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vendredi 27 novembre 2020

Face au changement climatique, les jeunes ressentent «beaucoup de colère» envers les adultes

Par Cécile Bourgneuf — 

Lors d'une journée de grève pour le climat, en 2019 à Sao Paulo au Brésil.

Lors d'une journée de grève pour le climat, en 2019 à Sao Paulo au Brésil. 

Photo Amanda Perobelli. Reuters

Enfants et adolescents, conscients de l'urgence climatique, sont traversés par des émotions contradictoires, qui les amènent parfois à souffrir d'éco-anxiété, comme l'explique la pédopsychiatre Laelia Benoit.

Espèces en voie de disparition, réchauffement climatique, montée des eaux… Que ressentent les enfants et les adolescents face à l’urgence climatique ? Les jeunes souffrent-ils particulièrement d’éco-anxiété, cette angoisse liée au changement climatique et aux dévastations environnementales ? Qu’est-ce qui motive leur engagement ? Les adultes fondent-ils trop d’espoir sur eux pour sauver la planète ? C’est ce que cherche à comprendre Laelia Benoit, pédopsychiatre spécialiste de l’adolescent et chercheuse associée à l’Inserm. A partir de janvier, elle dirigera pendant un an un projet de recherche à l’université américaine de Yale, aux Etats-Unis, en partenariat avec la France et le Brésil. Objectif : étudier l’impact du changement climatique sur le bien-être et la santé mentale des jeunes.

Les enfants sont désormais sensibilisés dès le plus jeune âge à la protection de la planète. Est-ce que cela les touche davantage que les adultes ?

Oui, ils ont beaucoup d’empathie pour la nature et ils sont davantage en accord avec eux-mêmes. Les enfants demandent de la cohérence : s’il y a urgence, pourquoi ne pas agir immédiatement ? Contrairement aux adultes qui supportent mieux la dissonance cognitive (ils arrivent à se scinder en deux entre un idéal et le quotidien), les enfants sont mal à l’aise avec ce décalage entre ce qu’ils font et ce qu’il faudrait faire. Ils peuvent avoir l’impression de vivre comme dans un film, déconnectés, d’être spectateurs de quelque chose qui leur paraît fou. Les jeunes sont conscients du changement climatique et ils demandent aux adultes d’assumer leurs responsabilités.

Que ressentent-ils justement par rapport à leurs parents sur cette question ?

Beaucoup de colère par rapport au fait que les adultes n’ont rien fait pour diminuer leur empreinte carbone. Il y a donc un conflit de générations. Cette émotion-là doit sortir, ne pas être taboue et les adultes doivent l’entendre. Les jeunes doivent pouvoir traverser ces émotions négatives pour les dépasser et arriver à faire quelque chose de constructif.

Sont-ils particulièrement touchés par l’éco-anxiété ?

Aujourd’hui, on ne sait pas quelle est l’ampleur de ce phénomène. On ne sait pas exactement quels adolescents en souffrent en particulier, si ce sont des jeunes qui vont déjà mal pour d’autres raisons ou si ce sont des ados qui sont tellement inquiets de l’avenir qu’ils en viennent à développer une éco-anxiété. Cette angoisse peut se traduire par des troubles du sommeil, une anxiété permanente, de la tristesse, un sentiment de honte ou de culpabilité… La crainte d’un effondrement environnemental peut conduire à une perte du sens de leur quotidien. Ils peuvent alors avoir du mal à grandir, à évoluer dans leur vie à cause de cela.

Que faut-il faire pour ne pas trop les affoler ?

Per Espen Stoknes, un député écologiste norvégien qui est aussi psychologue, explique que des décennies de communication sur le changement climatique ont été gâchées par des informations alarmistes sans proposition de solution. A cause de cela, certaines personnes se sont retrouvées paralysées par l’inquiétude. Il ne faut donc pas refaire les mêmes erreurs avec les nouvelles générations.

Les plus jeunes respectent-ils pour autant davantage l’environnement ?

Pas forcément. On fait un raccourci en croyant que cette sensibilisation les amène d’emblée à adopter les bonnes habitudes. C’est trop attendre d’eux ! Ils sont, comme les adultes, soumis à d’autres pressions de la société de consommation, du lobbying. Ce n’est pas parce qu’on éveille les jeunes à l’écologie que leurs habitudes vont automatiquement changer, il y a d’autres forces qui les influencent.

On fonde beaucoup d’espoir sur leur engagement écologique. Est-ce que ce n’est pas trop leur mettre la pression ?

C’est ce qu’on va explorer dans notre étude. Cette pression-là existe. C’est comme si on passait le flambeau en leur disant que c’est à eux de gérer alors qu’à leur âge, c’est normal de ne pas être encore autonome. Si, en tant qu’adulte, on alterne entre de la fascination pour des jeunes militants très engagés et du dénigrement pour d’autres parce qu’ils veulent un smartphone après s’être intéressés à l’écologie la veille, alors on ne prend pas notre responsabilité d’adulte.

C’est à nous d’aller les chercher là où ils en sont et de leur donner les outils qui leur manquent à leur âge pour être structurés, s’organiser et pour les aider à persévérer dans leur engagement. Lorsqu’ils apprennent des savoirs sur l’écologie, les enfants et les ados ont en plus la capacité à faire changer les habitudes de leurs parents. Donc on peut compter sur les jeunes pour bousculer les adultes et faire évoluer leurs petites habitudes, mais n’oublions pas que les adolescents ont besoin d’être soutenus sur la durée pour mener des actions d’ampleur.


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