«Celui qui trahit l’amour / Que Dieu le frappe à son tour / Que le vent et la poussière / Soient son lot sur cette terre» : la voix de la chanteuse roumaine Maria Tanase étend les syllabes de sa malédiction d’amour sur le travelling urbain du générique de Prendre place. Il existe, il survit, il revit, le cinéma qui ne trahit pas l’amour. Entre 2013 et 2018, avec quelques habitants d’un bidonville de La Courneuve, le «platz du Samaritain» - expulsé et détruit en 2015, non sans résistance, et sans solutions de relogement -, Jérémy Gravayat a fabriqué un très beau film. Son titre original en roumain, A Lua Platz, pourrait se traduire «prendre platz», mais si le point de départ de son trajet est bien la lutte des habitants contre la disparition du platz de la rue Pascal, le film va dans toutes les directions qui s’offrent à lui, dans l’espace et dans le temps, pour rendre compte des vies de ceux qu’ils filment, c’est-à-dire prendre position et place à leur côté.
Traces
Enregistrer les récits des habitants du platz, ce sera donc aussi repartir en arrière, ce sera aussi aller de l’avant. «Quand la caméra s’arrête, ma tête se remplit de souvenirs. Mais dès qu’elle s’allume, on dirait qu’ils s’envolent. Je ne sais plus de quoi me souvenir», commence au noir la voix de Cristian Damian, avant qu’apparaisse son image, son corps qui se souviendra de tout.
Cartographie de l’oubli et de la mémoire, constellation de la nostalgie et de l’action, le film ira en Roumanie sur les traces, passées, futures et rêvées, de plusieurs de ses personnages, avec Iulian ou Florica, comme il ira, dans les rues du 9-3, nous livrer, par une nuit d’urgence, un précis filmique d’ouverture de squat. Prendre place est fait de ces éléments divers (images, sons, récits, sentiments) comme de choses trouvées, retrouvées, oubliées - mais aussi inventées, provoquées, conquises, et même obtenues de haute lutte.
Oubli
Prendre place de Jérémy Gravayat (1 h 32). En libre accès sur Arte.tv jusqu’au 17 décembre.
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