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Nathalie a dédié trois pièces de sa maison aux Playmobil.
Photo Camille McOuat pour Libération
Lego, Playmobil ou trains électriques… De grands nostalgiques continuent de s’amuser passés 30 ans. Plus tatillons que les enfants, ils se réapproprient ces jeux, malgré les préjugés.
Philippe, 49 ans, électricien en bâtiment, a enfin réalisé son «rêve d’enfant» : avoir le fort western Playmobil. Avec sa femme, Christelle, ils ont commencé leur collection pendant le premier confinement et ont depuis dépensé «autour de 3 000 euros» en figurines à Stetson et saloons en plastique. Ils jouaient déjà aux «Playmo» avec leur fils quand il avait 3 ans. Mais aujourd’hui, c’est la mise en scène qui les intéresse. Chez Marie-Noëlle Michon, c’est ambiance Lego. Son dada, c’est la collection Fabuland, petites briques à tête d’animaux de la décennie 80. La Nantaise de 45 ans l’a ressortie à la naissance de son premier fils, aujourd’hui âgé de 17 ans. Lui aussi se revendique fièrement «Afol» - acronyme d’Adult Fan of Lego. Ils sont également des «MOCeurs» (pour My Own Creation) : ceux qui imaginent leurs propres maquettes. Pour Marie-Noëlle, «légoter», c’est tout autant «s’amuser, se détendre, se vider la tête», que «s’exprimer à travers [s]es créations et contrôler [s] on hypersensibilité». Et, accessoirement, «apporter du rêve» à ceux qui viennent admirer son œuvre lors d’expositions, sortes de grandes cours de récréation où se tissent des amitiés durables.
On distingue plusieurs profils, qui peuvent se recouper : le collectionneur businessman qui achète sans jamais sortir ses trouvailles de leurs boîtes, pour les vendre quand elles auront pris de la valeur. Le collectionneur passionné aime, lui, contempler les objets qu’il a entreposés, voire mis en scène. Il devient alors «dioramiste», appellation qui découle des dioramas, ces grands tableaux animés par des lumières et particulièrement populaires au XIXe siècle. Le dioramiste cherche moins l’authenticité d’une collection qu’à donner vie à tout son monde miniature, quitte à mélanger les thèmes et les époques et à customiser ses objets au pinceau. «On ne joue pas à déplacer un personnage et à faire rouler un train en criant "tchoutchou" !» ironise Lucien Decombard, Dijonnais de 43 ans. Quand un enfant papillonne d’une bricole à l’autre et mélange les styles, ce collectionneur et dioramiste Playmobil recherche «la cohérence» et le travail «abouti». Il s’en tient à un seul thème, intitulé «1900», en référence à l’époque victorienne qui le fascine depuis l’enfance. Régressif ? «Parfois on a besoin de retrouver des choses de son enfance pour se construire», médite-t-il.
Caverne d’Ali Baba
Comme Marie-Noëlle, l’opérateur dans une usine automobile s’y est remis à la naissance de son garçon, il y a une quinzaine d’années. «Lui n’a pas accroché, il était plutôt Lego», sourit-il. Tant pis, le père poursuit sans son fils… qui le trouve un peu gamin. L’intéressé, qui alerte sur l’impact chronophage de cette passion pour la vie de famille, avec des risques de divorce, dit rester raisonnable : «Ce n’est que du plastique, il faut se mettre des limites dans la dépense.» Pas dans l’espace dédié, en revanche : Lucien Decombard a viré sa voiture du garage qui sert maintenant à entreposer ses jouets…
Nathalie, Parisienne de 47 ans, compte 30 m2 de Playmo. «Mais ce n’est pas beaucoup par rapport à certains "collègues"», plaide-t-elle. Deux pièces de sa maison sont dédiées au stockage ; une autre à ses dioramas. Difficile de se rappeler tout ce que contient sa caverne d’Ali Baba, si bien que parfois, elle finit par acheter en double, voire en triple. «Mais je suis incapable de m’en séparer, car je me dis que ça peut toujours servir. Donc j’accumule, j’accumule», sourit l’ex-formatrice en informatique. «C’est une quête personnelle, artistique, plutôt qu’un retour en enfance», assure-t-elle. Son divertissement est «plus ou moins bien perçu, mais le plaisir qu’on éprouve dépasse les petites remarques».
Car les préjugés restent forts. «Souvent, les adultes ont une vision négative du jeu, considéré comme une chose non productive», pointe Guillaume Heslot, animateur à Nîmes d’un centre Kapla, du nom de ce jeu qui consiste à construire figures et bâtiments avec des planchettes en bois. Quand il invite les parents à se joindre aux enfants, ils refusent d’abord… puis se laissent tenter, dit-il. «Et à mesure que le jeu avance, ils sont plus investis que leurs enfants.»
Un jouet est même devenu aujourd’hui l’apanage des adultes : le train électrique. Jean-Christophe Simonet, passionné de 55 ans et «l’un des plus jeunes à "faire du train"», fait l’historique : «Il a été délaissé à partir des années 80 au profit des jeux vidéo, pour devenir un objet de collection qui peut se revendre dans les 300 euros.» Enfant, Jean-Christophe Simonet aimait coller le nez à la vitrine de la boutique de jouets proche de chez lui. Il reçoit son premier train à 10 ans. Jeune adulte, l’ingénieur spécialisé dans les sons et lumières passe à autre chose, jusqu’au jour où sa fille de 5 ans découvre ses trésors dans le grenier. Ils y jouent ensemble, et lorsque, ado, elle quitte la partie, le père continue à tracer sa route.
Après quarante ans de collecte, il recense dans son hangar de 400 m2 plus de 1 000 locomotives et à peu près 3 000 wagons. «Je n’ai jamais vraiment compté !» De quoi l’occuper deux à quatre heures par jour, surtout l’hiver et pendant le confinement. «C’est mon défouloir. J’aime me caler sur une époque, créer dans le moindre détail toute une atmosphère avec les bâtiments, les personnages… On s’isole dans notre monde, on est bien. C’est viscéral, c’est un truc qu’on n’explique pas.» Le verbe «jouer» lui convient parfaitement : «C’est le même plaisir qu’enfant, je joue au train comme un gamin. Je change les locomotives, je les entretiens. Le regard et les gestes n’ont pas changé.»
Face à l’engouement de ces nostalgiques, l’industrie du jeu a flairé une manne financière. Dès 1999, Lego lance une collection pour les fans de Star Wars, qui s’étoffe d’année en année. En 2012, le fabricant de briques danois s’adresse aux aficionados de la série Friends. Ce samedi, il sort un Colisée romain de 9 036 pièces, destiné aux «18 +». «Jamais un gamin n’aurait la patience de le construire», estime Jérôme Weiss, Afol de 30 ans et automaticien à la centrale de Flamanville, qui s’aide parfois d’un logiciel de modélisation 3D Lego pour élaborer ses constructions.
Positions du kamasutra
Les adultes s’approprient également les jeux enfantins. «Pour le Qui est-ce, ils décident par exemple d’interdire de poser des questions objectives. On ne demande donc pas "Mon personnage est-il blond ?" mais "Est-ce que je sortirais en boîte de nuit avec lui ?"» illustre Xavier Berret, gérant de deux bars ludiques rennais l’Heure du jeu. Pour attirer plus facilement les adultes, il arrive que les fabricants adaptent le design : les cartes d’un jeu affichent des jolies coccinelles pour les enfants… et des positions du Kamasutra pour leurs parents. Le jeu à double niveau stratégique permet, lui, de réunir petits et grands sans modifier consignes, ni dessin. Là, c’est l’état d’esprit qui change. «Avec l’enfant, on va coopérer. Entre adultes, on sera plus filous», résume Xavier Berret, qui cite le jeu tiré du livre faussement naïf le Petit Prince. Ou les jeux d’équilibre : «Quand ça tombe, ça fait rire quel que soit l’âge ! C’est trivial mais ça marche !»
Julien «Night» Caillaux, animateur du Bar à jeux Barjo à Bordeaux, estime que «tu peux te taper une barre de rire avec tout et n’importe quoi». Et n’importe qui : «Il y a des grands-parents complètement fous !» rigole ce «grand gamin» autoproclamé de 30 ans. Il rappelle néanmoins les vertus quasi citoyennes du jeu, qui «repose surtout sur l’envie d’apprendre les règles et de savoir les écouter». Xavier Berret assure, lui, que jouer peut aider à lutter contre la maladie d’Alzheimer ou des troubles autistiques. Le jeu ne manque pas d’enjeux, en somme, et s’y adonner «passé l’âge» peut constituer un atout.
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