Les bouleversements induits par le Covid-19 ont causé une nette augmentation de ces troubles, selon plusieurs publications scientifiques. Les autorités et le monde médical s’inquiètent.
Anxiété, dépression, troubles du sommeil, mais aussi tentatives de suicide, stress post-traumatique… En France comme ailleurs, les indices des effets sur la santé mentale de la pandémie de Covid-19 et du confinement s’accumulent. « Nous voulons éviter une troisième vague, qui serait une vague de la santé mentale pour les jeunes et les moins jeunes », a prévenu le ministre de la santé, Olivier Véran, le 18 novembre, lors d’une visite dans les locaux d’une plate-forme d’écoute, à Paris.
La veille, s’appuyant sur des données de Santé publique France, le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, soulignait que « la crise sanitaire du Covid-19 a révélé la vulnérabilité psychique de nombreux Français », et donnait des conseils pour « prendre soin de soi ». Le monde médical tire lui aussi la sonnette d’alarme.
En matière de santé publique, les enjeux sont colossaux. « En dehors du suicide, on meurt rarement directement d’un problème de santé mentale, mais c’est une cause de mortalité prématurée, du fait de la dégradation des habitudes de vie et de l’état de santé », souligne Enguerrand du Roscoät, responsable de l’unité santé mentale à la direction de la prévention de Santé publique France.
Les troubles mentaux représentent le premier poste de dépenses du régime général de l’Assurance-maladie par pathologie (19,3 milliards d’euros), devant les cancers et les maladies cardio-vasculaires. Au total, leur coût économique et social est évalué à 109 milliards d’euros par an.
Pour l’heure, c’est la forte hausse des états dépressifs qui est au-devant de la scène. Au 12 novembre, le taux est de 21 % en population générale, soit deux fois plus que fin septembre, selon CoviPrev, une enquête nationale de Santé publique France qui interroge en ligne, à intervalles rapprochés, des échantillons indépendants de 2 000 personnes de plus de 18 ans. A titre de comparaison avec la période antérieure à l’apparition du Covid, 10 % de la population a vécu un épisode dépressif dans l’année précédente (selon la dernière enquête menée en 2017).
Prescription de médicaments psychotropes en hausse
Si un adulte sur cinq serait dépressif, d’après CoviPrev qui utilise une échelle reconnue, la proportion est plus élevée encore chez les personnes déclarant une situation financière très difficile (35 %), celles avec des antécédents de troubles psychologiques (30 %), les inactifs et CSP − (respectivement 29 % et 25 %), et les jeunes (29 % chez les 18-24 ans, 25 % chez les 25-34 ans).
« Quand l’enquête a démarré en mars, pendant le premier confinement, c’était les états anxieux qui dominaient, présents chez 27 % des personnes. Le taux de dépression était, lui, aux alentours de 20 %. Le niveau d’anxiété a rapidement baissé pendant le confinement, tout comme les états dépressifs à la sortie de celui-ci », précise Enguerrand du Roscoät. Dans le bilan du 12 novembre, le taux d’anxiété est de 20,8 %, il repart à la hausse depuis septembre mais en moindre proportion que les états dépressifs.
« La surveillance épidémiologique de la santé mentale fait appel à deux approches : d’une part des enquêtes populationnelles, de l’autre l’analyse de données sur les recours aux soins », explique Imane Khireddine-Medouni, médecin coordinatrice du programme santé mentale à la direction des maladies non transmissibles de Santé publique France. C’est ainsi que, début octobre, un rapport de l’Assurance-maladie et de l’Agence du médicament révélait une hausse notable de prescriptions de médicaments psychotropes (anxiolytiques et hypnotiques) sur le territoire pendant la période de mars à septembre.
Outre CoviPrev, Santé publique France participe à plusieurs enquêtes épidémiologiques autour de la santé mentale, sur des populations d’enfants, d’adolescents et d’adultes, avec d’autres partenaires. Parallèlement, l’agence sanitaire étudie l’évolution entre 2019 et 2020 d’indicateurs comme le nombre d’hospitalisations dans les services de psychiatrie, mais aussi les passages en services d’urgences et les hospitalisations pour tentative de suicide.
Dans ce contexte de crise sanitaire, sociale et économique, le sujet des risques suicidaires est particulièrement scruté, d’autant qu’il y a quelques signaux dans la population pédiatrique. Le service de pédopsychiatrie de l’hôpital parisien Robert-Debré a lancé une alerte après avoir enregistré récemment une nette hausse des tentatives de suicide et idées suicidaires chez les moins de 15 ans, un constat retrouvé dans d’autres endroits.
Stress accru
Chez les adultes, il n’y a pas jusqu’à présent de données en faveur d’une augmentation des tentatives de suicide en France depuis le confinement. Les résultats de recherches évaluant avec précision l’évolution de cet indicateur en 2020 par rapport aux années précédentes sont attendus au premier trimestre 2021.
Un sondage IFOP mené en septembre auprès de 2 000 personnes pour la Fondation Jean Jaurès estime toutefois que, parmi les 20 % qui ont envisagé « sérieusement » de se suicider dans leur vie, 11 % l’ont fait pendant le premier confinement et 17 % depuis la fin de celui-ci. Si ce pourcentage global de 20 % est comparable à celui de l’enquête précédente de 2016, trois catégories socioprofessionnelles ont des taux d’intention plus élevés : les dirigeants d’entreprise et les chômeurs (27 %), et les artisans-commerçants (25 %).
La vague de suicides pourrait être devant nous, estime le psychiatre Michel Debout sur le site Internet de la Fondation Jean Jaurès, dont il est membre fondateur. Il rappelle que le lien entre crises socio-économiques et risque suicidaire est connu depuis 1929, les effets suicidaires des crises se faisant en général sentir avec un délai de plusieurs mois ou années.
Des enquêtes sont aussi en cours au niveau international, telle COH-FIT qui vise à évaluer l’impact de la pandémie sur la santé physique et mentale. Elle a déjà inclus plus de 100 000 personnes, dans une quarantaine de pays. Selon les résultats préliminaires, communiqués le 10 novembre, la crise a augmenté le niveau de stress, la sensation de solitude ou de colère, en particulier chez les femmes et les jeunes : 27 % des femmes ressentent un stress accru (contre 14 % des hommes) et 23 % rapportent un sentiment de solitude plus important (contre 12 % des hommes). Un jeune sur quatre indique aussi ressentir une plus grande solitude.
Une vaste enquête menée par le Centre national de ressources et de résilience auprès des universités françaises, à laquelle ont répondu près de 70 000 étudiants, confirme leur souffrance psychologique pendant le confinement : 27,5 % déclarent un haut niveau d’anxiété, 24,7 % un stress intense, 22,4 % une détresse importante, 16,1 % une dépression sévère, et 11,4 % des idées suicidaires.
Les filles et les personnes non binaires (ne se ressentant ni homme ni femme) sont davantage touchées, précise l’article publié dans JAMA Network Open le 23 octobre. D’autres facteurs de risque, comme la précarité et les antécédents psychiatriques, ont été identifiés. Point inquiétant, seulement 12,4 % des étudiants déclarant un trouble ont consulté.
Evénement traumatisant
Quid des conséquences psychiques du Covid-19 pour les individus directement touchés par le virus ? Dans les trois mois suivant l’infection, près d’un patient sur cinq (18 %) développerait des symptômes de type anxiété et dépression, estime une étude à partir des données de santé de près de 70 millions d’Américains (The Lancet Psychiatry, 9 novembre).
Les malades atteints du Covid-19, et notamment ceux passés en réanimation, sont aussi guettés par un trouble de stress post-traumatique. Encore sous-diagnostiqué en France, ce syndrome se caractérise par de nombreux signes (cauchemars et flash-back, évitement des situations et personnes évoquant le traumatisme, état d’alerte permanent, émotions négatives…) persistant plus d’un mois après l’événement traumatisant.
« Hors Covid, une revue de la littérature a établi qu’un patient sur quatre développe un trouble de stress post-traumatique après un séjour en réanimation. Ce contexte réunit tous les facteurs de risque, à commencer par la peur de mourir, qui est à la base du trauma », résume la psychiatre Coraline Hingray (CHU de Nancy), coautrice avec Wissam El-Hage du récent Le trauma, comment s’en sortir ? (De Boeck Supérieur, 192 pages, 19,95 euros).
Pour l’heure, les données épidémiologiques spécifiques chez des malades atteints du Covid-19 sont encore peu nombreuses, mais si les proportions sont du même ordre, ce sont potentiellement des milliers de patients passés en réanimation qui pourraient être concernés en France. Face à ces risques, des professionnels plaident pour une proposition systématique de suivi psychologique à la sortie de réanimation ou de soins intensifs, un dépistage des traumas, et des enquêtes épidémiologiques.
« Un protocole national de prévention des troubles post-traumatiques, post-réanimation, toutes causes confondues, est en cours en France », indique Coraline Hingray. Elle ajoute que dans le contexte actuel, bien d’autres catégories de population sont à risque de stress post-traumatique : proches de malades décédés, soignants, femmes qui en raison du confinement se sont retrouvées exposées à des violences conjugales, et plus largement toutes les personnes avec des fragilités anciennes chez lesquelles cette crise stressante pourrait favoriser une décompensation.
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