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mardi 27 octobre 2020

Une « Origine du monde » préhistorique à Fontainebleau


 






Dans un abri en grès, un aménagement hydraulique a été en partie créé par l’homme et daterait du paléolithique supérieur.

Par  Publié le 26 octobre 2020

Les trois profondes entailles, en partie créées par l’homme au paléolithique supérieur, entourées de deux chevaux.

Entre Nemours et Etampes, les passionnés d’escalade se mesurent aux fameux rochers de la forêt de Fontainebleau. Il y a bien des millénaires, ces chaos de grès, qui surgissaient d’une froide mer de sable sans arbres, attiraient nos lointains ancêtres pour une autre activité : la gravure. Aujourd’hui, dans le secteur, on ne référence pas moins de deux mille abris-sous-roche gardant la trace, inscrite dans la pierre, des humains de la préhistoire. La plupart de ces gravures datent du mésolithique, il y a 9 000 ans, œuvres de ceux qui furent les derniers chasseurs-cueilleurs du territoire. On n’y voit que des figures géométriques, des alignements de traits, des quadrillages, encore des traits…

Pourtant, au milieu de cette répétition un peu lassante, il existe une exception figurative, bien plus ancienne, laissée par les ancêtres de ces ancêtres. C’est un lourd bloc de grès au cœur duquel deux minces boyaux naturels et parallèles se sont creusés. On pénètre dans celui du bas en rampant et, tout de suite à gauche de l’entrée, la paroi forme un petit panneau où deux chevaux, l’un fort érodé, l’autre nettement plus complet, encadrent une intrigante figure composée de seulement trois profondes entailles qui évoquent un pubis de femme avec une vulve au centre et peuvent se traduire par trois caractères typographiques : \I/

Sur le côté droit du panneau, une fissure naturelle de la roche a été agrandie, de manière à évoquer une hanche et le haut d’une cuisse. A gauche, la bifurcation de la paroi, qui oblique vers l’entrée, joue le même rôle. Pour peu que l’on prenne du recul – difficile quand on est à quatre pattes dans une galerie étroite – apparaît une espèce d’Origine du monde en version préhistorique, minimaliste.

Hasard et mauvais temps

Il n’y a pas de moyen de connaître l’âge de la gravure par des méthodes instrumentales, mais ce n’est pas nécessaire, explique Boris Valentin, professeur d’archéologie préhistorique à l’université Paris-I : « Dans ses disproportions et son mode de traitement, le cheval complet a toutes les caractéristiques stylistiques de ce que l’on peut voir en Dordogne à Lascaux ou dans la grotte gravée de Gabillou. » Qui dit « école de Lascaux », pour reprendre l’expression légère de Boris Valentin, dit paléolithique supérieur et une représentation vieille de plus de vingt millénaires.

« Après de fortes pluies, je suis passé à l’abri. La “fente vulvaire” coulait » 

Ce panneau gravé est connu depuis longtemps, mais la science a ceci de beau qu’elle ne cesse de réexaminer ses objets. La gravure gardait un secret et sa découverte doit un peu au hasard et au mauvais temps, comme le raconte le géologue Médard Thiry, ancien chercheur à l’Ecole des mines, qui a apporté sa connaissance intime des grès de Fontainebleau en cadeau aux archéologues : « Le 23 janvier 2018, après les pluies qui avaient provoqué la crue de la Seine, je suis passé à l’abri. La “fente vulvaire” coulait. C’était vraiment prenant et, à partir de là, j’ai cherché à comprendre si on pouvait aussi provoquer cet écoulement à la demande. »


Comment ? Médard Thiry avait sa petite idée. Il avait remarqué que, dans le boyau supérieur de l’abri, qui court parallèlement au premier mais plus haut, une dizaine de centimètres derrière la paroi gravée, se trouvaient deux dépressions de la roche. Deux vasques naturelles où s’accumule l’eau de pluie qui entre dans la galerie.

« On a changé la géométrie d’une de ces vasques pour l’approfondir, pour libérer et probablement élargir des fentes de la roche en contrebas », note Médard Thiry. Le géologue et une équipe d’archéologues ont minutieusement analysé jusqu’aux plus infimes des fissures du site, ainsi que les traits profonds qui figurent les deux côtés du « pubis ». Ceux-ci ont clairement été creusés par une ou plusieurs mains humaines et de petites traces de poinçonnement et d’enlèvement indiquent encore qu’on a percuté la roche pour élargir les deux traits latéraux. Le but ? Conduire vers la fente centrale l’eau infiltrée dans le grès poreux.

Pour le prouver, les chercheurs ont réalisé eux-mêmes l’expérience, que décrit une étude publiée dans le numéro d’octobre du Journal of Archaeological Science : ReportsPendant une semaine, un dispositif assez simple de réservoir et de vanne a alimenté la vasque en eau, y maintenant automatiquement un niveau constant au fur et à mesure que le liquide pénétrait dans la roche. « L’eau ne voyage pas comme ça dans le grès, précise Médard Thiry. Il faut attendre que tous les pores de la roche soient saturés et, à ce moment-là seulement, elle descend et se concentre sur la partie inférieure. Lors de notre expérience, nous avons utilisé une cinquantaine de litres d’eau et, au bout de deux jours et demi, la fente vulvaire coulait… »

Aménagement hydraulique

Ce n’est pas la première fois que des représentations préhistoriques sont associées à l’eau. Dans des grottes du Quercy, le spécialiste de l’art préhistorique Michel Lorblanchet a ainsi montré quelques cas où les images sont inscrites autour de résurgences souterraines, notamment un poisson de la bouche duquel s’écoule une fontaine dans la grotte de Pergouset (Lot). « Dans ces exemples, on a organisé la décoration autour de l’eau existante, souligne Médard Thiry. Mais il n’y a pas eu d’aménagement pour diriger l’eau vers un endroit précis. Nous décrivons pour la première fois un aménagement hydraulique sophistiqué au paléolithique, qui fait fonctionner une mise en scène. »

N’ayant pas les préventions des archéologues qui ne se risquent guère à proposer des interprétations des œuvres pariétales, le géologue perçoit dans ce dispositif une représentation de la maternité. Avec le plafond convexe qui surplombe le pubis, la femme serait donc enceinte et l’écoulement figurerait la perte des eaux avant l’accouchement. Mais y a-t-il seulement une femme, s’interroge-t-on avec un brin de scepticisme ? Ne projette-t-on pas sur ces fentes un fantasme ?

Pour Boris Valentin, le doute n’est pas vraiment permis : « Au paléolithique, il y a énormément de représentations gravées, sculptées et peintes de la femme et du sexe féminin, par exemple dans la salle du Fond de la grotte Chauvet. Au Roc-aux-Sorciers, dans la Vienne, on a aussi trois femmes – une étant manifestement enceinte – dont on ne voit que le ventre, le pubis et le début des jambes. »


Dans la forêt de Fontainebleau, il sera impossible de démontrer avec une absolue certitude l’usage qui a été fait de cet abri aux chevaux, mais, insiste Boris Valentin, « le fait qu’on puisse forcer l’écoulement, que le système puisse conduire l’eau, c’est déjà une information énorme par rapport à l’état des connaissances sur les relations entre l’eau et l’art pariétal ».




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