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jeudi 18 mars 2021

Le harcèlement, phénomène majeur chez les mineurs

par Cécile Bourgneuf  publié le 18 mars 2021

Les chiffres des violences et humiliations subies par de nombreux élèves en France restent élevés et les moyens mis en place par l’éducation nationale pour déceler et prendre en charge les victimes ne sont pas à la hauteur.

Son visage d’ado a fait le tour des médias. Alisha Khalid, 14 ans, a été retrouvée morte dans la Seine à Argenteuil, lundi 8 mars. Selon les premiers éléments de l’enquête, la collégienne aurait été brutalement frappée puis jetée dans le fleuve, encore consciente, par une fille et un garçon de sa classe de troisième. Ces deux adolescents de 15 ans, en couple, harcelaient Alisha depuis des semaines, sur fond de querelles amoureuses. Les agresseurs supposés avaient notamment piraté le téléphone de leur victime et diffusé des photos d’elle en sous-vêtements sur le réseau social Snapchat.

Au lendemain de la marche blanche organisée ce dimanche en son hommage, un enfant de 11 ans, scolarisé en sixième dans un collège de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), se suicidait après avoir été convoqué par son établissement pour avoir harcelé un autre élève. Ces deux faits divers dramatiques, survenus coup sur coup, apportent un effet de loupe sur un problème de société tristement banal : celui du harcèlement scolaire. En France, chaque année, 700 000 élèves en sont victimes, soit en moyenne deux à trois enfants par classe. La violence peut aller très loin, comme le confie à Libération la jeune Elena, tabassée par un groupe d’ados à la sortie de son collège (voir ci-contre).

Phénomène de groupe

Avant de parler de harcèlement scolaire, il faut le définir. Il s’agit de violences verbales, physiques ou psychologiques, répétées et commises par un ou plusieurs élèves sur un autre. Claques, coups, insultes, remarques humiliantes, mises à l’écart, rumeurs ou encore intimidations… «Ces violences peuvent parfois sembler sans conséquences, comme lorsqu’un élève se prend un “steak”, c’est-à-dire une petite claque derrière la tête, un geste classique à l’école. Une fois ce n’est pas grave, mais si c’est systématique, il s’agit de harcèlement», rappelle Benjamin Moignard, président de l’Observatoire universitaire international éducation et prévention.

N’importe quel élève peut être harcelé, comme après une altercation ou une histoire de jalousie. Et tout sert de prétexte : physique, milieu social, niveau scolaire, origine, préférence sexuelle ou encore handicap. Pour la pédopsychiatre Nicole Catheline, le harcèlement à l’école est avant tout un phénomène de groupe : «Le harceleur fédère très vite autour de lui des copains. Cette situation dure parce que les autres le soutiennent ou l’encouragent, soulagés de ne pas être à la place de la victime.» Résultat, le harceleur se dédouane de ses actes. Il a en réalité des points communs avec son bouc émissaire : «Ils ont chacun des fragilités, mais ils réagissent différemment, observe la pédopsychiatre. Les harcelés veulent plutôt passer inaperçus et ne pas se mêler aux autres, tandis que les harceleurs ont besoin d’un public.» L’inversion des rôles est donc fréquente.

Insultes venant d’inconnus

Depuis une dizaine d’années, ce harcèlement sort des murs de l’école pour se poursuivre en ligne : un collégien sur vingt est victime de cyberharcèlement. «Les enfants ont, pour beaucoup, un smartphone dès la fin du primaire, avec de nombreuses applications sur lesquelles ils échangent. Plus il y a de routes, plus il y a de voitures, plus il y a d’accidents», illustre Justine Atlan, directrice de l’association e-Enfance. Les réseaux sociaux et messageries instantanées agissent comme une caisse de résonance, à tel point qu’un élève peut recevoir moqueries et insultes de la part de jeunes qu’il n’a jamais vus. L’humiliation devient publique, avec parfois des photos et vidéos dégradantes, attaquant profondément l’estime de soi.

Même s’il est encore trop tôt pour bien mesurer les effets de la crise sanitaire sur le cyberharcèlement, l’association e-Enfance, qui a noué une convention avec l’éducation nationale pour prendre en charge ce problème, constate deux fois plus de signalements depuis le premier confinement. «Et ce n’est pas redescendu depuis, s’alarme Justine Atlan. Il n’y a toujours pas d’activités extrascolaires, nos espaces de vie restent très confinés, donc les enfants passent encore plus le temps en ligne. Résultat, ces usages s’installent durablement.»Avec des conséquences dévastatrices pour les victimes qui n’ont plus de sas de décompression à la maison. Les effets du harcèlement scolaire s’inscrivent dans la durée : à très court terme, stress, chute des résultats, perte de confiance en soi, pouvant entraîner déscolarisation, dépression et tentative de suicide. A long terme, les risques de dépression chronique sont deux fois plus élevés.

«Des mesures punitives»

Contrairement aux pays d’Europe du Nord, notamment scandinaves, qui traitent le harcèlement depuis les années 70, la France a commencé à prendre le problème à bras-le-corps il y a une décennie seulement, après la publication de travaux scientifiques et la mobilisation de parents de victimes. Il existe désormais plusieurs dispositifs : une journée nationale dédiée le premier jeudi du mois de novembre, deux numéros verts – le 3020 et le 0 800 200 000 – ou des formations pour les enseignants à la demande des établissements. Des élèves chargés d’informer et de repérer les signes de harcèlement (avec la mise en place de Sentinelles et Référents, lire ci-contre) sont également mobilisés tout comme des interlocuteurs au sein des académies qui interviennent en cas de signalement. L’éducation nationale étendra également sur tout le territoire, à la rentrée 2021, son programme anti-harcèlement «clé en main» déjà testé dans six académies pilotes, avec des mesures qui ont fait leur preuve. «Les différents plans de lutte mis en place cherchent à peu près tous à renforcer les mesures punitives, éventuellement mieux former les personnels et créer des personnels dédiés. Ce sont des réponses très catégorielles», regrette Benjamin Moignard.

Les chiffres du harcèlement restent stables et sont toujours plus élevés au collège et en primaire (5 à 12 %) par rapport au lycée (4 %). Mais ces moyennes masquent un creusement des inégalités face aux violences. Il existe en effet de grosses différences selon les établissements. Dans les plus difficiles, là où le climat scolaire est dégradé, le nombre d’élèves harcelés ne cesse d’augmenter. «Ce n’est pas l’apanage des établissements populaires, mais ils peuvent être plus touchés par le turnover permanent de la communauté éducative», pointe Benjamin Moignard. Alors que pour mettre fin au harcèlement, il faut à l’inverse des équipes soudées, attentives, capables d’intervenir au plus vite pour le limiter. Et le prévenir.


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