Par petites touches, depuis un an, le gouvernement rabote les droits à l’assurance-maladie et l’accès aux soins des personnes étrangères.
Deux régimes cohabitent : les personnes légalement présentes en France, qu’elles soient titulaires d’un titre de séjour ou en attente d’en obtenir un car demandeuses d’asile, sont couvertes, comme tout le monde, par l’assurance-maladie. Les sans-papiers bénéficient, eux, sous conditions de ressources et après trois mois de présence irrégulière en France, de l’aide médicale d’Etat (AME), une couverture dont le panier de soins est réduit.
Pour les titulaires d’un titre de séjour, la loi de finances entrée en vigueur le 1er janvier 2020 divise par deux la durée du maintien de leur assurance-maladie au-delà de la date d’expiration de ce titre, la faisant passer de douze à six mois. Cette restriction était passée plutôt inaperçue grâce à l’état d’urgence sanitaire décrété le 17 mars et qui a automatiquement prolongé de six mois la durée des titres de séjour devant expirer entre le 12 mars et le 12 juin. C’est maintenant qu’elle commence à frapper : « En pratique, 800 000 personnes sont touchées », estime Delphine Fanget, chargée de plaidoyer de Médecins du monde. « D’autant que les titres de séjour sont, eux aussi, de plus en plus courts et qu’il est très difficile d’obtenir un rendez-vous en préfecture pour leur renouvellement. On organise l’insécurité avec une politique de découragement et d’usure administrative », juge-t-elle.
Un décret en apparence très technique, daté du 30 octobre, crée un troisième délai d’expiration de l’assurance-maladie, raccourci à deux mois pour les personnes dont le titre de séjour a expiré et qui sont enjointes à quitter le territoire de manière définitive. « Le régime de couverture par l’assurance-maladie devient complexe, illisible pour les professionnels de santé », constate Didier Maille, coordinateur juridique du Comité pour la santé des exilés (Comede).
« Une usine à non-recours »
Les personnes désormais sans papiers pourraient se retourner vers l’AME créée en 1999, mais son accès a, lui aussi, été réduit et compliqué par plusieurs textes.
Il n’est plus possible, par exemple, de déposer une demande d’ouverture de droits à l’AME par Internet ou l’entremise d’une association. Le même décret du 30 octobre oblige désormais tout primo-demandeur – excepté s’il est déjà hospitalisé, s’il est mineur ou s’il consulte auprès d’une permanence d’accès aux soins de santé – à se présenter lui-même au guichet de la caisse primaire d’assurance-maladie, une démarche compliquée pour des personnes précaires, à l’hébergement instable. « On crée une usine à non-recours, où les gens qui auraient droit à l’AME ou à l’assurance-maladie sont découragés de la demander, selon Didier Maille. En période de pandémie, ce n’est pas malin de retarder des soins. »
En outre, le passage de l’assurance-maladie vers l’AME est plus difficile car certains soins dits non urgents ne sont accessibles aux titulaires de l’AME qu’après neuf mois d’affiliation.
« Le message est clair : les étrangers ne doivent pas venir se faire soigner en France, résume Didier Maille, et les réformes de l’ex-ministre de la santé, Agnès Buzyn, visent à segmenter les différents droits aux soins, à rebours du souhait de tous les gouvernements précédents de simplifier le système. Cela a aussi un impact sur les hôpitaux et les professionnels de santé, qui auront de plus en plus de mal à se faire rembourser les soins prodigués. »
Décourager la fraude et l’immigration « médicale »
Les complexités administratives ont pour but affiché de décourager la fraude, l’immigration dite médicale, et de faire des économies. Le coût global de l’AME s’élevait, en 2018, à 904 millions d’euros au bénéfice de 318 106 personnes – dont la moitié en Ile-de-France –, et à 933 millions d’euros en 2019, sans compter les 200 millions d’euros de la couverture maladie des demandeurs d’asile. Selon un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) d’octobre 2019, chaque dispositif qui referme l’accès à l’AME, en diminuant, par exemple, le panier de soins accessibles, permet certes des économies dans son budget mais fait exploser, ailleurs, la facture des soins urgents, intégralement payés par les hôpitaux avec peu de chances de les voir remboursés par la Sécurité sociale.
Ainsi, en 2011, avait été créé un droit d’entrée de 30 euros à la charge de tout bénéficiaire de l’AME, ce qui, dès l’année suivante, a certes provoqué une baisse de 2,5 % des dépenses de l’AME elle-même, « plus que compensée, note l’IGAS, par une forte hausse de 33,3 % de la dépense de soins urgents » dont l’accès est gratuit et parce que certaines pathologies s’étaient aggravées entre-temps. Ce droit de timbre a été supprimé dès août 2012, au début du quinquennat de François Hollande.
Ainsi, l’AME, outil de santé publique, et son « milliard le plus scruté de la dépense publique », selon les associations d’aide aux étrangers, reste un sujet inflammable du débat politique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire