Par Solène Cordier Publié le 15 mars 2021
Selon un sondage IFOP, qui révèle notamment à quel point les femmes victimes ne partagent avec personne l’horreur qu’elles vivent, pour environ 40 % d’entre elles les actes violents ont commencé à partir de mars 2020 ou peu après.
Au printemps 2020, en plein cœur du premier confinement, Magalie (le prénom a été modifié) et ses deux enfants ont quitté en urgence le domicile familial pour être mis en sécurité. A l’issue de vingt-cinq années de mariage, dont les quinze dernières marquées par une véritable descente aux enfers en raison des violences subies, la Francilienne avait enfin trouvé la force, après un énième épisode et grâce au soutien d’une association, de se rendre dans un commissariat pour déposer plainte. Une nouvelle épreuve : « Non seulement je devais exposer des choses très intimes, que je n’avais jamais dites à des étrangers, mais en plus j’avais l’impression d’être face à des robots, des machines, qui partaient du postulat que je mentais et qu’il fallait me malmener un peu pour faire sortir la vérité. »
Dénigrements constants, violences diverses, notamment sexuelles, manipulations, chantage… La somme des sévices commis par l’ex-conjoint de Magalie donne pourtant le tournis. « Où je vais, qui je vois, si je ris, si je pleure, il devait tout savoir », résume-t-elle dans un souffle.
Pourtant, pendant toutes ces années, la quinquagénaire a donné le change devant ses amis, sa famille. Est-ce à cause de la honte, de la culpabilité, de l’isolement ? Comme Magalie, près d’une femme sur deux victime de violences conjugales (49 %) ne partage avec personne l’horreur vécue une fois la porte de la maison close, selon un sondage IFOP pour la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) dont Le Monde présente les résultats.
A partir d’un échantillon de 12 139 personnes, 9 % de femmes (près d’une femme en couple sur dix) se déclarant victimes ont été interrogées en novembre 2020. Parmi celles qui disent s’être confiées sur leur vécu, 51 % se sont adressées à un proche, 21 % à un médecin. Seules 15 % ont déposé plainte ou signalé les violences aux autorités, et 14 % ont contacté une association.
L’intérêt de ce sondage, qui confirme par ailleurs des enseignements délivrés dès 2000 par la première « Enquête nationale sur les violences envers les femmes » (Enveff), et plus récemment par l’enquête « Violences et rapports de genre » (Virage) de l’Institut national d’études démographiques, est d’éclairer la situation des femmes victimes lors du premier confinement et depuis. Pour quatre femmes interrogées sur dix, les violences ont, en effet, commencé à cette date (30 %) ou après (13 %), ce qui laisse supposer que « la période a été un facteur d’aggravation des violences », selon Françoise Brié, la présidente de la FNSF, commanditaire.
« Comportements plus pervers »
D’après Simon Libeaut, chargé de mission à l’association lyonnaise de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants Viffil, au cours de l’année écoulée, « la situation s’est détériorée sur le plan psychique » pour les femmes victimes mais aussi chez les agresseurs, comme dans l’ensemble de la population, occasionnant sans doute « des comportements plus pervers, des passages à l’acte beaucoup plus terribles ».
Au-delà d’une forte hausse d’activité par rapport à 2019 (+ 70 % d’appels entrants, + 22 % de prises en charge), le rapport annuel du numéro d’urgence 3919, géré par la FNSF, mentionne également des appels « à contenu très lourd » : tentatives de féminicides, séquestrations, violences physiques graves…
Dans le panel de femmes victimes ayant répondu au sondage IFOP, 8 % disent avoir fait l’objet d’insultes ou de dénigrement, 5 % avoir été bousculées, 4 % avoir été confrontées à des violences physiques et 3 % à des violences sexuelles. Peu importe le milieu social ou le niveau de diplôme, toutes les femmes sont concernées. Toutefois, l’enquête souligne la forte représentation de jeunes femmes victimes : 13 % des femmes de moins de 35 ans déclarent avoir fait l’objet de violences conjugales, et en particulier 15 % de celles âgées de 18 à 24 ans – ces dernières sont aussi celles qui portent le plus plainte, l’un des éléments encourageants.
« On relève deux facteurs de risque, le jeune âge et sinon le fait d’avoir des enfants », confirme Frédéric Dabi de l’IFOP. Ainsi, 7 % de femmes sans enfants se déclarent victimes, contre 15 % des mères de trois enfants et plus. Pour ces dernières, la difficulté à quitter le domicile conjugal est encore accrue, mais la présence des enfants peut aussi être une motivation, relèvent les associations. C’est le cas de Magalie ; malgré les risques encourus par la séparation avec son mari violent, elle a persévéré pour ses deux enfants. « Je me suis dit que je ne pouvais pas me permettre de me mettre ainsi en danger, que pour eux je devais rester debout. »
Après s’être tournée vers une association – « s’entendre dire “on vous croit, on va vous aider”, c’est comme d’être au milieu de l’océan et de voir un paquebot » –, elle tient à délivrer un message d’espoir aux femmes dans sa situation. « Je ne regrette pas mon choix et je pense que je ne regretterai jamais d’être partie », témoigne-t-elle un an après. Un encouragement nécessaire : selon le sondage, une femme victime sur trois (32 %) ne voit aucune issue aux violences qu’elle subit.
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