Michel Lejoyeux, chef du service de psychiatrie de l’hôpital Bichat, décrit les conséquences de la pandémie sur le psychisme et propose des pistes pour prévenir les troubles.
Le professeur Michel Lejoyeux est chef du service de psychiatrie et addictologie de l’hôpital Bichat (AP-HP & GHU Paris psychiatrie & neurosciences). Il est l’auteur de l’ouvrage Les Quatre Temps de la renaissance (JC Lattès, 198 p., 19,90 euros), publié en octobre. Selon le psychiatre, les méthodes destinées à préserver son esprit sont devenues nécessaires.
Qu’est-ce qui vous frappe le plus dans cette épidémie ?
C’est une crise avant tout infectieuse et médicale, mais qui a été d’emblée placée sous le sceau de l’émotion, posant la question de comment s’adapter et résister psychologiquement à cette situation inédite. A l’hôpital, la psychiatrie est apparue comme un élément essentiel du dispositif, pour soutenir les équipes, ce que nous avons fait à l’Assistance publique, grâce à une hotline, mais plus largement pour participer à une réflexion sur la résistance émotionnelle. Cela me paraît assez nouveau. Lors des épidémies de grippe, il n’y a probablement jamais eu de questionnement sur ces sujets. Jusqu’ici, les méthodes pour protéger son esprit apparaissaient comme des approches de confort, elles sont devenues aujourd’hui une nécessité.
Cette nouvelle maladie est-elle une source de psychotraumatisme, comme une catastrophe naturelle ou un attentat ?
D’authentiques troubles de stress post-traumatique, qui se caractérisent par un état d’alerte permanent, des cauchemars à répétition et l’évitement des situations rappelant le traumatisme ont effectivement été décrits dans cette pandémie. Il y a eu des cas par exemple chez des soignants confrontés à une situation particulièrement douloureuse, et chez des « patients Covid », notamment après de longues semaines de réanimation. Il y a aussi des risques accrus chez des personnes qui ont été endeuillées de façon brutale ou traumatisante, et qui n’ont pu assister aux derniers instants de leur proche ou à ses obsèques.
Mais, pour la majorité des gens, cette crise et le confinement ont surtout entraîné des situations de stress aigu et pour certains chronique. Il faut bien distinguer deux populations. Tous ceux qui jusque-là allaient bien au plan psychologique, social, affectif… peuvent mobiliser des capacités de résilience. On est ici davantage dans le champ de la santé et de la prévention que du traitement. La situation est bien différente pour les individus qui avaient déjà des problèmes psychologiques ou psychiatriques et que la crise a encore plus fragilisés. Ceux-là doivent être repérés et accompagnés par des professionnels.
Je constate deux phénomènes particuliers : d’abord, un taux élevé de dépression post-infectieuse chez les malades du Covid-19. Et, par ailleurs, une augmentation des conduites addictives, avec un raisonnement du type « on est en confinement, donc il faut boire ». L’alcool est ici consommé comme anxiolytique, mais il y a d’autres moyens de gérer des émotions négatives.
Vous invitez à s’appuyer sur le passé pour mieux gérer les situations de stress.
Face à des situations angoissantes comme celles que nous vivons avec ce virus, certains essaient d’oublier en se taisant, tandis que d’autres, au contraire ne cessent d’en parler. Ces deux attitudes ne sont pas pathologiques en soi, l’important est de parvenir à être relativement en paix avec son passé pour aborder le présent et le futur.
Pour aider à digérer les stress anciens et affronter ceux à venir, je propose des techniques de thérapies comportementales et cognitives, qui ont été validées dans les états de stress post-traumatique, et que j’ai adaptées pour qu’elles soient utilisables par tout un chacun, de façon simple, dans un but de prévention. Ainsi de l’écriture expressive, dont le principe est de noter chaque jour, pendant une quinzaine de minutes, des souvenirs et les émotions qui sont associées. Recommencer plusieurs jours de suite l’exercice permet de mettre progressivement à distance des événements difficiles du passé.
Ecrire n’est pas naturel pour tout le monde. Comment faciliter le processus ?
D’abord, il faut s’aménager un vrai espace de tranquillité pour cette rencontre avec soi-même, en définissant les conditions qui nous sont les plus favorables en termes de moment de la journée, de cadre… Pour faciliter l’écriture, je conseille d’avoir recours à des mots « gâchette », qui inspirent.
Dans le même esprit que l’écriture expressive, on peut chaque jour sélectionner trois souvenirs « chauds », c’est-à-dire associés à une émotion – qu’elle soit positive ou négative – ; et mettre en face trois souvenirs « froids », qui correspondent à des moments que l’on a traversés avec une sorte de neutralité émotionnelle. S’entraîner à repérer ces différents types de souvenirs aide à mieux tolérer des émotions désagréables.
Vous faites aussi l’éloge de la nostalgie, qui serait un facteur de protection contre le stress…
Des études psychologiques menées récemment en France ont montré que les personnes nostalgiques, c’est-à-dire qui ressentent avec un peu de regret le temps passé, sont dans certaines épreuves les plus résilientes. Se reconnecter à une part ancienne de soi aide à se protéger psychologiquement quand on traverse une période difficile. C’est donc une dimension de comportement qui peut être cultivée. En tout cas, cela incite à être vigilant et à garder des traces de son passé. Cette crise n’est probablement pas un bon moment pour faire un grand ménage et se débarrasser de vieux objets.
La pandémie nous oblige à composer avec de grandes incertitudes pour le futur. Comment développer cette capacité ?
En situation normale, les personnes qui sont constamment en recherche de nouveauté, d’aventure, de sensations sont plutôt désavantagées, car elles sont souvent instables sur le plan affectif, professionnel… Sur le plan neurobiologique, c’est en rapport avec un taux élevé de dopamine dans certaines zones du cerveau, au niveau du circuit de la récompense.
En tant qu’addictologue, j’ai longtemps conseillé à mes patients d’être plutôt dans le contrôle des risques, et je ne vais évidemment pas les inciter à l’ivresse. Mais paradoxalement, il apparaît que certaines personnalités en recherche de sensations sont moins vulnérables en période de crise. Quand on a un désir d’aventure, ce que l’actualité nous impose d’incertitudes paraît moins insupportable. On peut donc, en restant raisonnable, multiplier les petites expériences de nouveauté. C’est, par exemple, essayer quelque chose dont on se dit que « ce n’est pas mon genre », dans le domaine de l’alimentation, de la lecture, de la musique… Intérioriser la nouveauté permet qu’elle devienne moins menaçante.
De même, pour s’habituer à l’incertitude, et devenir plus résilient, on peut procéder à des sortes de désensibilisation, en faisant des expériences bénignes d’incertitude. En pratique, cela consiste à se mettre dans des situations que l’on maîtrise un peu moins, comme accepter de déléguer une tâche, etc.
Vous évoquez trois facteurs majeurs pour se faire du bien en période de crise, quel est ce kit de survie ?
Il s’agit d’idées et d’activités simples qui ont été identifiées par des chercheurs du King’s College de Londres, en faisant une revue de la littérature sur l’impact psychologique des quarantaines. Le premier facteur protecteur est l’amusement et la lutte contre l’ennui : tout ce qui nous distrait contribue à la résilience. Le deuxième a trait à l’information, c’est le bon équilibre entre le refus de savoir – qui dans une maladie infectieuse comme le Covid peut être dangereux – et une consommation permanente d’informations, trop anxiogène. Enfin, le troisième élément du kit de survie est l’altruisme : en prenant soin des autres, on prend aussi soin de soi.
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