Les deux architectes ont toujours eu pour principe d’être suivis par beaucoup de gens lors de la réalisation de leurs projets. C’était également le cas au cours de leurs études d’architecture. Tout a débuté avec leur projet de fin d’études, qui consistait à concevoir un nouveau centre culturel pour le port de Koge [dans l’est du Danemark]. Sorensen et Aristotelis trouvaient que leur projet n’était pas assez ambitieux. Après une longue bataille avec le directeur de leur institut, ils ont été autorisés à choisir un autre site où se projeter : une avancée rocheuse au pied d’un volcan sur Mars.

“La rumeur s’est rapidement propagée que quelques étudiants fous étaient en train de dessiner des logements pour Mars. Il y a eu beaucoup de monde lors de la présentation de notre projet. C’était la première fois que nous osions donner libre cours à notre fascination pour l’architecture spatiale. Nous avons appris que, lorsqu’on fait quelque chose d’aussi fou, il faut travailler encore plus dur. La plupart des gens peuvent adhérer à l’idée de construire un centre culturel à Koge, mais là nous n’allions pas seulement dessiner un bâtiment, nous allions aussi convaincre les gens que construire dans l’espace avait un sens”, raconte Sebastian Aristotelis.

Aucune place laissée au superflu

Heureusement, les enseignants ont été convaincus par la proposition : transformer un rocher en base martienne avec une consommation minime de ressources et une protection maximale contre le rude climat de la planète. À partir de là, leurs idées de logements sur Mars se sont transformées en un nouveau projet, qui a valu aux deux architectes un premier prix dans un concours international. Un projet qui leur a aussi permis de comprendre la cause de leur engouement pour l’architecture spatiale. “Lors de mes études d’architecture, je trouvais qu’on parlait de beaucoup de choses insignifiantes et qu’il manquait une volonté de rechercher ce qu’il y a d’absolue vérité dans la construction. Nous ne l’avons pas trouvée, loin de là. Mais si on construit quelque chose qui ne fonctionne pas, dans l’espace ou sur la Lune, des gens mourront. Notre démarche permet en tout cas de mieux voir ce qui marche”, explique Sebastian Aristotelis.

Autrement dit, l’espace développe ce que les architectes nomment une “mentalité anti-toc”. Pour Karl-Johan Sorensen, les mauvaises solutions sont tout bonnement dangereuses, mais l’espace représente un autre défi : ce qu’on peut emporter de la Terre est extrêmement limité. Tout le superflu est exclu, ce qui procure une lucidité indispensable, quelle que soit la planète pour laquelle on construit des logements. “L’espace peut révéler la résistance de l’architecture et des individus au stress. Ce qui est essentiel dans un logement pour le bien-être d’une personne devient évident lorsqu’on se retrouve dans les situations les plus extrêmes. Dans le secteur du bâtiment, on évoque souvent le plaisir de construire de manière plus durable, mais dans l’espace on n’a pas le choix. On est obligé de prendre en compte l’obligation d’utiliser ce qui se trouve sur la planète et l’éventualité de devoir réutiliser ces ressources sans interruption pendant dix ans”, explique Karl-Johan Sorensen.

Une expérience unique

Sebastian Aristotelis et lui ne pouvant quitter la Terre pour tester leur base lunaire, ils ont été obligés de se mettre eux-mêmes en danger de mort en choisissant pour leur mission l’un des lieux les plus isolés et les plus extrêmes du monde. Si l’on prend en compte certains paramètres, la base devra y résister à des conditions plus extrêmes que sur la Lune. Le site de Moriusaq est d’ailleurs tellement inhospitalier que le village qui s’y trouvait a déménagé depuis longtemps. Or, si cela pouvait paraître de mauvais augure, l’absence de population sur le site a été un paramètre déterminant. Une équipe de sauveteurs peut en effet mettre deux ou trois jours pour atteindre la base lunaire, en cas d’urgence. Sur la Lune aussi, les secours seront éloignés et il faudra pouvoir résoudre tous les problèmes par radio.

“Si vous êtes dans une boîte et que vous savez qu’il vous suffit d’arrêter quand vous en avez assez, c’est trop facile”, explique Karl-Johan Sorensen. Lui et Aristotelis ont travaillé sur le projet [pendant plus d’un an], en y consacrant le plus clair de leur temps. La perspective de passer trois mois en isolement dans la petite base lunaire ne leur fait donc pas peur mais s’annonce plutôt comme un temps de respiration nécessaire dans leur quête de reconnaissance par les grands acteurs de l’industrie spatiale. “Le meilleur scénario serait évidemment qu’une partie de notre matériel s’avère vraiment efficace et qu’on puisse, par exemple, poursuivre nos travaux sur le mur végétal ou la structure en origami. Il se peut aussi que tout ce que nous avons conçu ne marche pas et qu’on doive recommencer de zéro. Quoi qu’il arrive, c’est une expérience tout à fait unique qu’il est donné de vivre à très peu d’individus”, conclut Karl-Johan Sorensen.