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mardi 27 octobre 2020

Bébés secoués : « La fuite en avant dans la judiciarisation ne protège aucun enfant »

Le 27 octobre 2020
 




Tribune La littérature scientique sur laquelle s’est fondée la Haute Autorité de santé pour ses recommandations est de mauvaise qualité, déplore un collectif de scientiques 

 Médecins et scientiques d’horizons divers, notre point commun est de nous être intéressés à une aection rare et méconnue : le syndrome dit « du bébé secoué » (SBS). Nous ne parlons pas ici des actes criminels durant lesquels des nourrissons sont violemment secoués et gravement blessés. Nous parlons plutôt de l’idée selon laquelle les hémorragies cérébrales (hématome sous-dural) et rétiniennes du nourrisson résultent avec « certitude » d’un secouement violent. Ce critère diagnostique est promu par la Haute Autorité de santé (HAS), qui formule des recommandations pour les professionnels de santé. Mais, dans le cas du SBS, l’analyse discutable de données incertaines l’a conduite à cette idée controversée et abandonnée dans certains pays. Les surdiagnostics ont de lourdes conséquences judiciaires : retrait des enfants à leurs familles, poursuites pénales, incarcérations. L’association de familles Adikia et son avocat, M Etrillard, ont d’ailleurs récemment demandé l’abrogation de ces recommandations.

 

En tant que scientiques, experts judiciaires, ou témoins sollicités par la défense, nous examinons les dossiers et questionnons les preuves diagnostiques. Des causes alternatives accidentelles ou naturelles des lésions du SBS sont régulièrement occultées par les autorités médico-judiciaires. Dans certaines aaires, la justice valide nos conclusions et disculpe les accusés de toute maltraitance. 

D’autres pays se sont questionnés avant nous. En Belgique, en Suède, au Royaume-Uni, au Canada, au Japon, des scientiques, des institutions médicales, des Cours suprêmes ont mis en garde contre l’identication trop simpliste du SBS, et des condamnations sont annulées. En 2016, l’homologue suédois de la HAS a démontré la faible qualité des marqueurs diagnostiques du SBS qui constituent pourtant des preuves irréfutables en France. 

L’analyse de dossiers de patients et de la littérature médicale nous a conduits au même constat alarmant. Comme détaillé dans un ouvrage médical récemment paru, nous relevons des lacunes méthodologiques, des citations biaisées, des généralisations abusives, des manquements aux lois de la physique, des erreurs statistiques. 

Aberrations médico-scientiques 

L’anatomie, la physiologie et les pathologies neurologiques du nourrisson sont complexes et encore mal connues, a fortiori pour des experts judiciaires en maltraitance mais pas en neurologie pédiatrique. Les fragilités liées à l’immaturité des membranes méningées, aux coagulopathies, infections, anomalies du tissu conjonctif sont ignorées. Le mythe selon lequel une chute de faible hauteur d’un nourrisson ne cause quasi jamais de lésions cérébrales graves ou fatales est fondé sur des raisonnements statistiques et biomécaniques aberrants. 

Lorsqu’une cause génétique rare est identiée, sa responsabilité est écartée au prétexte qu’elle est insuffisamment répertoriée. Affirmer l’impossibilité de ce qui vient d’être découvert est la négation du progrès scientique. Dans les publications, les diagnostics sont invériables car couverts par le double secret médical et judiciaire, à rebours des besoins de transparence en matière scientique. L’existence même de faux positifs est niée, les raisonnements circulaires absurdes sont fréquents. Cela conduit à des associations statistiques articiellement fortes, mais trompeuses. Les certitudes rassurent le système judiciaire, mais, infondées, elles conduisent à des drames humains. 

Ces aberrations médico-scientiques prospèrent sans garde-fou à l’hôpital, où les recommandations de la HAS sont appliquées aveuglément, et au tribunal, où leurs signataires sont régulièrement désignés comme experts judiciaires pour les appliquer. La défense a rarement accès au dossier médical contenant les informations permettant d’identier des diagnostics diérentiels du SBS, mais souvent laissées de côté par des expertises trop simplistes.

Alors que les mentalités évoluent ailleurs, en France, le débat est refusé, les scientiques alertant sur le sujet se heurtent à des arguments d’autorité et ad hominem, sous prétexte du besoin de protection infantile. Critiquer des lacunes scientiques n’empêche en rien de combattre la maltraitance. La fuite en avant dans la judiciarisation ne protège aucun enfant, elle aboutit au contraire à une autre forme de maltraitance broyant à la fois les enfants et leurs parents. 

La difficulté de mettre en œuvre une médecine fondée sur les preuves ne justie pas de s’aranchir d’une démarche scientique rigoureuse et transparente. Le modèle des centres nationaux de référence des maladies rares pourrait utilement être reproduit sur ce sujet. En mettant en commun les recherches et les données, des équipes pluridisciplinaires et compétentes en la matière pourraient contribuer à améliorer les connaissances, les pratiques et leurs issues médico-légales. ___ 

Bernard Echenne,  neurologue pédiatre,  ancien chef de service au CHU de Montpellier ; Christian Marescaux, neurologue, ancien chef d’unité au CHU de Strasbourg ; Jean-Claude Mselati, pédiatre, ancien chef de service au Groupe hospitalier Nord-Essonne, expert agréé par la Cour de cassation Cyrille Rossant, chercheur en neurosciences, University College London Leila Schneps, mathématicienne, directrice de recherche CNRS  Guillaume Sébire, neurologue pédiatre,ancien chef de service au Montreal Children Hospital, professeur à l’université McGill  Franck Sturtz, neurologue, biologiste, chef de service au CHU de Limoges. 


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