Publié le 19 mars 2021
TRIBUNE
La politique sanitaire mise en place est responsable de dégâts collatéraux inquiétants, soulignent une vingtaine de professionnels de santé, qui plaident pour alléger les contraintes chez l’enfant et le jeune adulte et renforcer la protection des personnes à risque.
Tribune. Voilà maintenant un an que la vie des Français a été bouleversée par la crise sanitaire et la mise en place de mesures aussi fortes qu’inédites, toutes prises au nom de la santé de nos concitoyens. Cet anniversaire doit être pour nous l’occasion d’en dresser le bilan.
Au début de l’épidémie, à la lumière des premières données qui laissaient alors craindre une mortalité très élevée, et dans l’attente d’un traitement efficace et de lits d’hospitalisation en nombre suffisant pour soigner les malades, il était alors acceptable pour chacun d’entre nous de se trouver transitoirement confiné puis de se voir imposer un certain nombre de gestes barrières « pour se protéger et protéger les autres ». Or, aujourd’hui, les termes de ce contrat social ont beaucoup évolué.
Après un an de recul, la maladie est mieux connue. Les statistiques de décès montrent qu’elle n’est pas aussi mortelle que ce que l’on avait initialement craint. La population à risque de formes graves est assez clairement identifiée et est principalement constituée des personnes très âgées et/ou atteintes de comorbidités particulières. Par ailleurs, la prise en charge médicale des formes sévères s’est considérablement améliorée et a permis de diminuer notablement la mortalité.
Le caractère transitoire des mesures sanitaires instaurées est par ailleurs remis en question devant l’émergence de multiples variants, car l’infection préalable par le virus semble ne pas protéger de ceux-ci. De ce fait, une sortie de crise à court ou moyen terme par l’immunité collective, passive ou vaccinale, apparaît compromise.
Nécessité transitoire
Les contraintes sanitaires ont été présentées à la population, et acceptées par celle-ci, comme une nécessité transitoire dans le but de ne pas déborder la capacité d’accueil hospitalière. Pourtant, après un an, le nombre de lits d’hospitalisation et de réanimation n’a toujours pas été revu à la hausse, ni le nombre de personnels paramédicaux et médicaux spécialisés.
La politique sanitaire mise en place est responsable de dégâts collatéraux inquiétants. Ainsi, la sédentarisation de la population, et notamment celle des enfants (rapport de l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité, décembre 2020) confrontés au confinement, à la fermeture des salles de sport, aux contraintes sanitaires pesant sur les activités sportives à l’école, entre autres, entraîne une prise de poids d’une partie importante de la population qui risque d’avoir des conséquences sur leur santé à long terme, ainsi qu’une consommation de temps d’écrantoujours plus importante, notamment pour ce qui concerne les enfants et adolescents.
La qualité de vie et la santé mentale des Français ont été aussi mises à mal par le contexte épidémique et les mesures de distanciation sociale instaurées. De terribles situations d’isolement sont régulièrement mises en évidence, notamment chez les étudiants et les personnes âgées. La situation en psychiatrie est inquiétante et il en va de même en pédopsychiatrie.
Ces « mesures barrières » (respect des distances interindividuelles, port du masque dès le CP, généralisation des enseignements et réunions « distancielles ») pèsent particulièrement sur les enfants et les jeunes adultes, alors qu’aux âges précoces de la vie, le contact avec autrui est plus que jamais indispensable au développement harmonieux de l’individu.
Les élèves en difficulté fragilisés
Il est pourtant désormais clair que les plus jeunes d’entre nous ne présentent qu’un risque infime de développer une forme mortelle de la maladie – cinq décès hospitaliers avant 15 ans en France en un an, quatre cent cinquante-cinq avant 45 ans – et que les enfants ne font que marginalement partie de la chaîne de contamination.
Par ailleurs, le port du masque à l’école dès 6 ans entrave plusieurs canaux de communication, mais fragilise davantage les élèves déjà en difficulté – notamment les enfants présentant des troubles phonologiques, articulatoires, auditifs, visuels, des troubles des interactions sociales ou des troubles attentionnels – d’autant plus en période d’acquisition de la lecture (par suppression de la lecture labiale, atténuation et déformation du son de la voix).
Le port du masque en crèche par les adultes interroge également, le développement du tout-petit se faisant à travers l’imitation du visage de l’adulte, de sa bouche particulièrement, la reconnaissance des mimiques et le décodage des expressions faciales. Or, en moyenne, les enfants gardés en structure y passent 7 heures 32 par jour et beaucoup ne retrouvent leurs parents non masqués que pour de courts moments en fin de journée (bain-repas-coucher).
Enfin, dans sa constitution, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social et [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Or, aujourd’hui, plusieurs dimensions de la santé de nos concitoyens se sont vues grandement altérées par les mesures sanitaires. C’est donc le moment de changer de paradigme. Nous proposons de commencer par les points suivants :
Défiance
– Augmenter le nombre de lits de réanimation et d’hospitalisation consacrés au Covid-19 afin de pouvoir prendre en charge correctement les malades atteints de Covid-19 tout en n’impactant pas le reste de l’offre de soins.
– Alléger les contraintes sanitaires chez l’enfant et l’adulte jeune : assouplir les règles de port du masque à l’école (notamment en extérieur), encourager les enseignements en plein air, favoriser la reprise des activités sportives, à l’école et hors milieu scolaire, privilégier les enseignements en présentiel dans l’enseignement supérieur… La sécurité de cette mesure pourra être assurée par la priorisation du personnel scolaire dans le déploiement vaccinal et la surveillance des indicateurs de suivi de gravité de l’épidémie.
– Renforcer la protection des personnes à risque de forme grave : augmenter les moyens humains et matériels des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et autres établissements médico-sociaux à risque. Protéger au mieux les personnes identifiées à risque (télétravail ou arrêt de travail si besoin, aides humaines et/ou matérielles, poursuite de la vaccination…).
– Plus globalement, faire confiance à la capacité de jugement et à la bonne volonté de nos concitoyens et cesser d’employer la contrainte comme cela est fait depuis le début de la crise, ce qui favorise la défiance et l’émergence de récits « complotistes ».
Signataires : Justine Alary, infirmière ; Chloé Benizri, médecin, psychiatre ; Benoît Bobillot, épidémiologiste ; Solange Charton,psychologue clinicienne, psychothérapeute ; Houzefa Chopra, médecin, cardiologue ; Nora Colegrave, médecin, anesthésiste-réanimateur ; Florence Fayard, médecin, spécialiste en santé publique et médecine sociale, médecin de santé scolaire ; Alexandra Flouris, psychologue hospitalière en pédiatrie ; Eric Grignano,médecin, hématologue ; Fanny Grimand, médecin, pédopsychiatre ; Philippe Grimand, médecin généraliste retraité ; Mathilde Guillot,médecin généraliste ; Marie-Clotilde Hemery-Legrain, orthophoniste ; Laura Hoslin, médecin, anesthésiste-réanimateur ; Vincent Jacquelin, médecin, radiologue ; Christelle Landais,psychologue clinicienne, psychanalyste ; Jacqueline Lhomme-Léoment, infirmière retraitée ; Déborah Malet, médecin, psychiatre ; Anne-Marie Odena, médecin du travail retraitée ; Lucile Parlant-Pinet, médecin, endocrinologue, diabétologue ; Camille Robert,médecin généraliste ; Marine Schmoll, psychologue clinicienne en crèches et en libéral.
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