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lundi 26 octobre 2020

Covid-19 : il serait temps de changer de test de dépistage …

Publié le 16/10/2020

Le dépistage de la Covid-19 s’inspire de la démarche adoptée en clinique face à des maladies le plus souvent chroniques dans des situations qui n’ont rien à voir avec celle de la pandémie actuelle (1). Il est temps de changer de braquets si tant est que l’on veuille ou puisse appliquer le mantra: “tester, tracer, isoler “à l’échelon de la population, en supposant qu’il soit ainsi possible de terrasser un dragon qui a plus d’un tour dans son sac à dos…

Une stratégie inadaptée

La stratégie actuelle n’est pas adaptée à un dépistage de masse : c’est le type de stratégie adoptée pour le diagnostic positif d’une maladie dans les conditions de la pratique médicale courante et non de l’urgence sanitaire actuelle. Elle exige des performances élevées et repose volontiers sur la prévalence ou la probabilité a priori de l’affection selon une approche bayesienne qui a fait les belles heures du diagnostic positif de la maladie coronarienne… En gros, il est besoin dans ce contexte, d’un test diagnostique fiable et précis qui sera réalisé le plus souvent une seule fois avec une réponse qui va dicter le reste de la stratégie diagnostique en fonction de la probabilité a posteriori de la maladie, le coût et la rapidité du résultat n’étant pas forcément des nécessités absolues, même si ces facteurs ne sont pas à négliger (1).

En général, ce test n’est pas répété notamment à court terme et il n’a aucun impact ni direct ni immédiat sur le reste de la collectivité, étant entendu que la maladie n’est pas contagieuse: c’est le B A-BA des approches diagnostiques courantes en médecine, même s’il existe des exceptions notoires qu’il est hors de propos de détailler.

Face à une épidémie comme celle de Covid-19, comment peut-on appliquer froidement des stratégies diagnostiques similaires? C’est ignorer les règles élémentaires du dépistage face à une maladie aussi contagieuse mais c’est aussi composer avec l’absence de moyens diagnostiques, du moins leur extrême rareté.

Le test idéal, un mouton à cinq pattes

L’idéal serait de pouvoir disposer d’un test rapide, simple, peu ou non invasif, efficace, peu coûteux, répétable à l’envi dont les résultats seraient immédiats, ou à défaut obtenus dans les plus brefs délais, ni en jours ni en heures, mais en minutes… ce qui a des airs de mouton à cinq pattes, voire à six si l’on ajoute l’impératif de pouvoir le fabriquer en grandes quantités en peu de temps: plusieurs millions par jour ou semaine sans manquer de réactifs, par exemple… A noter que la sensibilité n’a pas besoin d’être excessive:le but n’est pas d’identifier la moindre fragment d’ARN, mais de repérer les patients les plus contagieux, ceux dont la PCR est positive à un seuil qui est de l’ordre de 35 cycles (Ct) nécessaires pour rendre l’ARN détectable: la charge virale est en effet inversement corrélée au nombre de cycles de détection (1). Au-dessus de 40, la PCR est considérée comme négative, mais entre 25 et 40, il s’agit souvent d’une zone grise qui devrait nécessiter un nouveau test pour en sortir, sauf en cas de maladie avérée ou de risque élevé de contamination…

Pourquoi la RT-PCR laisse à désirer

La RT-PCR telle qu’elle est utilisée actuellement répond-elle aux exigences précédents? Les évènements les plus récents démontrent tout le contraire. Dans le meilleur des cas, le résultat est obtenu en 24 heures et, dans les pires, c’est en jours que le délai se mesure, parfois cinq voire sept quand les laboratoires sont débordés par une demande devenue exorbitante: dans ces conditions, il y a belle lurette que le patient n’est plus contagieux ou que le virus a infecté d’autres sujets… (1). Le coût du test reste élevé et il n’est pas aisé de le répéter, même si cela est faisable pour peu que l’intendance suive. Le rapport coût/bénéfice des récentes opérations de dépistage à l’échelon national n’est ni plus ni moins que médiocre.

Quant à l’interprétation, elle reste des plus empiriques, voire aléatoire dans de nombreux cas. Avec une sensibilité de 70 % et une spécificité de 99 % (mais estimées dans quelles conditions?), selon les sources les plus récentes, il n’est pas facile de tenir compte de la probabilité a priori de la maladie ou du fait d’être contagieux pour évaluer la valeur prédictive du test, d’autant qu’il s’adresse à des sujets qui peuvent être peu ou pas symptomatiques et qu’il n’existe aucun diagramme intégrant tous les facteurs intervenant dans la contagiosité d’un individu : c’est de cela qu’il s’agit et non du diagnostic positif de la maladie quand il n’y a plus de virus à transmettre.

Bref, l’usage actuel de la RT-PCR dans le dépistage et le diagnostic de la Covid-19 laisse largement à désirer. Elle ne possède pas les atouts nécessaires au filtrage des cas contagieux et de facto à la protection des sujets non infectés mais exposés à un virus qui circule activement (1). Car c’est d’un filtre destiné à protéger la collectivité dont il est besoin, pas seulement d’un test diagnostique. Il faut repérer les individus et les isoler pendant qu’ils sont contagieux, ni avant ni après et la RT-PCR ne répond pas à cette attente dans les conditions d’utilisation actuelles qui consomment trop de temps et d’énergie pour un rendement médiocre (1).

Peut-on faire mieux ?

Oui : si l’on utilise d’autres tests plus adaptés à la situation actuelle et au cahier des charges inhérent aux principes du dépistage de masse. Les tests salivaires sont un pis-aller car ils reposent sur la RT-PCR avec les limites que l’on sait. Les tests sérologiques rapides ne sont pas à la hauteur des enjeux immédiats du dépistage et du filtrage nécessaire.

D’une manière générale il est préférable d’éviter les tests en laboratoire qui nécessitent une amplification des signaux moléculaires. C’est là qu’interviennent les tests qui peuvent détecter qualitativement et rapidement la présence du virus, sa signature antigénique sans qu’il soit besoin de la multiplier par PCR tout au moins en passant par un laboratoire de biologie médicale. L’amplification du signal est concevable pour peu qu’elle soit réalisée dans un dispositif ad hoc totalement déconnecté d’un laboratoire central pour gagner du temps.

Le Covid Nudge testé outre-manche

Les candidats sont encore rares: il en est un britannique, le Covid Nudge test (2) qui s’est attiré les faveurs du NHS (National Health System) : les résultats sont obtenus en 90 minutes à partir d’un dispositif miniaturisé inspiré du smartphone et basé sur l’analyse par RT-PCR réalisée in situ sur un prélèvement nasopharyngé sans qu’il soit besoin de transiter par un laboratoire. Tout se déroule dans ce petit bijou électronique qui se répand dans les hôpitaux britanniques depuis septembre 2020 avec la bénédiction du NHS. “Le test CovidNudge semble avoir la plupart des qualités requises pour le diagnostic positif de la Covid-19 sans recourir à un laboratoire: possibilité de traiter les échantillons secs sans manipulation superflue, performances diagnostiques identiques –ou peu s’en faut- à celles de la RT-PCR, rapidité de la réponse (< 90 minutes). Le test peut en théorie être réalisé en n’importe quel POC (point of care) et les appareils ont été mis à disposition de la plupart des hôpitaux britanniques dès le mois de mai 2020. Près de six millions de kits auraient été distribués en septembre de la même année au sein des établissements du NHS. Une aventure nationale qui mérite d’être suivie de près…(2).

SHERLOCK : pas si élémentaire mais prometteur

D’autres candidats s’affranchissent totalement de la RT-PCR: SHERLOCK (Specific High-sensitivity Enzymatic Reporter unLOCKing) (3) qui a été récemment évoqué dans le JIM en fait partie.

Ce test fait appel à la technique d’édition du génome CRISPR (clustered regularly interspaced short palindromic repeats) dite « des ciseaux moléculaires ». SHERLOCK dans sa version simplifiée STOPCovid.v2 se présente donc comme une alternative à la RT-PCR avec des avantages au moins théoriques en termes de simplicité (relative) et de coût. Par ailleurs, les résultats sont obtenus en moins d’une heure ce qui fait de ce test un candidat idéal pour le traçage des patients et explique sa dénomination STOPCovid, quelle que soit sa version : encore faut-il que la méthode soit validée sur une plus grande échelle avant d’être adoptée par des plates-formes dotées de tous les outils de la biologie moléculaire dans les pays qui en ont les moyens. C’est à la fois un défi et une autre histoire… d’autant que l’amplification génique reste un préalable nécessaire à la détection du virus. SHERLOCK à la recherche des cas contacts ? Une éventualité qui se dessine mais qui nécessite encore du peaufinage ce à quoi s’emploient d’ailleurs les auteurs…” (3).

Jouer la carte de la BinaxNOWTM COVID-19 Ag CARD

Il ne faudrait pas oublier un autre candidat qui, pour sa part, a les faveurs de la FDA (1) : il s’agit d’un kit développé par la société Abbott, lequel repose, lui aussi sur la technique d’édition du génome couplée à une réaction immunochromatographique. Il s’agit de la BinaxNOWTM COVID-19 Ag CARD développée aux Etats-Unis dans le cadre de l’équivalent de notre ATU (autorisation temporaire d’utilisation) dénommée EUA (Emergency Use Authorization). Cette carte a en théorie tous les atouts: faible coût (5 dollars l’unité), autonomie (le résultat ne passant pas par un laboratoire), rapidité (15 minutes), résultat fiable (sensibilité de 93 % et spécificité de 95 % sur plus de 300 échantillons), possibilité de fabriquer plusieurs dizaines de millions de tests par semaine…

Cette technique de dosage de l’antigène nucléocapsidique viral dite par flux latéral qui n’est pas nouvelle exige néanmoins un prélèvement nasopharyngé de bonne qualité et, de ce fait, l’intervention d’un personnel qualifié. Si elle détecte la présence du virus avec une sensibilité très inférieure (cent fois moins voire plus… ) à celle de la PCR, ce n’est en soi pas une limite puisque le but est de repérer les patients infectants et non de compter les fragments d’ARN dans un prélèvement… Le marquage CE de ce test a été obtenu le 9 septembre 2020 sous le nom de PanbioTM Covid-19 Aget il semble que sa diffusion soit envisagée en Europe y compris en France sans qu’aucune date ne soit encore avancée.

Il faut du temps pour les tests rapides !

L’attitude de la FDA à l’égard de la BinaxNOWTM COVID-19 Ag CARD est un premier pas dans la bonne direction mais la partie n’est pas gagnée pour autant: les tests de dépistage rapide dont il est question ont besoin de temps et de moyens pour être validés et développés à l’échelle d’une nation en toute confiance et sécurité à un moment où l’urgence sanitaire incite à utiliser l’existant plutôt qu’à favoriser l’avenant, à moins d’une prise de conscience d’autorités sanitaires surfant sur une corde raide. Le marquage CE du test est en soi une bonne nouvelle qui laisse augurer de son développement peut-être rapide en Europe, voire en France avec des atouts indéniables.

Si tel était le cas, il deviendrait possible d’imaginer des stratégies diagnostiques combinant tests antigéniques rapides (notamment le plus avancé et a priori le plus pratique : PanbioTMCovid 19 Ag) et conventionnels pour optimiser le dépistage et briser les chaînes de transmission dans la mesure du possible face à un ennemi qui ne manque pas de ressources contre toutes les barrières qui lui sont imposées…
 

Dr Philippe Tellier

RÉFÉRENCES
(1) Mina MJ et coll. Rethinking Covid-19 Test Sensitivity — A Strategy for Containment. N Eng J Med., 2020 ; publication avancée en ligne le 30 septembre. DOI: 10.1056/NEJMp2025631.
(2) Tellier P. A la rencontre d’un nouveau type de test diagnostique pour la Covid-19. Jim (29 septembre 2020). Gibani MM et coll. Assessing a novel, lab-free, point-of-care test for SARS-CoV-2(CovidNudge): a diagnostic accuracy study. Réf:Lancet Microbe, 2020 ; publication avancée en ligne le 17 septembre.doi.org/10.1016/ S2666-5247(20)30121-X.
(3) Stratford P. SHERLOCK à la recherche du SARS-CoV-2, c’est devenu élémentaire! Jim (23 septembre 2020). Réf: Joung J et coll. Detection of SARS-CoV-2 with SHERLOCK One-Pot Testing. N Engl J Med 2020 (16 septembre: publication avancée en ligne. DOI: 10.1056/NEJMc2026172.


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