindre l’action à la parole. Puisqu’il faut trancher, disons que je me situe sur la crête sceptique de la gauche. J’entends par là que je me reconnais dans un certain nombre de principes, de valeurs et de combats que la gauche fait siens (égalité sociale, antiracisme, féminisme, droits des LGBT+, écologie etc.), mais que j’aime conserver une certaine distance critique, notamment vis-à-vis de ses méthodes.
Qu’est-ce qu’être de gauche ou de droite, selon vous, aujourd’hui ?
Il me semble nécessaire de ne pas perdre de vue l’origine de cette division ainsi que ses limites : c’est la métamorphose en notions idéologico-politiques de ce qui n’était au départ qu’une simple répartition topographique à l’Assemblée entre partisans du pouvoir en place et opposants. Il en est resté, à droite, une identité marquée par le souci de la conservation d’un ensemble de valeurs jugées cardinales dont le contenu a évolué au fil du temps, et qui peut prendre diverses formes, du statu quo à cette nostalgie qu’on nomme parfois, avec plus ou moins de justesse, « réactionnaire ». La gauche a, quant à elle, globalement gardé la fibre contestataire qui la caractérisait déjà en 1789 et qu’elle a cultivée au gré des combats du moment avec, là encore, des changements de focale qui suivent les soubresauts de l’histoire : la lutte des classes, point d’Archimède au siècle dernier, tend aujourd’hui à passer au second plan, derrière les luttes progressistes (antiracisme, féminisme, défense des LGBT+, écologie, etc.).
Y a-t-il ou devrait-il y avoir une redéfinition idéologique de cette division ? Ou est-elle vouée à disparaître au profit d’autres clivages autour de l’écologie, de l’identité, de l’Europe, etc. ?
Il y a, et il y a toujours eu, redéfinition idéologique de cette division. Depuis le premier jour, l’histoire de la gauche et de la droite est celle d’une redéfinition permanente de leurs frontières internes et externes. La notion de patrie, par exemple, a bien voyagé depuis le temps où Victor Hugo l’opposait au « pays »pour résumer la guerre de Vendée et plus généralement la tension entre l’universalisme et le particularisme, le progrès et l’enracinement. Aujourd’hui, le patriotisme est transpartisan, adopte des formes multiples et n’implique plus nécessairement de sacrifier l’universel ou le particulier. Il en va de même pour la notion de nation. Je ne pense pas que la division droite/gauche soit appelée à disparaître, parce qu’elle est simple et vague, c’est-à-dire pratique et plastique. Elle va juste continuer à muer pour prendre le pli de l’époque, pour le meilleur et pour le pire, avec ses prises de conscience et ses aveuglements. Cela peut être source d’inquiétudes, notamment en ce qui concerne l’impact croissant du prisme identitaire à droite comme à gauche, et la polémicisation des débats autour d’enjeux de société qui souffrent de ce mauvais traitement en partie dû au fonctionnement et à l’influence conjointe de l’usine à buzz médiatique que sont certaines émissions et des réseaux sociaux . Mais j’y vois aussi une raison de se réjouir : tant que les lignes bougent, c’est que le corps politique est vivant.
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